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La "Folle journée" acte 2 : quand l’Amérique est jouée par le monde entier

Une journée, en effet, où la musique américaine est interprétée par une Japonaise, huit Britanniques, quelques Français et plusieurs Russes. L’Amérique, continent-monde…
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Voces 8 à la Folle Journée de Nantes
 (FRANK PERRY / AFP)

Une des vertus de « La folle journée », c’est de s’adresser à tous les publics. Vraiment. Mercredi j’étais entouré d’enfants au concert de Bernstein. J’ai dû expliquer à Julien (« 9 ans et demi (silence), 10 ans le 7 mars ») que « West Side Story » (qu’il ne connaissait pas), c’est une belle histoire d’amour sur fond de rivalité entre bandes comme dans les « battles ». Il ne savait pas non plus ce qu’étaient les « battles », c’est plutôt rassurant.

Donner à découvrir la musique à ceux qui n’y ont pas accès. Trois handicapés devant moi, deux très sages, le troisième qui s’agite, que la musique agite peut-être. Il finit par sortir, entraînant les deux très sages. A côté un autre groupe restera, jusqu’au bout, attentif. A Barbara Hendricks, une dame : « Je ne connais rien à la musique classique ». Cela tombe bien, ce n’en était pas. Mais ici personne n’a honte de ne pas connaître.

Barbara Hendricks à Nantes le 29 janvier 2014
 (Frank Perry/AFP)
Moi-même… Etsuko Hirose pianiste japonaise. Elle joue Amy Beach, une femme compositeur qui eut du succès vers 1900, y compris en Europe. C’est entre Tchaïkowsky version cake-walk et Chopin. Virtuose, agréable, aussitôt oublié. Hirose, excellente musicienne, ne nous passionne guère pour « Touches » de Bernstein où « Lenny » nous fait du swing… sériel, improbable mélange.  Mais remarquable sonate de l’Argentin Ginastera (l’autre Amérique, celle du Sud, cruellement absente de Nantes), écriture tourmentée, rythmes syncopés, accords martelés. En bis, un ébouriffant ragtime de William Bolcom, pianiste et compositeur trop méconnu (si vous trouvez ses Gershwin, précipitez-vous).

Voces 8. Groupe vocal britannique qui chante de tout, depuis le grégorien et Bach jusqu’à ce programme, « Sacred, spiritual et swing »: des aspects de l’Amérique qui se contredisent… Voix magnifiques (6 hommes, 2 femmes), technique impeccable, virtuosité. Sauf que… tout se ressemble. Le negro spiritual « Steal away » est de l’eau tiède comparé à ceux d’ « American Spiritual ». Leur Nat King Cole n’a pas l’intensité du modèle et dans « America » (de « West Side Story »), ils incarnent des Portoricains buvant du Darjeeling. Mais très beau « Maria » et un « Ave Maria » d’un certain Biebl, réussi car… pas du tout américain. Comme quoi Américains et Anglais, ce n’est pas le même peuple.
Voces 8
 (FRANK PERRY / AFP)
3 concertos pour piano. Mon 4e de Martinu (que je vous ai mis dans mes incontournables). J’avais un peu peur. Claire Désert est une fine musicienne mais qui manque parfois d’envergure. Elle fait mieux que se défendre : variété des climats respectée (c’est un concerto violent, poétique et nocturne, tourmenté et joyeux), puissance (malgré un manque de tranchant), justesse et limpidité du jeu. Le chef, Robert Trevino, galvanise les musiciens polonais de l’orchestre, qui comprennent fort bien l’oeuvre de ce voisin tchèque. Et ils réussissent à mettre de la poésie dans le concerto si austère de Schönberg (Florent Boffard les y aide, qui a cette musique dans le sang). Mais… Schönberg espérait qu’un jour on fredonnerait ses mélodies comme on fredonne celles de Mozart. Ce temps n’est pas (encore ?) venu !

Le concerto de Gershwin : la beauté des mélodies, l’esprit du jazz, les trouvailles d’orchestre (les percussions), la limpidité (et la virtuosité !) de l’écriture de piano. Un mouvement lent à tomber de poésie qui ressemble à une promenade de nuit dans Central Park éclairé par la lumière des gratte-ciel. Hélas ! Frank Braley m’a semblé un peu absent, jouant (bien) les notes mais en service minimum, sans vrai partage. Dommage pour Dimitri Liss, le chef russe, enflammant son orchestre de l’Oural parfois un peu lourd (mais quelle progression en quelques années !).
The Ural Philharmonic Orchestra dirigé par Dimitry Liss
 (FRANK PERRY / AFP)
Incroyable Andrei Korobeinikov ! Droit comme un officier mais un sourire d’enfant. Etrange et magnifique programme: le « Köln Concert » de Keith Jarrett. Jarrett jouait d’un côté Bartok, Mozart et Bach, de l’autre accompagnait Art Blakey. Le piano, grâce à lui, évoluait vers le free jazz, la world music, des harmonies orientales, un monde… que Korobeinikov joue comme s’il jouait Beethoven, doigts d’acier, sens des lumières immobiles et changeantes d’une pareille musique. Puis des « Ragtimes » de Scott Joplin dont le fameux « Entertainer » popularisé par le film « L’Arnaque ». Korobeinikov, chapeau-melon et cigare au bec, nous convainc que ces œuvres sont grandes avec un bonheur contagieux.

Le soir, il accompagne la basse Pavel Baransky en vrai partenaire, qui prend le relais quand la voix se tait pour une conclusion de grand musicien. Les lieder de Schönberg et Krenek en tirent une force inédite (Krenek, auteur d’un « jazz opéra », « Jonny spielt auf », qui triompha à Berlin en 1927, fut mis par les nazis au rang des « compositeurs dégénérés »). Quant au Kurt Weill de l’exil, il oublie son génie dans la comédie musicale (« Buddy on the night shift ») Et le retrouve dans les magnifiques « Four Walt Whitman songs ». Incroyable « Beat ! Beat ! Drums ! » où la basse Baransky monte dans les aigus, finit en voix de tête (quelle tessiture !), redescend dans des graves sonores et terribles pendant que Korobeinikov fait trembler son piano.

A part ça le café au bar est toujours aussi cher… mais ceux qui nous le servent sont toujours aussi gentils

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