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Interview de Thomas Jolly : qui dit Fantasio dit fantôme, fantasme, fantaisie !

Thomas Jolly, 35 ans. Six mois après ses débuts à l’opéra avec "Eliogabalo", la coqueluche du théâtre français déterre pour l’Opéra comique, délocalisé au Châtelet, une autre grande œuvre lyrique de l’oubli : "Fantasio" d’Offenbach, d’après une pièce de Musset. Quand la folie s’invite au pouvoir comme un grain de sable dans un rouage trop huilé. Rencontre avec le metteur en scène.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Thomas Jolly au Théâtre du Châtelet, début février.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

L’histoire de "Fantasio" a lieu à Munich, au royaume de Bavière. Jeune étudiant poète, quelque peu désabusé et insolent, Fantasio décide d’endosser les habits du bouffon du roi qui vient de mourir pour faire son entrée à la cour… et y insérer son grain de sable. Le monarque compte marier sa fille au prince de Mantoue car ceci amènerait la paix dans la région. Le peuple s’en réjouit, certes. Mais un mariage sans amour, et plus globalement un projet sans vie, sont-ils souhaitables ? Fantasio va les faire capoter.

"Fantasio" au Théâtre du Châtelet : le roi de Bavière face à ses sujets.
 (Pierre Grosbois)

"Fantasio", opéra comique de Jacques Offenbach, d’après la pièce d’Alfred de Musset. On se dit qu’on doit connaître… Fantasio ? Eh bien non. D’ailleurs, qui peut bien s’en souvenir ? L’œuvre a été créé en 1872 et aussitôt après oubliée, boudée par un public peu enclin à écouter, venant d’Offenbach, autre chose que de l’opérette légère… Sans oublier que le compositeur était certes naturalisé français mais d’origine allemande : deux ans après la défaite française à Sedan contre la Prusse, son opéra parlant de guerre et de paix n’a sans doute pas été le bienvenu… Disparue dans l’incendie de l’Opéra comique de 1887, sa partition a refait surface grâce notamment aux manuscrits, et un long travail de réassemblage, en 2013.

Le metteur en scène Thomas Jolly s’en est emparé à la demande du directeur de l’Opéra comique, Olivier Mantei, pour le présenter dans sa saison, mais sur la scène du Théâtre du Châtelet en attendant la fin des travaux de la Salle Favart. Thomas Jolly nous a reçu dans le théâtre pour nous donner les clés de sa mise en scène.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans "Fantasio" ?
Je suis très ému par cette œuvre. Les gens vont la découvrir comme elle vient d’être "exhumée" par Jean-Christophe Keck qui travaille à son réassemblage depuis longtemps. On est pionniers, c’est émouvant. Mais au-delà de ça, il y a l’émotion de ces deux auteurs, Alfred de Musset et Jacques Offenbach qui, à cinquante ans d’écart ont, l’un écrit "Fantasio", l’autre composé dessus, à des moments de leur vie qui sont des moments de brisure. Il y a un aveu d’humanité dans cette œuvre. Pour Musset, c’est l’échec de sa pièce et de sa critique virulente de la littérature et de la politique de son époque. Offenbach aussi, d’origine allemande et morcelé par le conflit franco-prussien, va trouver dans "Fantasio" un alter ego : il va changer la fin de la pièce pour en faire un hymne à la paix. 
Fantasio, ici en bouffon du roi, est incarné sur scène par la mezzo-soprano Marianne Crebassa. 
 (Pierre Grosbois)

Justement, "Fantasio" propose une vérité qui est sans cesse remise en question : elle apparaît, un peu comme chez Pirandello, une et multiple à la fois…
Il y a de ça, mais c’est encore plus noueux que chez Pirandello. Vous connaissez la fameuse phrase de Musset ? "Une larme dans un sourire". Mieux, sa définition de la poésie : "chanter, rire, pleurer, sans but, au hasard". Tout ça c’est dans "Fantasio". Il y a le côté fantaisiste, mais qui prend appui sur le macabre. Le rire, mais qui prend appui sur la désolation, l’adulte sur l’enfant, le cauchemar sur le rêve etc. Dans ma mise en scène, j’essaie de frotter tous ces contraires. 

