"Ercole amante" à l'Opéra comique : trois raisons de ne pas rater cet opéra si rare de Cavalli
Plus de trois heures d'opéra et pas un instant de répit ! Le duo de metteurs en scène, Valérie Lesort et Christian Hecq, font de cet opéra quasi inconnu de Cavalli un voyage mythologique, ludique et magique.
Une renaissance : après près de 350 ans d'oubli (à l'exception d'une brève apparition en 1981), un opéra baroque de 1662 signé Pier Francesco Cavalli - qui fut le compositeur le plus populaire de son époque en Italie - refait surface aujourd'hui à l'Opéra comique. A l'oeuvre, un chef d'orchestre surdoué, Raphaël Pichon accompagné de son ensemble Pygmalion, et les metteurs en scène Valérie Lesort et Christian Hecq, remarqués en duo en 2018 pour leur Domino Noir d'Auber. Voici trois raisons de ne pas passer à côté de Ercole Amante.
1Une pièce italienne à la gloire de Louis XIV
C'est une pièce qui s'inscrit dans l'histoire : une commande du cardinal Mazarin, son cadeau de noces à Louis XIV à l'occasion de son union – très politique – avec l'infante d'Espagne, dont il est l'initiateur. Pour remercier le roi, son ministre fait appel au plus célèbre des compositeurs d'alors, le Vénitien Pier Francesco Cavalli, car à l'époque – mais plus pour longtemps - l'opéra n'est encore qu'affaire d'Italiens. Créé en 1662, Ercole Amante est donc un opéra écrit sur mesure (sur un livret de Francesco Buti) qui emprunte la figure d'un Hercule aimant, symbole de force et de séduction à la fois.
Hercule, pourtant déjà marié (à Déjanire), est bien décidé à souffler à son propre fils (Hyllus) sa fiancée, la belle Iole, dont il est tombé raide amoureux. Pas vraiment de quoi pavoiser. C'est le drame en famille, où l'on se ligue contre le patriarche tyran et arrogant. D'autant que deux déesses, Vénus (symbolisant l'amour et le libertinage) et Junon (la vertu), s'en mêlent pour aider chacune son camp, celui de l'oppresseur et celui des opprimés. La morale finira par triompher : Hercule, pour avoir failli sacrifier son propre fils sur l'autel de ses pulsions, sera puni. Brûlé vif par un manteau empoisonné, ça se passe comme ça dans la mythologie. Mais renaîtra, dépouillé de ses faiblesses humaines. Pour devenir, comme Louis XIV, un monarque de droit divin. Il fallait bien que la fin soit à la gloire du roi.
2L'univers magique et hilarant du duo Valérie Lesort / Christian Hecq
Simple en apparence, l'intrigue d'Ercole Amante se complique sérieusement à mesure que les déesses développent leurs stratagèmes. Valérie Lesort et Christian Hecq, au lieu de tenter de gommer la complexité, en tirent leur parti pour donner littéralement vie à ces épisodes mythologiques abracadabrantesques. Et installer de la magie sur le plateau de l'Opéra comique.
On est médusés, par exemple, par ce trône, mi-végétal, mi-humain, capable d'envoûter quiconque s'aventurerait à y poser ses fesses. La jeune Iole qui, s'y laissant prendre, tombe dans les bras d'Hercule (stratagème de Vénus). Ou encore par cet autre faiseur de sortilèges, Sommeil, créature immobile à mi-chemin entre Bouddha et le bonhomme Michelin, dont la mission sera d'endormir Hercule (stratagème de Junon).
La richesse des tableaux, qui s'enchaînent trois heures durant, est telle que le duo de metteurs en scène a préféré aux décors multiples, un décor-boîte sur lequel défilent les éléments - ici des colonnes (vivantes), là des escaliers escamotables, là encore une végétation luxuriante surgie de nulle part - et les personnages. Vénus fait son apparition en nymphe sexy, surgie d'une immense fleur aux branches animées et circule à bord d'un oiseau-aéronef rose. Junon, elle, chevauche un paon quand elle ne navigue pas dans les airs en montgolfière. Bel hommage rendu aux pièces à machine de l'époque baroque.
On allait oublier : Neptune – pourvu d'une effrayante barbe verte - vient au secours d'Hyllus (le fils d'Hercule qui se jette à l'eau par désespoir) dans un magnifique sous-marin miniature. Et Eurytus, le père défunt de la belle Iole, pour protéger sa fille, tente par son ombre de sortir de terre… Humour, poésie. On se régale !
3Le génie mélodique de Cavalli
La musique de Cavalli, compositeur majeur du "seicento", disciple et successeur de Monteverdi à Venise, est à la hauteur de l'enjeu royal. A en juger par l'épaisseur de l'orchestre déployé par Raphaël Pichon – toutes les tessitures des cordes, percussions et cuivres et une basse continue des plus importantes - Cavalli (plutôt habitué aux petites formations) s'est donné des moyens exceptionnels pour offrir tous les contrastes et les couleurs.
La partition orchestrale et lyrique de Cavalli donne une profondeur dramatique à l'histoire – y compris dans la dimension burlesque – et contribue grandement à la définition des personnages. Prenez Hercule : quelque peu benêt d'après le livret et le jeu, engoncé dans sa cuirasse bombée, massue à la main, il trouve une certaine crédibilité royale grâce à sa verve lyrique, extrêmement bien tenue par le baryton argentin Nahuel Di Pierro. C'est le cas aussi de "petits" personnages comme l'ironique Neptune (incarné par la basse Luca Tittotto, remarquable également dans le rôle sombre et tellurique de l'ombre d'Eurytus). Et que dire du duo de contre-ténors constitué par le Page (Ray Chenez) et Lychas (Dominique Visse, étonnant !), clowns magnifiques ? Les autres rôles – notamment féminins – ne sont pas en reste et pour les jouer, la distribution est plus que convaincante dans son ensemble, rompue manifestement à l'exercice. Les sopranos Giulia Semenzato (superbe Vénus), Francesca Aspromonte (Iole) et Eugénie Lefebvre (Pasithée), les mezzos Anna Bonitatibus (Junon) et Giuseppina Bridelli (Déjanire) et le ténor Krystian Adam (Hyllus) manient à merveille leur partition vocale comme l'effet, dramatique et humoristique, qui va avec.
L'Ercole amante que l'on découvre à l'Opéra comique, vaillamment porté par Raphaël Pichon (qui a fort heureusement procédé à des coupes) est une œuvre d'une grande beauté mélodique et d'une grande richesse : un prologue majestueux, des chœurs émouvants (celui des "sacrificateurs" à acte IV donne des frissons, chapeau aux chanteurs de Pygmalion !) et entre les récitatifs, des airs d'une grande intensité dramatique. Comme celui de la fin de la première partie (acte III, scène 9), où Déjanire, bafouée, chante au fils Hyllus : "S'il usait avec toi de moins de cruauté, je lui pardonnerais son infidélité". Et Hyllus de répondre : "S'il cessait envers toi ses infidélités, je trouverais pour moi douce sa cruauté".
Ercole Amante, de Pier Francesco Cavalli
A l'Opéra comique, à Paris, jusqu'au 12 novembre 2019.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.