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« Gioconda » à Bastille : un mélodrame flamboyant dans une Venise lugubre

La Gioconda » répond à la question : « Quel opéra après, ou auprès de, Verdi ? ». Ponchielli a 20 ans de moins. Sa « Gioconda », créée à la Scala de Milan en 1876, rappelle donc son fameux ainé mais aussi les auteurs français de son temps (Meyerbeer et Gounod) avec des touches à la Puccini (dont Ponchielli sera le professeur) ou à la Bizet (« L’Arlésienne »).
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
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  (Opéra national de Paris/ Andrea Messana)
Amilcare Ponchielli, dans la lignée de Verdi
Amilcare Ponchielli. Si, si, vous en avez déjà entendu. « Fantasia » de Walt Disney. La « Danse des heures » avec les hippopotames, les autruches et les crocodiles, c’est de lui. Sur le plateau de Bastille ce sont douze jeunes filles en robes vaporeuses et colorées qui entourent les excellents (et très dénudés) Letizia Giuliani et Angel Corella. Quelques minutes de grâce et de lumière insérées dans  le drame comme dans un écrin noir.

Une oeuvre de grande qualité
L’œuvre, de vaste format (presque trois heures) , est aussi de grande qualité, écriture vocale originale (moins mélodique que Verdi) et beaux détails orchestraux que Daniel Oren, le chef (un peu sec dans « Falstaff » le mois dernier) distille avec précision et poésie : les bois de l’orchestre de l’Opéra sont à la fête.
« La Gioconda » n’a rien à voir avec celle du Louvre : elle était padouane chez Victor Hugo (« Angelo, tyran de Padoue »), elle est devenue vénitienne grâce au grand librettiste verdien Arrigo Boïto. Prenez votre souffle : la chanteuse des rues Gioconda aime Enzo, noble génois qui aime Laura, la femme du conseiller du doge Badiero dont le sbire Barnaba est amoureux de Gioconda ! Et voilà que Gioconda voit sa rivale Laura sauver sa propre mère aveugle, la Cieca, accusée de sorcellerie. D’où, pour la Gioconda, un terrible conflit entre ses sentiments et son devoir de fille.

Pier Luigi Pizzi, dans une Venise brumeuse, sinistre et nocturne, striée de canaux et de ponts en escalier, fait habilement bouger tout ce petit monde au milieu des nobles masqués et du petit peuple des pêcheurs, taches rouges et noires  sous la lumière éteinte. Gioconda en bleu. Laura en blanc !

Manichéen
C’est manichéen, je vous l’accorde, mais on est dans le mélo, l’excessif romantique, méchants très méchants, amoureux très amoureux. Et la Cieca, dans ses voiles noirs, promise à un terrible sort. La jeune mezzo espagnole Maria José Montiel réussit, dans ce rôle impossible, à nous émouvoir, son air, « Voce di donna » est superbe de délicatesse.

Car c’est la difficulté de ce genre d’ouvrage : il y faut des chanteurs à voix qui sont aussi des acteurs engagés. A Bastille l’engagement est là, parfois au détriment du chant. Passe encore pour Luciana d’Intino, Laura un peu effacée mais qui se tire bien des écarts de tessiture que Ponchielli lui réserve. Marcelo Alvarez en Enzo a les qualités d’un ténor (voix franche, aigus claquants) et ses défauts : il « pousse » la voix, au détriment de la ligne vocale. Dommage qu’il ne fasse pas plus confiance à la musique !   
Orlin Anastassov (Badoero) sera sifflé… et ne viendra pas saluer
Orlin Anastassov (Badoero), à cause d’un vibrato incontrôlé, rate son air unique « Si morir… » : il sera sifflé… et ne viendra pas saluer. On en oublierait la force de ses imprécations à l’égard de Laura (scène superbe qui rappelle étrangement la mort de Desdémone dans l’ « Otello » de Verdi dix ans plus tard… le librettiste étant aussi Arrigo Boïto !) et la beauté de sa haute silhouette rouge qui disparaît sur la volée d’un pont.

Pour incarner Barbaba le jeune Claudio Sgura, voix bien posée mais sans projection, manque de perversité et de cruauté, bref de présence. Il a pourtant à défendre un personnage terrible et lucide qui chante  « Palais des Doges, ouvre grand ta gueule ténébreuse ! Le Doge, tel un squelette muet avec son bonnet sur la tête… »
    
Violeta Urmana a évolué de la tessiture de mezzo à celle de soprano. C’est son droit. On connaît son abattage, sa présence en scène. Reste la voix. Le médium est beau, les aigus, dans les passages lents, sont assumés et lumineux mais ils deviennent criés dans l’intensité de la scène finale et comme Urmana a toujours de très beaux graves  on en vient parfois à se demander pourquoi elle ne revient pas aux rôles qui l’ont fait connaître.

137 ans que l'on attendait cette "Gioconda"
On comprend cependant qu’un tel tempérament ait eu envie de se confronter à un rôle qu’ont illustré la Callas, la Tebaldi ou la Caballé, rien de moins. C’est dire que cette « Gioconda » que nous avons attendue 137 ans sur notre scène nationale n’est absolument pas une œuvre mineure et d’ailleurs le public de Bastille, malgré les défauts que j’ai évoqués, lui fait chaque soir, semble-t-il, un juste triomphe.        


La Gioconda (1876) à l'Opéra Bastille, drame en quatre actes d'Amilcare Ponchielli (1834-1886)
9 représentations du 2 au 31 mai 2013 
Direction musicale : Daniel Oren - Mise en scène, décors et costumes : Pier Luigi Pizzi -Lumières : Sergio Rossi - Chorégraphie : Gheorghe Iancu - Chef du Chœur : Patrick Marie Aubert

La Gioconda de Ponchielli sera retransmis en direct au cinéma, le lundi 13 mai 2013 à 19h30. 
                             

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