"Like a virgin" : 14 septembre 1984, le jour où le monde a découvert Madonna (et ses sous-vêtements)
Ce jour-là, Madonna participe aux premiers MTV Video Music Awards. L'occasion pour la chanteuse, qui fête ses 60 ans jeudi, de se livrer à une provocation dont elle a le secret. Récit de ce jour qui l'a fait entrer dans la légende.
L'affiche est alléchante. Pour la première fois, à New York, on récompense des clips musicaux. C'est la chaîne américaine MTV qui organise sa propre cérémonie. Nous sommes le 14 septembre 1984 et les MTV Video Music Awards vont donner un sérieux coup de vieux aux Grammy et autres Oscars. David Bowie reçoit un prix pour China girl, Michael Jackson est couronné pour son Thriller, de même que Cindy Lauper pour Girls just want to have fun, Eurythmics pour Sweet dreams (are made of this), The Police pour Every breath you take ou encore Van Halen et son Jump.
Mais ce parterre d'artistes prestigieux va se faire voler la vedette. Lors de la cérémonie, Madonna va interpréter pour la première fois le single de son prochain album Like a virgin ("Comme une vierge"). A 26 ans, Madonna Louise Ciccone a déjà sorti un premier album en 1983. Il a connu un succès relatif aux Etats-Unis, avec notamment le titre Holiday qui fait danser en boîte de nuit. Like a virgin est une chanson écrite par Billy Steinberg et Tom Kelly. Steinberg raconte qu'il a voulu décrire l'état dans lequel on se sent lorsque l'on arrive à se détacher d'une relation amoureuse difficile et que l'on parvient à en débuter une nouvelle. Du romantisme à l'état pur.
"Comment peut-on être 'comme une vierge' ?"
"Je ne savais pas à quel point j'étais perdue / Jusqu'à ce que je te trouve / J'étais battue, incomplète / Je me suis fait avoir, j'étais triste et déprimée / Mais tu m'as fait me sentir (...) / Brillante et nouvelle / Comme une vierge / Touchée pour la première fois / Comme une vierge / Quand ton cœur bat contre le mien", chante Madonna. D'abord dubitative, elle comprend le potentiel ambigu du texte lorsqu'elle le chante. Interrogée par Rolling Stone (en anglais), en 2009, au sujet de Material girl (autre single de l'album) et de Like a virgin, la chanteuse explique : "Je les aimais toutes les deux parce qu'elles étaient à la fois ironiques et provocatrices, mais aussi différentes de moi."
Je ne suis pas quelqu'un de matérialiste et je n'étais certainement pas vierge. D'ailleurs comment peut-on être 'comme une vierge' ? J'aime les jeux de mots, je trouvais ça malin et cool.
Madonnaà "Rolling Stone"
Pour produire la chanson, Madonna fait appel à Nile Rodgers, ancien membre du groupe Chic, auteur du tube Le Freak. La recette est simple : "La voix (...) est seule à porter toute la chanson", explique Rebecca Manzoni, qui a décortiqué le tube sur France inter. "Madonna qui couine et une prise de son qui renforce ses aigus de Lolita", résume la journaliste. Pour ce qui est de la mélodie, un balancement synthétique emprunté à la soul est répété en boucle. Ajoutez à cela un emprunt (assumé) à l'introduction du Billie Jean de Michael Jackson.
"Boy toy"
Voilà pour la chanson. Pour l'interprétation, il reste à trouver la mise en scène, forcément ambiguë, pour les MTV Video Music Awards. Ce soir-là, elle débarque au sommet d'un gâteau géant de mariage. Vêtue d'une robe de mariée, d'un voile, elle porte à la taille une ceinture sur laquelle on peut lire "Boy toy" (jouet pour garçon). A son cou, du clinquant : de nombreux colliers de perles et des crucifix. En descendant les marches de son gâteau, Madonna perd l'une de ses chaussures à talons. Pour la récupérer, elle va alors s'asseoir, puis carrément s'allonger sur scène, mimant un acte sexuel. A la fin de la chanson, la tension est à son comble quand elle laisse entrevoir sa culotte et ses porte-jarretelles.
"En 1984, une femme qui mime le sexe, en robe de mariée et dentelles, à la télé, c'est comme pour les coups de reins d'Elvis en 1958, on n'était pas habitués à ça !", décrypte Rebecca Manzoni. Ange désirable aux yeux des uns, provocatrice vulgaire pour d'autres. L'Amérique puritaine et conservatrice – qui s'apprête à réélire Ronald Reagan – s'étouffe. La Moral Majority (un puissant lobby chrétien) tente de la faire censurer. Mais pas seulement : des féministes estiment aussi que Madonna véhicule une image dégradante de la femme.
La chanteuse raconte à Rolling Stone qu'après sa prestation son manager était livide, "blanc comme un linge". "Il était très déçu parce que je m'étais roulée par terre, ma robe s'était soulevée et on avait pu voir mes sous-vêtements", explique Madonna.
A quoi je pensais ? 'Ma chaussure est tombée, je ne sais pas comment la récupérer et la remettre, je me jette au sol.' (...) C'était effrayant et fun à la fois. Je ne savais pas ce que cela signifiait pour mon avenir. Un million de choses me sont passées par la tête.
Madonnaà "Rolling Stone"
"L'allure Madonna débarque dans les rues"
Après les MTV Video Music Awards, les ventes du premier album de Madonna (sorti en octobre 1983) décollent aux Etats-Unis et dans le monde entier. Il se classe en huitième place du classement des meilleures ventes d'albums de Billboard en octobre 1984, à peine un mois après sa prestation lors de la cérémonie. Like a Virgin sort le 12 novembre 1984, il sera numéro un aux Etats-Unis et dans de nombreux pays européens. Madonna devient la "première femme de l'histoire de la pop à connaître un succès de la même ampleur qu'un Michael ou qu'un Elvis", explique Rebecca Manzoni.
Star mondiale, Madonna devient plus qu'une simple chanteuse. C'est une icône et un sex-symbol. Après Like a virgin, "l'allure Madonna débarque dans les rues, les sous-vêtements sont portés sur les tee-shirts et les bijoux sont strassés, écrit Libération. Les filles l'imitent, les gays l'adorent, les chrétiens sont outrés et les autres perplexes."
Moins d'un an plus tard, en septembre 1985, Le Monde (article abonnés) tente de décrypter le succès de Madonna. "Il est là, le phénomène Madonna (deux millions du premier album vendus, six millions du second et autant de 45 tours) : dans l'identification adolescente, Michael Jackson, Culture Club ou Prince, c'est le même phénomène, estime le journaliste Alain Wais. Mais cette fois il s'agit d'une femme, et c'est la première fois. Janis Joplin était un culte, Tina Turner un monstre. Sans chercher à leur ressembler, on les aimait pour ce qu'elles sont. Madonna est un modèle, on l'aime pour sa façon d'être."
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