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"Jephtha" de Haendel à l'Opéra Garnier: 4 questions au chef William Christie

A découvrir à l'Opéra Garnier, un sommet de l'art lyrique de Haendel, son dernier oratorio, "Jephtha", d'après un récit biblique, proposé en version scénique par le metteur en scène Claus Guth. Un bouleversant concentré d'émotions musicales que porte le chef William Christie avec l'orchestre et le chœur des Arts Florissants. Parmi les rôles clé : Ian Bostridge et Marie-Nicole Lemieux.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
William Christie en juin 2017.
 (PEPE TORRES/EPA/Newscom/MaxPPP)
L'histoire. L'oratorio "Jephtha" de Haendel, de 1752, son dernier, est un récit biblique tiré du Livre des juges de l'Ancien Testament. Le musicien allemand naturalisé anglais y raconte le retour de Jephté en Israël après un exil de 18 ans pour aller combattre les Ammonites. La guerre est gagnée. Mais avant de partir au combat, Jephté avait fait le vœu de sacrifier la première personne croisée à son retour de guerre en cas de victoire. Cette personne étant sa fille unique, il accepte, avec une indicible douleur, de perdre Iphis.
La soumission aveugle au destin devient le thème central de l'oratorio. Elle change également la physionomie de Jephté qui passe de la figure de héros respecté à celle d'un homme, un père, dévasté par le poids de son erreur. Ses proches – son épouse Storgé en particulier, ne le lui pardonneront pas. A la fin de l'oratorio en réalité, la fille de Jephté ne meurt pas, sauvée par un ange, mais elle est condamnée à consacrer sa vie à Dieu.

4 questions au chef d'orchestre William Christie.
1
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans cet oratorio ?
Le fait que cette pièce, la dernière œuvre de Haendel, soit marquée par tous ses traits, que j’appelle ses traits de génie. C’est une œuvre qui n’a pas vieilli : elle a autant à nous dire aujourd’hui qu’elle disait il y a trois siècles. C’est tout simplement dû au fait que c’est un miroir de l’humanité. Haendel est un très grand humaniste : il s’identifie à la souffrance, à la joie, à la condition humaine ! C’est ça : dans "Jephtha", Haendel a cette faculté de toucher tout simplement l’être humain, malgré les siècles et malgré les différences de culture. Et ça, c’est quelque chose qui, incontestablement, est présent dans tous les grands chefs d’œuvre. 
2
Ici, Haendel exprime une profonde empathie pour la souffrance humaine. Comment cela se traduit en musique ?
Oui, Haendel, Monteverdi, Bach… Chaque compositeur s’exprime différemment. Ici il est aidé par un texte. Et le texte est douloureux. Il raconte cette épouvantable décision de la part d’un père de sacrifier sa propre fille. Donc le texte aide. Et la musique l'exprime, même les gens qui ne connaissent pas du tout la musique baroque le perçoivent. C'est une immense douleur, c’est ressenti, mélodiquement, par les harmonies, par l’intervention extraordinaire de ces chœurs car Haendel les utilise pour amplifier et donner du poids, de la profondeur à cette souffrance.
3
Que dites-vous aux musiciens, aux chanteurs solistes et surtout à ce chœur, justement, pour exprimer ce sentiment ?
J’insiste d’abord sur le plan purement musical sur une parfaite connaissance : le chœur a très bien travaillé en dépit d’une mise en scène qui est parfois un peu difficile. Mais aux choristes, comme aux solistes, je dis en effet : vous pouvez chanter et vous chantez fort bien, et je le dis à l’orchestre, vous jouez fort bien, mais en vous rendant compte qu’il y a une émotion collective à créer et à présenter à un public. C’est-à-dire que nous sommes unis dans les intentions. Et ça c’est très important. ça dépasse la simple maîtrise musicale. C’est une question je dirais de psychologie de masse, c’est une attitude, quelque chose qui est ressenti par chacun dans cet orchestre et surtout dans le chœur.
4
Quelle est la difficulté majeure de cette œuvre ?
Il n’y a pas de difficulté. C’est tout simplement une œuvre qui exige d’être comprise. Et on n’essaie pas effectivement de s’imposer sur cette œuvre, en ce qui concerne le style par exemple. Cette œuvre m’a été confiée, je dirige un spectacle avec un ensemble, Les Arts Florissants, qui est "spécialiste". Ça veut dire que le comportement musical, la pratique des instruments, la façon de chanter, la rhétorique qu’exige cette musique sont quelque chose que nous travaillons comme spécialistes. Et c’est ça qui, à mon avis, ouvre cette œuvre et lui donne cette éloquence, qui par la suite peut être transmise à notre public. 
"Jephtha" de Haendel à l'Opéra Garnier.
 (Monika Rittershaus)

Une mise en scène dépouillée DE CLAUS GUTH

. "It must be so", en français "Il doit en être ainsi", référence au vœu de Jephté et à la soumission à ce destin prétendument scellé avec Dieu, devient pour Claus Guth un leitmotiv qu'il questionne : faut-il vraiment qu'il en soit ainsi ? Le metteur en scène décline la phrase en entier ou décomposée en lettres géantes qui se baladent tout au long de l'opéra sur la scène : un immense B, un immense E, ou encore la syllabe "So" (ainsi) répétée plusieurs fois. .

. Le décor est simple, très dépouillé : ombres chinoises utilisées pour dessiner un arrière-plan de collines ou des colombes en vol ; technique des fondus au noir pour raconter une histoire en accéléré par des images clé (d'une grande beauté) ; recours à la vidéo pour créer un magnifique nuage qui change d'aspect selon les scènes et qui s'impose par sa noirceur et son ampleur. Beau tableau de contraste entre les espoirs d'amour et de vie légère d'Iphis et les images crues et sanglantes de la guerre, jamais cachées dans cette mise en scène. Richesse du travail sur la lumière mais économie d'effets scéniques qui permet au spectateur de goûter davantage à l'émotion des voix

. Autre astuce pour exprimer la souffrance et la pesanteur de la situation, Claus Guth a introduit entre les scènes des sons stridents de musique contemporaine réalisés par Jeff Cohen en jouant sur les cordes et les marteaux d'un piano installé dans la fosse.


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