Un mot sur les conditions - assez inédites - de préparation de cet opéra qui s'est étalée sur deux ans…
Ma méthode est d’inscrire tout travail de création dans la durée. Parce qu’elle permet à nous tous, créateurs artistiques et techniques, de déposer les idées, de les faire reposer, d’y inscrire des pistes. Pour "Fantasio", on n’a pas eu plus de temps, on l'a séparé dans la durée, sur les deux dernières années. Scénographe, lumières, costumier, tout le monde en a vu les vertus. Et même le public parce qu’il a été invité à assister aux ateliers de travail organisés pendant ces deux années. Or pour moi le public est un indicateur précieux : ses réactions m’ont aidé pour préciser tel ou tel enjeu, revoir telle question de clarté, tel trait d’humour que je n’avais pas forcément compris à la première lecture…


Comment s’articule votre rapport à la musique ?
"Fantasio" est un opéra comique, où théâtre et musique sont juxtaposés. Tout est donc donné. Pour le metteur en scène, la question est de savoir "pourquoi" : pourquoi cette note sur ce mot, pourquoi ce rythme à ce moment-là, pourquoi ce changement de ton. A moi de déceler ce mystère, il y a forcément une raison. Alors qu’au théâtre c’est l’inverse : il n’y a que des mots, à nous de trouver la musicalité de ça. Ce qui est fascinant pour cet opéra, c’est que les chanteurs ont appris à composer leur pensée théâtralement et moi j’ai appris à composer ma scène musicalement.
Le décor rend hommage à la machinerie et à l'électricité qui se répandent à la fin du 19e siècle.
 (Pierre Grosbois)

Quelle est l’idée scénique qui vous a mû ? 
C’est la machinerie : l’industrie, l’électricité, les sciences, tout le contexte de découvertes de la fin du 19e siècle dans lequel Offenbach et Musset sont plongés. La fameuse scène de la tulipe rouge ou de la tulipe bleue, par exemple, naît de la fascination de Musset pour la botanique. Offenbach est, lui, fasciné par les mécanismes, les moteurs, les embrayages… Du coup, ce décor est à la fois très austère et devient une machine à faire jouer. Les chanteurs et comédiens sont embrigadés dans la machinerie, manipulés par elle. L’iris au fonds de la scène, semble presque jeter les personnages avec la lumière. C’est une image évidemment liée à la naissance de la photographie. Et cette dernière va aussi avec la question du fantôme : vous savez, toutes ces superstitions autour de la photographie qui vole l’âme… Fantasio ne devient pas seulement le bouffon du roi, il prend la place du mort ! "Est-ce le fantôme de mon propre bouffon que je vois ici ?", se demande Elsbeth. Alors : fantôme, Fantasio, fantasme, fantaisie, fantastique, tout ça a la même racine, qui veut dire apparition, fantôme, spectre, illusion…

Qu’est-ce qui ressort de ce "Fantasio" ?
Le message qui est délivré par Fantasio à la toute fin de l’opéra est la question du discernement : on rend au peuple sa force de discernement et de décision. Dans le monde que nous propose Fantasio, même dans le plus cruel désespoir on peut trouver une fantaisie, une inventivité, une curiosité : une couleur dans la palette de gris, une fleur au milieu d’un désert. Ces messages invitent à quelque chose de festif, mais aussi de vivifiant. J’ai envie qu’en sortant d’ici, les spectateurs se sentent plus éveillés, qu’ils aient l’envie de chanter et de danser et de retrouver partout où on peut, la fantaisie de la vie, aussi morose soit-elle !


« Fantasio » de Jacques Offenbach
Direction musicale de Laurent Campellone
Mise en scène de Thomas Jolly
Théâtre du Châtelet, Saison de l’Opéra comique
Jusqu’au 27 février 2017

Et à voir sur Culturebox en direct le 22 février 2017 et disponible pendant six mois.


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