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Jeudi sur Culturebox : Régis Debray à l'Opéra de Lyon pour la "dernière nuit" de Walter Benjamin
Portbou, Espagne, une nuit de septembre 1940 : pour Walter Benjamin, c'est l'heure du suicide. Sur la scène de l'Opéra de Lyon, les grandes rencontres du penseur allemand, Arendt, Brecht, Gide, Koestler... hantent ses derniers instants, imaginés par Régis Debray. A voir en direct sur Culturebox le 24 mars 2016
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Le médiologue était déjà dramaturge, il se fait là librettiste. A l'origine, il avait d'ailleurs écrit une pièce qu'il souhaitait mettre en musique, façon cabaret. Mais son ami suisse Michel Tabachnik lui suggéra d'en faire un opéra - une première pour lui aussi, qui jusque-là n'avait composé que des oratorios.
En amont de la création de "Benjamin, dernière nuit", Régis Debray décrivait son texte comme "assez léger, sautillant, déconcertant": il fallait que la présentation "par fragments" de la vision qu'a un homme de sa vie, au moment de mourir, soit "comestible".
Ce drame lyrique trilingue à la scénographie très inventive, signée du Britannique John Fulljames, se consomme au final en une heure et demie, un format de cinéma composé de quatorze tableaux rythmés par les allers-retours entre le présent (parlé) et le passé (chanté) - il y a ainsi deux Walter Benjamin sur scène - et une partition éclectique, propre à chaque "historiette", où le piano de Chopin croise la voix de Trenet, des marches militaires ou la sonorité lancinante du shofar.
Ce drame lyrique trilingue à la scénographie très inventive, signée du Britannique John Fulljames, se consomme au final en une heure et demie, un format de cinéma composé de quatorze tableaux rythmés par les allers-retours entre le présent (parlé) et le passé (chanté) - il y a ainsi deux Walter Benjamin sur scène - et une partition éclectique, propre à chaque "historiette", où le piano de Chopin croise la voix de Trenet, des marches militaires ou la sonorité lancinante du shofar.
Morphine
Né à Berlin en 1892, l'inclassable Benjamin, philosophe, historien de l'art et critique littéraire, traducteur de Proust et de Baudelaire, se réfugie en France en 1933 pour fuir les nazis, à double titre: il est juif et communiste. Quand ils le rattrapent dans la France occupée, il échoue à s'exiler aux États-Unis et franchit les Pyrénées. Mais dans la chambre de son hôtel de Portbou, où il arrive exténué au soir du 25 septembre 1940, il choisit d'en finir en avalant des cachets de morphine.
Pour imaginer ses dernières heures et "comment il voit redéfiler des moments de sa vie", Régis Debray s'est rendu dans le village catalan et a lu "tout ce qu'on pouvait trouver comme témoignages" sur les grandes rencontres qui ont jalonné l'existence de Benjamin, évoquant aussi avec feu Stéphane Hessel le souvenir de l'homme qu'il croisa à Marseille dans la tourmente de 1940.
"J'ai été frappé par le côté complètement raté du personnage, par sa solitude, attestée dramatiquement par son suicide. Une vie d'échecs. Un homme innovant mais reconnu par personne. Moscou le déçoit, Berlin l'expulse, Paris le snobe, Jérusalem le dissuade, et il rate New York. Bref, le juif errant parfait", résume Régis Debray.
Flashbacks
Sur la scène baignée dans l'atmosphère onirique d'une vaste bibliothèque-capharnaüm, les livres côtoient costumes, statuettes, horloges, haut-parleurs, chandeliers, phonographes, globes terrestres. Et les personnages sortent des rayonnages pour évoquer les rendez-vous manqués du penseur allemand avec l'intelligentsia de l'époque.
John Fulljames habille ces flashbacks d'un vaste écran vidéo en triptyque montrant, au-dessus des personnages, des images d'archives - l'exode, Staline, Hitler - et des animations projetées en direct - des cartes postales de Paris qui s'entremêlent sur une table ou des manuscrits que l'on corrige à l'encre rouge.
Sur son lit de mort, les pensées de Walter Benjamin, embuées peu à peu par la morphine, font apparaître l'écrivain Arthur Koestler, puis sa compagne Asja Lacis, passionaria "bolchévique". L'historien Gershom Sholem tente de lui faire rejoindre Israël ; avec le dramaturge Bertolt Brecht, il joue aux échecs dans un cabaret berlinois ; à Paris, André Gide l'éconduit pour un navarin d'agneau. Dans un épisode très Broadway, le penseur allemand est malmené par son compatriote exilé à New York Max Horkheimer, avant qu'Hannah Arendt, qui fumait jusque-là dans un fauteuil en arrière-plan, ne vienne défendre celui dont elle assura la postérité intellectuelle.
John Fulljames habille ces flashbacks d'un vaste écran vidéo en triptyque montrant, au-dessus des personnages, des images d'archives - l'exode, Staline, Hitler - et des animations projetées en direct - des cartes postales de Paris qui s'entremêlent sur une table ou des manuscrits que l'on corrige à l'encre rouge.
Sur son lit de mort, les pensées de Walter Benjamin, embuées peu à peu par la morphine, font apparaître l'écrivain Arthur Koestler, puis sa compagne Asja Lacis, passionaria "bolchévique". L'historien Gershom Sholem tente de lui faire rejoindre Israël ; avec le dramaturge Bertolt Brecht, il joue aux échecs dans un cabaret berlinois ; à Paris, André Gide l'éconduit pour un navarin d'agneau. Dans un épisode très Broadway, le penseur allemand est malmené par son compatriote exilé à New York Max Horkheimer, avant qu'Hannah Arendt, qui fumait jusque-là dans un fauteuil en arrière-plan, ne vienne défendre celui dont elle assura la postérité intellectuelle.
"Benjamin, dernière nuit", joué jusqu'au 26 mars, a ouvert un festival de mi-saison très politique à l'Opéra de Lyon en faisant quelques clins d'oeil à l'actualité, entre crise des réfugiés et déchéance de nationalité.
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