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Le clash Booba-Rohff-La Fouine expliqué à ma mère

Les trois rappeurs s'affrontent depuis des mois par morceaux interposés. 

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le rappeur Booba, le 2 avril 2011 lors d'un concert au Havre (Seine-Maritime). (COLLOT / SIPA)

Maman,

Tu m'as écrit un e-mail hier pour me demander de t'expliquer ce qu'il se passait entre les rappeurs Rohff, Booba et La Fouine, dont on commence à parler dans les grands médias. C'est vrai que lundi 4 février à l'aube, la voiture du troisième a été atteinte par deux balles de 22 long rifle, alors qu'il se trouvait à bord.

Cela rappelle des mauvais souvenirs aux amateurs de rap : en 1996, l'Américain Tupac s'était fait tuer dans des circonstances mystérieuses, après deux ans d'insultes et de menaces avec son concurrent The Notorious B.I.G. Mais revenons à ce qui nous préoccupe : la rivalité chantée, tweetée et "YouTubée" entre Booba d'un côté, et Rohff et La Fouine de l'autre.

Première collaboration, premier différend

Tout commence en fait au début des années 2000. Rohff, qui est originaire de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), est alors assez connu du grand public : il a participé à des compilations aux côtés des grands noms du rap français de l'époque, comme les Neg'Marrons ou Pit Baccardi.

Le succès de Booba est lui plus confidentiel. Avec son groupe Lunatic, il traite de thèmes difficiles de manière sombre et il séduit surtout les amateurs. Cela n'empêche pas les deux rappeurs de s'estimer et de collaborer : en 2001, ils signent un titre commun, C'est nous la rue, avec Rim'K, un membre du 113 (tu sais, maman, ceux qui chantent Tonton du bled).

Rohff comptait inclure ce titre dans son deuxième album, sorti en septembre 2001, mais un désaccord entre labels fait capoter le projet. Cette discorde rafraîchit les relations entre les deux hommes : pendant les dix années qui suivent, ils s'envoient des piques sur l'éventuelle supériorité de l'un sur l'autre dans le rap, sans jamais se nommer.

"Zoulette" contre "Morray"

Ce froid reste en sommeil jusqu'à la fin du mois d'août 2012. Le 27, Rohff passe dans l'émission "Planète Rap" de la radio Skyrock, et glisse au détour d'une phrase qu'il n'est pas comme "l'autre zoulette [fille qui adopte la mode hip-hop] de Booba", qui ferait "du bruit pour rien". Le rappeur visé ne répond pas, mais publie dix jours plus tard sur son compte YouTube Wesh Morray, le premier morceau extrait de son nouvel album. Pendant près de 4 minutes 30, on y entend Booba se lancer des fleurs et critiquer ses concurrents sans les désigner. Je préfère te prévenir, maman, le titre n'atteint pas des sommets de distinction, loin de là !

Rohff se sent visé par le morceau. Sur sa page Facebook, le rappeur vitriot menace d'abord de "baiser" son concurrent des Hauts-de-Seine, avant de lui répondre le 11 septembre en utilisant exactement la même musique. Dans ce titre, Wesh Zoulette, les accusations pleuvent : Booba aurait rempli ses salles de concerts en offrant des milliers d'invitations, n'aurait pas grandi dans des conditions difficiles, et n'aurait pas profité de sa renommée pour faire connaître des artistes moins célèbres.

C'est à partir de ce moment-là que la rivalité s'exacerbe vraiment, maman. Des médias spécialisés organisent des micro-trottoirs pour demander aux amateurs quel rappeur est le meilleur, Booba déclare dans une interview à Metro être prêt à en venir aux mains avec son concurrent, et Rohff vend des t-shirts "Wesh Zoulette".

La Fouine s'en mêle, les internautes aussi

Tout cela en serait peut-être resté là sans l'intervention de La Fouine, un autre rappeur qui s'est fait connaître en 2007, à l'occasion notamment d'un duo avec Booba. Dans le clip Paname Boss, mis en ligne le 2 novembre 2012, il lâche : "J'entends ce clash sur toi partout sur les ondes / Mais comme un appel à la mosquée, tu peux pas répondre." Booba prend ce tacle pour lui, et les deux commencent à s'invectiver. L'un affirme avoir rencontré l'autre, qui se serait défilé, le second affirme le contraire, et les fans de chacun des deux rappeurs mettent des vidéos en ligne pour soutenir leur champion.

A la fin du mois de décembre, des internautes anonymes mettent de l'huile sur le feu : ils se font passer pour des officiers de police, et arrivent à soutirer à un commissariat des informations concernant le passé judiciaire de Rohff, Booba et La Fouine. Tu t'en souviens peut-être, nous en avions parlé sur francetv info.

DLTFTV_MAM_2887327 (Clément Le Goff)

Des "clashs" dégainés toutes les semaines

La querelle reprend un tour musical le 21 janvier. Ce jour-là, Booba publie un single inédit, A.C. Milan, dans lequel il raille Rohff et se sert des fameuses données policières pour accuser La Fouine de pédophilie. Sur Twitter, ce dernier réplique à coups d'insultes, et donne rendez-vous à Booba pour une réponse en musique.

Suit donc le morceau Autopsie 5, dans lequel La Fouine dément les accusations. La suite n'est pas très glorieuse : le 3 janvier, Booba et La Fouine publient chacun un nouveau titre, appelé à chaque fois T.L.T. Le premier en profite pour continuer d'accuser l'autre de pédophilie, et La Fouine se moque d'une photo d'un sexe qui serait celui de Booba. Elégant, non ? En tout cas, c'est la nuit suivante que la voiture de La Fouine recevra des balles.

Un simple coup marketing ?

Voilà donc l'essentiel, maman. Je te connais, je sais bien que tu te demandes si tout ça n'est pas du pipeau, un simple coup marketing pour vendre des disques. Je me suis aussi posé la question, alors j'ai passé un coup de fil à un spécialiste : Olivier Cachin, qui a écrit Les 100 albums essentiels du rap et présentait au début des années 1990 l'émission de télé RapLine.

Il est plutôt mitigé. "En France, on aime bien voir un complot derrière ces choses-là. Ça se comprend : Booba et La Fouine ont tous les deux sorti un album récemment", m'a-t-il expliqué. "Mais d'un autre côté, La Fouine a annulé des opérations de promo après les fameux tirs, pour des raisons de sécurité."

Pour lui, "l'exercice de style de ces trois-là est classique : insulter, humilier... tout ça fait partie de l'histoire du rap, des années 1970 jusqu'à aujourd'hui". Il est en revanche "surpris par l'intensité et la durée de ce clash". Au point de craindre des dérapages violents ? "Même s'ils ne se diront sans doute pas bonjour la prochaine fois qu'ils se croisent, j'ai du mal à croire qu'ils puissent se battre", m'a expliqué Cachin. "Le vrai problème, ce sont les centaines de milliers de fans qu'ils ont sur les réseaux sociaux", qu'il sera difficile de surveiller.

Voilà, j'imagine que tout ça ne t'a pas donné une très bonne image du milieu du rap. C'est promis, la prochaine fois, je te ferai découvrir d'autres artistes !

Je t'embrasse,

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