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Fabrice di Falco au Bal Blomet, le chant lyrique mijoté aux épices créoles

Ce chanteur lyrique aime sortir de l'opéra pour emmener sa voix de contre-ténor dans des univers inattendus, de la variété au jazz en passant par la biguine créole avec son groupe, le Di Falco quartet. Nous l'avons rencontré pour son nouveau spectacle "Begin the beguine" au Bal Blomet à Paris.
Article rédigé par franceinfo
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spectacle "Begin the Beguine"
 (le Bal Blomet)

On le surnomme le "Farinelli créole" car il a une voix de sopraniste, c’est à dire pour un homme la tessiture qu’aurait une femme soprano. Cela lui permet d’interpréter le répertoire des castrats, ces jeunes garçons qui vivaient dans le Vatican du XVIe siècle et qui se faisaient émasculer afin de préserver leur voix d’enfant. A l’époque les femmes n’avaient pas le droit de chanter dans les églises, c'est donc pour ces voix d’une pureté exceptionnelle qu'ont été composés les premiers opéras.


Fabrice di Falco a des origines italiennes par son père et martiniquaises par sa mère, et de ce métissage il tire une créativité et une liberté qu’il exprime à travers le chant lyrique. Né à Fort de France en 1974, il fit à l’âge de 17 ans une rencontre qui allait bouleverser sa vie. La chanteuse Barbara Hendrix, de passage en Martinique pour un concert, l’auditionna et lui conseilla d’entrer dans un conservatoire : "Ce fut pour moi fut une révélation car je pensais à l’époque que les noirs ne chantaient que du Zouk ou du Ragga or j’ai réalisé à ce moment là que les noirs pouvaient aussi chanter l’opéra". 
 
Arrivé dans l’hexagone, il remporte en 1999 à l'unanimité du jury le premier prix de chant du Conservatoire national de Boulogne-Billancourt. Débute alors pour lui une carrière dans le chant lyrique qui l’amène à se produire sur les scènes du monde entier, de la Russie à l’Argentine, où il interprète le rôle d’Obéron dans "Le Songe d’une nuit d’été", en passant par Oman, où il est régulièrement invité à se produire devant le Sultan, grand amateur de musique classique.
 
Mais Fabrice di Falco ne se laisse pas enfermer dans un registre et progressivement il se produit dans des œuvres plus contemporaines comme "Les Nègres" de Michel Levinas. Ouvert à différents univers on le retrouve ainsi aux côtés du chanteur Raphaël sur son dernier disque, "Anticyclone" ou encore sur la scène de la Villette aux côtés du saxophoniste déjanté Guillaume Perret, qui l’embarque dans son univers jazz-rock électro. Enfin le DJ Français The Parakit a fait appel à lui pour son prochain album dans un registre purement électronique.

Mécène pour talents en devenir

Altruiste, il entend promouvoir de jeunes contre-ténors qu'il a repérés et pour qui il représente un modèle. Ainsi cet ivoirien de 33 ans, Albert Traoré, vivait mal dans sa jeunesse le fait de devoir chanter dans un pupitre féminin dans son église d'Abidjan. Jusqu'à ce jour où il visionna une vidéo Youtube de Fabrice di Falco, une révélation qui lui a permis d'assumer sa voix haut-perchée et de se projeter dans une possible carrière dans l'opéra malgré la couleur de sa peau. Depuis, c'est en France qu'il a poursuivi son parcours en passant le Diplôme d'Etudes Musicales. Aujourd'hui il profite des conseils gracieux de Fabrice qui entend s'investir personnellement dans le développement de carrière de ses protégés. Il finance donc chaque année de sa poche des concours : "Les coups de coeurs de Fabrice di Falco" et à partir de 2019 "Les voix de l'Outre-mer" à l'Eglise Saint-Merri à Paris. L'occasion d'organiser des concerts pour attirer le public mais aussi des professionnels, afin de donner de la visibilité à ces chanteurs lyriques en devenir. Car pour Fabrice di Falco, l'argent n'est pas un but en soi : "je n'ai pas besoin d'avoir une belle voiture ou ce genre de choses mais dans quelques années pouvoir m'asseoir dans un auditorium pour écouter un jeune que j'aurais aidé dans le métier, ça oui, ce serait une vraie satisfaction."

Musicien-explorateur 

Et comme dans ses veines coule la musique créole et afro-américaine il crée son propre groupe, le Di Falco quartet, avec lequel il réinterprète les grands airs d’opéra dans des versions jazzy. Il fait ainsi swinguer Vivaldi et son fameux Stabat Matter, revisite Bach, Purcell ou Pergolèse au son de la batterie, du piano et de la contrebasse. En 2017 une major, Sony Classical, sort le disque qui est l’aboutissement de ce projet : "Les sauvages".
 
Aujourd’hui il présente au Bal Blomet, (ancien Bal nègre qui vient de rouvrir) un nouveau spectacle "Begin the Beguine", qu’il a écrit et où il raconte l’histoire du théâtre Saint-Pierre en Martinique. Un haut-lieu de la culture au XIXe siècle où les différentes classes sociales et ethniques (békés, mulâtres ou noires), séparées selon leur condition socio-raciale entre les balcons et l’orchestre, pouvaient assister à des représentations des plus grandes œuvres d’opéra. De ce lieu mythique, décimé par l’éruption du mont Pelé en 1902, il ne reste aujourd’hui que des ruines. Fabrice di Falco, à l’aide de visuels en 3D et de ses talents de conteur hors pair, y fait revivre les grandes heures de ce théâtre, où se mélangeaient les populations et les genres musicaux, entre biguine, mazurka et musique classique.
 
Fabrice di Falco joue avec sa voix comme avec un instrument, prend plaisir à prendre des risques, changer de registre, se fait musicien-explorateur. Il transcende les genres et les époques, mélange les saveurs, les épices et les arômes venus d’ailleurs. Inclassable, il apporte assurément un souffle nouveau à l’art lyrique, un courant d’air chaud, une rythmique chaloupée sur laquelle il promène sa technique impeccable, en toute décontraction, comme s'il prenait un plaisir jouissif à casser le baroque.

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