"La Flûte enchantée" : Cédric Klapisch met à portée du grand public avec humour l'ultime opéra de Mozart
Une très fugitive apparition : des mouvements d'ailes géantes et blanches traversent la scène. Puis un monstre reptilien tout aussi grand fait irruption, clairement visible cette fois, flottant dans l'air. Et un homme entièrement vêtu de rouge, Tamino, seul sur scène, tente d'échapper à la furie de l'animal, finalement sauvé par trois silhouettes noires, les Trois Dames, le front peint en rouge prolongé d'une crinière noire.
Enchantement
La magie et le féerique dominent, dès ses premiers instants, La Flûte enchantée donnée au théâtre des Champs-Élysées, à Paris. Et Cédric Klapisch, qui signe ici sa première mise en scène d'opéra, nous régale de couleurs et d'excentricités : une Reine de la nuit brillant de mille feux, une Pamina à la longue tresse rouge, un Papageno recouvert de plumes et un mage Sarastro grimé comme les méchants prêtres d'Indiana Jones.
Mais, évidemment, La Flûte n'est pas que cela. Les épreuves endurées par le jeune prince Tamino pour sauver la fille de la Reine de la nuit, la belle Pamina, des griffes de Sarastro, accompagné de son (pas très fidèle) Papageno, sont une parabole du passage à l'âge adulte, en quête de "sagesse" et de "vertu". Un plaidoyer philosophique et politique de Mozart, en cette fin du XVIIIe siècle, pour la connaissance et le progrès, contre un état de nature supposé alors rétrograde.
Le progrès contre la nature
Cédric Klapisch en tire deux fabuleux tableaux scéniques, conçus à partir de subtiles techniques de maillages par la scénographe Clémence Bezat : le premier, le lieu de la Reine de la nuit, est une jungle de lianes et d'arbres plus riche que nature. Le deuxième représente le palais de Sarastro, symbole de la civilisation, temple du savoir se muant peu à peu en un temple de l'ère numérique.
Ainsi, suivant les deux actes de l'opéra de Mozart, les deux espaces – la nature foisonnante et architecture de l'homme – s'opposent brutalement. Mais aujourd'hui, à l'heure du changement climatique et de l'intelligence artificielle, cette opposition a-t-elle encore un sens, semble s'interroger le metteur en scène, qui propose un troisième tableau représentant une sorte de ville idéale, plongée dans une nature luxuriante.
La Flûte enchantée de Cédric Klapisch frappe aussi par sa narration, étonnant et savoureux mélange entre la musique de Mozart (concentré d'airs célèbres et de beaux récitatifs, tous en allemand) et une partie parlée (le fameux "singspiel") que le metteur en scène a décidé de faire traduire en français. Un procédé rare, sans doute surprenant, mais qui participe à la mise à portée de l'opéra et offre un boulevard à l'humour de Klapisch. "T'as kiffé ?", demande Papagena (déguisée en vieille dame) à Papageno, après leur premier baiser.
"Hello ! On est en 1791, mec !"
Surtout, l'adaptation est un contrepoint à un livret (les parties chantées) qui a vieilli, quelquefois raciste (vis-à-vis de Monostatos) et très souvent sexiste. Acte II, scène 14, alors que Papageno est sommé de se comporter "en homme", il réplique : "Cette injonction est tellement genrée, j'hallucine. Hello ! On est en 1791, mec !"
Cédric Klapisch sculpte ses personnages avec leurs dialogues, leurs costumes (signés Stéphane Rolland et Pierre Martinez) et leur place sur la scène. Plus qu'une simple direction d'acteurs, il apporte une dimension chorégraphique au mouvement des chanteurs. Ainsi avec les membres du chœur, parfois distribués jusqu'aux côtés du public. Ainsi des Trois Dames (Judith van Wanroij, Isabelle Druet, Marion Lebègue), superbe trio de chanteuses, drôle et émouvant, dont le mouvement perpétuel porte littéralement le début de La Flûte.
La musique portée par l'excellent orchestre Les Siècles, dirigé par François-Xavier Roth et une distribution lyrique de temps en temps inégale, offre des moments de grand bonheur. À commencer par le premier air de Tamino, interprété avec grande sensibilité par le ténor Cyrille Dubois, habitué du rôle : "Ce portrait est fascinant de beauté" (acte I, scène 4), chante-t-il devant l'image charmante et drôle de Pamina. La basse Jean Teitgen en Sarastro s'adresse également à la jeune femme pour la détourner de toute vengeance, avec autorité et sagesse, dans l'air "Dans ces salles sacrées, on ne connaît pas la vengeance" (acte II, scène 12).
Regula Mühlemann, magnifique Pamina
En Papageno, truculent oiseleur, le jeune baryton Florent Karrer convainc dans ses deux grands airs solos et compose avec Catherine Trottmann (Papagena dans une prise de rôle) un duo des plus savoureux ("Pa, pa, pa", acte II, scène 29). Mention enfin pour la très remarquée soprano colorature suisse Regula Mühlemann en Pamina, notamment lorsqu'elle chante le dépit amoureux dans le célèbre air "Ah, ich fühl's, es ist verschwunden" ("Ah, je le sens, il a disparu pour toujours le bonheur de l'amour", acte II, scène 18).
"La Flûte enchantée" de Mozart au théâtre des Champs-Élysées, à Paris, jusqu'au 24 novembre. Puis au Théâtre impérial – Opéra de Compiègne le 3 décembre et à l'Atelier lyrique de Tourcoing les 9 et 10 décembre.
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