"Beatrice di Tenda" à l’Opéra Bastille : l’amour, la mort, la torture et le pouvoir

L’opéra de Vincenzo Bellini fait son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris. Peter Sellars, en fait une charge implacable contre la tyrannie et la torture.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
L'opéra "Beatrice di Tenda" de Vincenzo Bellini donné à l'Opéra Bastille dans une mise en scène de Peter Sellars. (FRANCK FERVILLE)

L’opéra de Vincenzo Bellini, Beatrice di Tenda, est original à plus d’un titre. Les amours sont périphériques, les chœurs un personnage à part entière et les thèmes sont profondément politiques : la justice instrumentalisée au profit des puissants, les milices au service des plus forts, l’autoritarisme comme modèle politique et la torture comme moyen de gouvernance.

Le metteur en scène Peter Sellars, qui aborde pour la première fois un opéra italien, apporte une précision chirurgicale et une esthétique froide en transposant l’histoire dans un présent indéfini. L’opéra s’ouvre avec deux employés installant deux caméras de surveillance dans un palais aux murs d’acier. Des hommes en noir, armés, veillent sur le maître des lieux. 

La question

Qui est Beatrice di Tenda ? Avant de devenir l’héroïne de l’opéra de Vincenzo Bellini en 1833, elle était une femme puissante et riche, née en Lombardie en 1372. À la mort de son premier mari, elle est à la tête d’une armée et d’une grande fortune. En 1412, elle épouse en secondes noces Filippo Maria Visconti, de presque vingt ans son cadet. Le jeune duc de Milan consolide son pouvoir et se retourne contre sa femme six ans plus tard.

Accusée d’adultère, Beatrice di Tenda est soumise à la torture sur ordre de son mari, avant d’être décapitée ensuite. L’adultère est un prétexte efficace pour se débarrasser d’une épouse puissante devenue encombrante. Quatre siècles plus tard, au début du XIXe, elle devient une héroïne romantique.

Vincenzo Bellini s’est emparé de l’histoire pour en faire une œuvre universelle, une charge contre le despotisme, un procès contre la torture. Obsédé par Beatrice di Tenda depuis 25 ans, Peter Sellars donne un nouvel élan à ce bel canto. "C’est un opéra inconnu, méconnu. Bellini est un personnage mystérieux. Béatrice était son avant-dernier opéra. C’est un opéra expérimental qui cherche à ouvrir des nouveaux mondes. À l’époque, c’était un échec total. Avec Beatrice, Bellini a décidé de faire son propre opéra, un opéra de libération, de courage, de challenge à toutes les dictatures", rappelle le metteur en scène américain. À sa création, Beatrice di Tenda n’a eu droit qu’à trois représentations en mars 1833.

Sur scène, à l’Opéra Bastille, le baryton Quinn Kelsey prête admirablement sa voix et son corps à Filippo Visconti. Il est ce duc assoiffé de pouvoir qui, dans les moments de doute, raffermit encore plus son côté autoritaire. "Céderais-tu à leurs plaintes, serais-tu ému, ô mon cœur ? Non : remplace la vile compassion par une rigueur inflexible", chante le futur responsable du féminicide. La soprano Tamara Wilson est saisissante en innocente accablée par l’ingratitude et bouleversante en martyre se dirigeant vers le sacrifice suprême. À noter les prestations des frères Pati, notamment l’aîné Pene en Orombello. La puissance et les nuances de sa voix ont enflammé la salle. Le ténor conforte, opéra après opéra, son immense talent. Béatrice di Tenda, un opéra dans un tourbillon d’émotions qui s’adresse aussi à la raison.

La fiche

Titre : Beatrice di Tenda

Musique : Vincenzo Bellini

Livret : Felice Romani

Mise en scène : Peter Sellars

Direction musicale : Mark Wigglesworth

Décors : George Tsypin

Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu

Durée : 3h avec 1 entracte

Langue : italien - surtitrage français / anglais

Lieu : Opéra Bastille, place de la Bastille, 75012 Paris

Jusqu’au 7 mars 2024

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