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Rencontre avec Lenine, fabuleux troubadour du Brésil

Depuis mars, le chanteur et guitariste brésilien présente sur scène l'album "Chão", qui signifie "sol", mais aussi "racines" entre autres sens possibles, son dixième disque (dont deux "live") depuis 1983. La tournée compte trois escales françaises, à Toulouse (jeudi soir), Paris (ce vendredi) et Vienne (le 24 juin). L'occasion était trop belle pour ne pas rencontrer cet auteur, compositeur et interprète, très populaire dans son pays, et bien au-delà.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Lenine est de retour !
 (Hugo Prata)

Osvaldo Lenine Macedo Pimentel, plus simplement connu comme Lenine, doit son deuxième prénom à son père communiste. Quand il était enfant, sa mère, catholique pratiquante, l'emmenait sans faute à la messe. Voilà un grand écart qui aura contribué à forger un regard perçant, lucide et forcément nuancé sur le monde.

Depuis une trentaine d'années, Lenine, natif de Recife, installé à Rio de Janeiro, traduit en chansons ses expériences et observations sur la vie et le genre humain. A 53 ans, il fait partie des artistes les plus respectés de la "musique populaire brésilienne", la fameuse "MPB", comme ils disent là-bas. Il n'en est pas moins resté un grand garçon adorable, énergique et chaleureux. Un grand garçon désormais grand-père, qui travaille avec son fils Bruno Giorgi et qui a mis une photo de son petit-fils, Tom, sur la pochette de son dernier album. Bruno Giorgi, 23 ans, est à la fois le producteur et l'architecte sonore du disque. Sur scène, ce dernier forme un trio avec son père et le guitariste Junior Tolstoi.

Junior Tolstoi, Lenine et son fils Bruno Giorgi
 (Daniel Chiacos)
Pour "Chão", un disque familial et intimiste, Lenine a troqué les traditionnelles percussions pour des sonorités inattendues, puisées dans son propre quotidien (une tronçonneuse, les battements de coeur de son petit-fils, une machine à laver...). Il prolonge cette expérimentation sur scène : il propose une scénographie sonore tout à fait inédite pour son spectacle, et que l'on a hâte de découvrir.
 

Extrait-teaser de "Chão", la chanson-titre de l'album...


... et sa version acoustique, à France Inter (11 juin 2012)

Nous avons rencontré Lenine mardi après-midi à la Maison de la Radio. Arrivé du Brésil la veille, malgré un double "jet lag", Lenine, sortant tout juste d'une émission de radio pour RFI, où son dynamisme communicatif a fait merveille, s'est prêté avec patience et humour au jeu de l'interview, en portugais, et parfois dans un français plus que respectable.

- Culturebox : Vous décrivez votre nouveau disque, "Chão", comme un album "électro, organique et concret". Pouvez-vous nous en dire plus ?
- Lenine : C'était une tentative de mettre une étiquette sur ce travail, ce que j'ai beaucoup de difficulté à faire en général. Une tentative d'expliquer l'inexplicable ! Je fais de la musique, point. Je n'ai pas vraiment besoin d'adjectif. Tout au plus, je peux dire que je fais de la musique contemporaine, puisque je suis en train de la faire maintenant, c'est la seule connotation que je puisse vraiment donner. En vérité, je ne devrais pas avoir besoin d'expliquer ce que je fais, ce n'est pas mon rôle. Cela dit, en faisant cet album, je me suis rendu compte de trois choses. La première chose, c'était l'électronique, avec l'utilisation de choses qui ne sont pas banales lors de l'enregistrement. La deuxième chose, c'est la façon dont j'ai utilisé ces sons. Ils ont été repris tels qu'ils ont été enregistrés, sans aucune manipulation, d'où le mot "organique", l'idée d'une chose concrète. En conséquence, toutes les chansons de cet album sont dénudées, dépouillées. J'ajoute donc le mot "intime". C'est l'album le plus intime que j'aie jamais fait.
 

