A Bastille, "Faust" ou le grand opéra français dans toute sa gloire
On l’avoue, on n’avait pas réécouté ce « Faust » de Gounod depuis bien longtemps. On avait quelques raisons : pour les familles bourgeoises « Faust » était, avec « Les pêcheurs de perles », « Le roi d’Ys » ou « Mireille » (mais pas « Carmen », trop sulfureux, « Carmen »!) un de ces piliers du répertoire dont on fredonnait les airs. Dans la modernité forcenée des années 70 il était donc devenu le prototype de l’opéra de papa, couvert d’une couche de poussière sulpicienne, que la délicieuse caricature d’Hergé («AAAAAh! je ris… Ciel, mes bijoux ! ») n’avait guère rehaussé.
On s’est donc installé l’autre soir intrigué, et aussi par le nom du jeune metteur en scène, Jean-Romain Vespérini, dont on n’avait guère apprécié une « Dame de la mer » d’Ibsen avec Jacques Weber l’an dernier. Et « Faust » est autrement plus ambitieux !
On est ressorti très content
On est ressorti quatre heures plus tard (oui, « Faust », c’est long, mais on ne s’ennuie jamais), très content. Et d’abord de la direction de Plasson: le sens de l’architecture, la poésie, la volupté sonore (rendant justice à la beauté constante de la partition), le respect des équilibres voix-orchestre, le soutien permanent aux chanteurs, un magnifique sans-faute qui galvanise aussi orchestre et chœur (dont les ténors pourraient être plus présents) Le reste n’est pas mal non plus.
Œuvre étrange. « Faust », ce monument, ce mythe de la littérature, obsède Gounod depuis sa jeunesse. Mais il en fait SON Faust. Oubliant Goethe, la philosophie, l’humaine condition, le savoir du monde. Le Faust de Gounod veut retrouver l’éternelle jeunesse pour s’envoyer en l’air ! « A moi les jeunes maitresses, à moi l’énergie des instincts puissants et la folle orgie du cœur et des sens » Faust en hédoniste obsédé, sans même le sens de la liberté de Don Juan, cela désespérait Wagner…
Mais, le sort de Faust scellé, apparait Marguerite, et c’est elle qui intéresse Gounod : jeune fille ambigüe, frivole (fascinée par les bijoux), séduite (facilement) et abandonnée, infanticide, bref, qui a tout faux devant la justice humaine. Or ce n’est pas elle, c’est Dieu, qui a le dernier mot. Dieu ou le Diable. Dont les jugements (derniers) sont beaucoup plus inattendus que ceux des hommes.
Ou est-ce le grand cauchemar d’un Faust agonisant ? C’est la séduisante théorie de Jean-Romain Vespérini. Décor spectaculaire (celui de Martinoty) : une construction de trois étages, à claire-voie, balcons ajourés peints en blanc, bibliothèque à cour et jardin montant… jusqu’au ciel (le savoir universel). Tout se jouera là, dans un mélange de réalisme et de fantastique que Vespérini revendique mais qu’il n’applique pas toujours bien : la rencontre des amants est un peu convenue, la nuit de sabbat, avec ses invités aux masques de lion, manque d’ampleur et de frénésie. Mais il y a de belles idées : Méphisto en évêque alla Borgia, la fin, si casse-gueule et, là, très réussie, la rencontre initiale entre Méphisto et Faust (Beczala incroyablement crédible en vieillard).
Piotr Beczala est formidable
Et justement : Piotr Beczala est formidable. C’était aussi un pari de confier cet opéra si français à un Polonais, une Bulgare et un Russe. Il est vrai que le plus bel enregistrement de « Faust » réunit une Espagnole, un Bulgare et un Suédois! Beczala donc, diction honnête (pourtant le garçon ne parle pas français) et… voix d’or : quels aigus, quels diminuendos, quelle franchise dans chaque note! Et quel justesse dans un rôle difficile : crédible en vieillard, un peu emprunté (comme il le faut) en amoureux, quelque chose d’un automate (est-ce son idée? celle de Vespérini?), comme sous hypnose, envoûté par son mentor, quand il est avec Méphisto.
En Méphisto Ildar Abdrazakov n’en fait pas trop, et c’est très bien : frac et pelisse noire, il est entre le bourgeois de Labiche et le truand marseillais façon Belmondo-Delon dans « Borsalino ». Gros chat gourmand et voluptueux, aux griffes d’autant plus redoutables…
On est plus réservé sur Krassimira Stoyanova dont le chant au début peine à séduire : un « Roi de Thulé » terne, des « Bijoux » qui ne scintillent jamais. La scène d’amour, surtout, ne nous montre pas une jeune fille qui résiste encore un peu (par devoir) aux sentiments éperdus qui l’envahissent mais plutôt une femme un peu mûre, qui lutte contre un dernier amour proposé par un homme plus jeune. Heureusement elle se révèle dans le drame: son air devant le rouet est, enfin, émouvant, son personnage, égaré, torturé, perdu, dévasté, sombrant dans la folie comme Lucia di Lamermoor, convainc de plus en plus avant la rédemption finale. Bons Valentin du Canadien Jean-François Lapointe et Siebel de la Lyonnaise Anaïk Morel : eux, on les comprend sans surtitres !
Collection de tubes
Mais (pour en revenir à la musique et à nos ancêtres), c’est vrai, quelle collection de tubes : cette valse si célèbre qu’on la croirait écrite par Strauss, le « Il était un roi de Thulé », le « Ah ! je ris… », le « Salut, demeure chaste et pure » de Faust, le « Gloire immortelle de nos aïeux » chanté par les soldats, le « Avant de quitter ces lieux » de Valentin, la ronde du Veau d’or de Méphisto. Et, bien sûr, « Ne brisez pas le cœur de Marguerite » et « Anges purs, anges radieux »… On se sentirait presque prêt à poursuivre le rituel familial avec nos enfants. Avec les petits-enfants, ce sera peut-être un peu plus dur.
« Faust » de Charles Gounod à l'Opéra-Bastille jusqu’au 28 mars
Direction Michel Plasson, mise en scène Jean-Romain Vespérini,
Les 25 et 28 mars Piotr Beczala cède la place au jeune Américain Michael Fabiano.
Réservation : 01 40 01 19 70
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