Colère chez les chanteurs lyriques français qui s'estiment sous-employés
En France, dans un climat budgétaire difficile, la tentation est forte pour les maisons d'opéra de mettre à l'affiche les plus grands noms internationaux.
Le ras-le-bol est d'autant plus marqué que, à l'étranger, la préférence nationale joue à plein, soit officiellement comme aux Etats-Unis où existent des quotas (80% de chanteurs américains sur les scènes nationales), soit officieusement comme en Allemagne et en Italie.
Le Syndicat français des artistes interprètes (SFA-CGT) soupçonne en outre les théâtres lyriques de chercher l'économie : les charges sociales seraient moins élevées pour des chanteurs étrangers que pour les Français.
Karine Deshayes : "Il y a de très belles voix françaises"
"Il est scandaleux que certaines maisons d'opéra labellisées scènes nationales n'emploient aucun chanteur français", estime Raymond Duffaut, directeur des Chorégies d'Orange et conseiller artistique de l'Opéra d'Avignon.Pour autant, il ne croit guère au dumping social : "Je vois mal un directeur d'opéra choisir ses chanteurs en fonction des charges sociales."
"Il y a pourtant de très belles voix françaises !", s'exclame la mezzo française Karine Deshayes. Pour preuve, sa propre carrière internationale : la cantatrice, actuellement à l'affiche de l'Opéra de Paris dans "Don Giovanni", a chanté tout récemment au Met de New York et à San Francisco.
"A l'étranger, c'est priorité à leurs artistes et ensuite les étrangers, tandis qu'en France, c'est tout le contraire", s'insurge-t-elle. "J'adore chanter à l'étranger, mais j'aime aussi chanter chez moi !"
Le ministère de la Culture saisi
Le ténor Florian Laconi juge "scandaleux qu'une demi-douzaine de maisons d'opéra françaises ne fassent jamais appel à des distributions françaises."Le SFA-CGT a saisi du sujet le ministère de la Culture, et une réunion doit se tenir mercredi rue de Valois. Selon le syndicat, l'Opéra de Paris, "vitrine lyrique française", n'a confié que 3,7% de ses premiers rôles cette saison à des artistes lyriques résidant fiscalement en France, et 13,2% pour l'ensemble des rôles.
"C'est un mauvais procès", rétorque le directeur de l'Opéra de Paris, Stéphane Lissner, qui cite la distribution entièrement française de "Platée" de Rameau, et la présence cette saison de "tous les bons chanteurs français" : Karine Deshayes, Ludovic Tézier, Sophie Koch, Roberto Alagna, Stéphane Degout etc. "La distribution dépend aussi tout simplement du répertoire, français, allemand ou russe", explique-t-il.
Des cycles français à Paris
L'Opéra de Paris engage un cycle Berlioz sur 4 ans ("Béatrice et Bénédict" la saison prochaine) et un cycle autour de la littérature française qui donnera aux chanteurs français l'occasion de s'illustrer. "Ca ne se mesure pas en pourcentage!", dit Stéphane Lissner.Selon le SFA, sur la période 2009-2013, la part des artistes français employés au moins une fois dans la programmation des principaux théâtres lyriques et festivals français se situait à 31% et le nombre de rôles proposés a baissé de 28%. Certains opéras, confrontés à une réduction de leurs budgets, ont réduit leurs productions et multiplient de "petites formes" nécessitant moins d'interprètes.
Le ministère de la Culture a demandé à l'inspecteur de la création artistique Laurent Chassain un rapport, où il pointe le manque d'indicateurs chiffrés.
Le public aime les voix françaises
Raymond Duffaut dirige aussi le Centre français de promotion lyrique, auquel pourrait être confiée une mission de "plate-forme d'observation". Pas question de quotas, souligne-t-il, mais le cahier des charges des opéras nationaux pourrait être précisé.Les jeunes talents ne manquent pas en France : 163 candidats se sont précipités au premier concours de chant "jeunes espoirs" organisé par l'Opéra du Grand Avignon fin septembre, remarque-t-il.
Quand au public, il aime autant les grandes voix françaises, si on en croit le succès phénoménal remporté tous les ans par Roberto Alagna aux Chorégies d'Orange.
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