Extrait de "Amor é pra quem ama" (L'amour est pour celui qui aime)

 

- Comment l'idée d'utiliser des bruits de la vie quotidienne vous est-elle venue ?
- Du canari de ma belle-mère ! Quand on a commencé à enregistrer l'un des premiers titres de l'album, la porte du studio était entrouverte, et le chant du canari a été enregistré par hasard. Quand on a écouté l'enregistrement, on a constaté que non seulement il chantait juste, dans le ton de la musique, mais qu'il accompagnait également le rythme ! Je me suis aperçu qu'il fallait que j'assume tout cela. J'ai installé un micro devant la cage du canari, j'ai demandé le silence absolu dans toute la maison et on a enregistré le chant. Ce que vous entendez sur le disque, c'est ce que le canari a chanté. je n'ai ni coupé, ni modifié ce document. Il incombe à ce canari la responsabilité de m'avoir montré que je pouvais utiliser des sons du quotidien dans l'enregistrement, au lieu des percussions que je sollicite habituellement ! Au moment où j'ai commencé à enregistrer, je n'avais écrit que deux chansons. A partir de cet événement, j'ai commencé à composer la suite en réfléchissant, à chaque fois, à quel élément sonore du quotidien j'allais pouvoir utiliser.


Extrait de "Envergo mas não quebro" (Je plie mais je ne romps pas)


- A partir de là, toutes les chansons ont donc été enrichies par des ornementations sonores particulières...
- Seul le titre "Envergo mas não quebro" (Je plie mais je ne romps pas) avait déjà été enregistré avant l'aventure du canari, donc sans effet de son particulier. Mais dès que j'ai pris le parti d'utiliser ces sons, j'ai réalisé que je pouvais changer la compréhension, l'écoute que l'on pourrait avoir de cette chanson. Il a suffi de deux petits ajouts. Le premier, c'est une tronçonneuse, et le second, à la fin, c'est la chute d'un arbre qu'on a scié. Elle est enregistrée à deux décibels au-dessus du son du disque. En vérité, quand j'ai écrit et enregistré cette chanson, elle avait une dimension très autobiographique, je parlais de moi. Au moment où j'y introduis ces bruits, la chanson prend une dimension planétaire, ce n'est plus moi.

Extrait de "Isso é só o começo" (Ce n'est que le début)


- On retrouve ici le côté social, humaniste, de vos chansons, qui ne manquent pas non plus d'une certaine dimension philosophique. On se souvient au passage que vous vous revendiquez de l'héritage des troubadours du Moyen Âge...
- C'est au fil de mes lectures que j'ai découvert cette figure historique du troubadour et que je me suis identifié à elle. Le troubadour, en musique, représentait à la fois le journal, la télévision, la radio, les médias, la circulation de l'information, bien avant que tous ces moyens de communications n'aient été inventés. C'est ce que je fais, une sorte de chroniqueur. Des artistes comme Caetano (Veloso, ndlr), Chico (Buarque), et moi-même, nous leurs sommes redevables. Les troubadours étaient les premiers journalistes, chroniqueurs, du XIe siècle. Nous sommes les héritiers de ces personnages merveilleux.

Extrait de "Malvadeza" (méchanceté)


- Revenons aux procédés sonores utilisés sur le disque. Tous ces bruits sont d'autant plus mis en valeur que le disque a été enregistré sans section rythmique, sans percussions.
- Exactement. Le projet de départ, c'était de ne pas avoir de batterie, de percussions. Et à partir du moment où on a opté pour l'utilisation de ces sons, ils ont remplacé la partie rythmique. Cela a permis de séparer les sons de la vie et la musique elle-même. On s'est aperçu du même coup que que tout ce projet s'adapterait très bien à une écoute en quadriphonie. Il s'agissait en fait de récupérer un outil qui a toujours appartenu à la musique, mais dont le cinéma s'était approprié. Sur le spectacle, les sons de la vie sont donc restitués en quadriphonie. Le public se retrouve immergé dedans, avec de nouvelles sensations. Les sons sont partout dans la salle, tandis que la musique, elle, continue sur scène. C'est bidimensionnel.


- Extrait de "De onde vem a canção" (D'où vient la chanson ?)


- Comment le public réagit-il lors des concerts ?
- C'est extraordinaire. On a lancé la tournée en mars au Brésil, dans ma ville natale de Recife, ce qui représente le "chão" pour moi (sourire). Durant les trois premières chansons, le public était pétrifié face à la structure sonore tellement inhabituelle qui avait été conçue pour le spectacle. Les gens ne comprenaient pas que ce procédé de quadriphonie était un outil applicable à la musique. Ce n'est qu'à la quatrième chanson qu'ils ont plongé dans le concert. A ce moment, ils sont devenus comme fous, avec une écoute... de chauve-souris ! Cette quadriphonie permet de créer une architecture musicale, avec des dessins très variés, les sons peuvent circuler de l'avant à l'arrière, de la droite vers la gauche, en diagonale... Quant à Bruno, Junior Tolstoi et moi, nous créons et superposons des boucles sonores, la musique est très vivante, se renouvelle sans cesse. Et nous jouons de tous les instruments. C'est la promiscuité ! (en français)

- Y-a-t-il déjà eu des mauvaises surprises, d'ordre technique, sur scène ?
- Non. Afin de s'en prémunir, avant de lancer la tournée, nous sommes restés enfermés un mois et demi dans un local à Rio, et nous avons testé toutes les possibilités et la façon de réagir à d'éventuels imprévus liés à la mise en place de la quadriphonie. Le disque est sorti au Brésil en octobre. La tournée a démarré en mars, c'est dire si on a pris le temps de se préparer ! J'ai l'habitude de présenter ce spectacle en donnant l'exemple d'une équation : il n'a pas pour inconnues x, y z. Mais l'alphabet entier... Tout est inconnu, car chaque salle possède sa propre configuration.

Lenine
 (Hugo Prata)
- Vous considérez-vous un peu comme un pionnier dans l'utilisation de ces procédés en musique ?
- Le pionnier n'est pas celui qui a découvert quelque chose en premier, c'est celui qui a toujours su ! Moi, je suis juste celui qui ai toujours cherché, toute ma vie. Au fil des ans, je me suis constitué une banque de sons. Quand je me prépare à faire un album, la première chose que je veux faire, c'est avoir recours à des outils absolument originaux et inédits, que les autres n'aient jamais utilisés auparavant. Quand j'écoute une musique à la radio, je suis capable d'identifier exactement chaque instrument utilisé. Or je ne veux pas reproduire ce qui a déjà été utilisé. Et comme j'évolue sans cesse, une fois le disque terminé, il se produit une forme d'exorcisme. Je ne l'écoute plus jamais et je passe à autre chose...

Propos recueillis par A.Y.

Lenine, "Chão"
 (Uni Brasil)
"Chão", album sorti en France le 13 février 2012 (Uni Brazil / Universal Classics)
Chansons signées Lenine, ou co-signées avec Lula Queiroga, Carlos Rennó et Ivan Santos

Lenine en concert le 14 juin 2012 à Toulouse, 22H
Dans le cadre du Festival Rio Loco
Scène Pont-Neuf - Prairie des Filtres
Rue Laganne, cours Dillon (entre le Pont Saint-Michel et le Pont-neuf)
31000 Toulouse
Réservations en ligne ou au 08 92 700 840

Le 15 juin 2012 à Paris (complet), 20H
La Cigale
120, bd de Rochechouart
75018 Paris
Tél : 01 49 25 89 99

Le 24 juin 2012 à Vienne
Théâtre Antique
Dans le cadre d'une Fiesta Latina (avec Casuarina et l'association Roda do Cavaco)
7 Rue du Cirque
38200 Vienne
Réservations au 08 92 702 007 (0,34 €/min)


Pour les amateurs, voici quelques vidéos supplémentaires !
 

Lenine sur scène : "Relampiano", l'une des anciennes chansons qu'il reprend dans la tournée 2012 (extrait du concert parisien "In Cité" - DVD BMG, 2005)


Les autres extraits-teasers du disque :


"Seres estranhos" (êtres étranges)


"Uma canção e só" (Juste une chanson)


"Se não for amor, eu cegue" (Si ce n'est pas de l'amour, que je sois aveugle)


"Tudo que me falta, nada que me sobra" (Tout ce qu'il me manque...)

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