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Jennifer Lopez, Rihanna, Nicki Minaj : pourquoi leurs fessiers font jaser

Depuis quelques années, les arrière-trains ont supplanté les seins dans la culture pop. Retour sur cette révolution cul(turelle).

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La rappeuse américaine Nicki Minaj affiche une tour Eiffel sur son postérieur, à Orlando, en Floride (Etats-Unis), le 26 février 2012.  (JEFF HAYNES / REUTERS )

Vingt-cinq ans séparent Sabrina de Rihanna. La première, Italienne, chantait Boys (Summertime love) dans une piscine en 1987, la poitrine saucissonnée dans un haut de bikini dix fois trop petit. La seconde, Barbadéenne, descend en twerkant de son trône à la fin du clip de son single Pour it up, en 2013. Ses seins, les pauvres, suscitent presque l'indifférence à côté de, suivez mon regard : ses fesses. La caméra les suit, les siennes et celles de ses danseuses, cambrées sur des barres de pole dance. Rihanna, Nicki Minaj, Miley Cyrus... Les stars de la pop grand public misent désormais sur leur "booty". 

Alors que Jennifer Lopez, diva assise sur 27 millions de dollars, profite pleinement à 45 ans de ce "phénomène" qu'elle a contribué à nourrir à la toute fin du siècle dernier (voir ci-dessous son nouveau clip, Booty), francetv info revient sur un changement pas si anodin. De quoi questionner la vision du monde sur le corps féminin. 

Les fesses questionnent le féminisme

"J'aime les filles avec des grosses fesses", scandait Sir Mix-A-Lot au début des années 1990. Vingt ans après, voilà le même titre revisité, mais par une femme : la rappeuse américaine Nicki Minaj. "Oh mon dieu, regardez ses fesses !" reprennent les chœurs dans son morceau Anaconda (2014). "J'ai un bon gros cul ! Je veux voir les gros cul sur la piste", répond-elle. Si les fans de chansons françaises à texte ne voient pas d'évolution flagrante entre ses deux parutions, il en existe une, ici résumé par Noisey (en anglais) "Maintenant, Nicki, J-Lo [Jennifer Lopez], Iggy [Azalea] et les autres bougent leurs derrières comme le faisaient traditionnellement les danseuses en arrière-plan, mais cette fois, elles ne le font pas pour un type qui fument des cigares." Les pop stars féminines afficheraient donc leur contrôle sur leurs corps en vantant, via leurs formes, leur propre sexualité.

Hypersexualisée, Nicki Minaj l'est, mais à sa façon, revendique-t-elle dans Lookin'Ass, tout en assurance et controverses (son féminisme, comme celui de Beyoncé, est régulièrement sondé, analysé et décrypté comme s'il s'agissait du Boson de Higgs).

Il y aurait donc, comme le suggère Slate.com (en anglais), le "bon butt", c'est-à-dire le gros derrière "fun" et "confiant" exhibé par Nicky Minaj, et le "mauvais butt", vulgaire, offensant, de la Spider Woman dessinée par Milo Manara, fruit d'un fantasme masculin : le "male gaze" (regard de l'homme), dominant dans la pop-culture et la culture tout court.

Les fesses questionnent les différences de cultures

Fannie Sosa enseigne le twerk, notamment à Paris, et donne des conférences sur cette danse qui, bien qu'ancestrale, a récemment secoué les médias. Pour elle, l'attention récente portée au derrière résulte d'une appropriation, par la culture occidentale, d'un pilier de la culture africaine et sud-américaine. "On constate depuis plusieurs années que les caractéristiques du corps noir, comme les courbes, sont acceptées comme des corps 'pop'. Ces critères issus de la rue et du ghetto sont progressivement récupérés et intégrés aux codes de la mode grand public", explique-t-elle. Ainsi, Vogue (en anglais) s'est récemment enthousiasmé pour cette "ère du gros popotin". De Bootylicious des Destiny's Child en 2001, au dernier J-Lo, la bible de la mode assure que la "fessisation de la pop est désormais complète". Un point de vue qui exaspère Fannie Sosa : mettre en avant les fesses bien rebondies, encenser et respecter la fesse, "cela existe depuis la nuit des temps dans de nombreuses cultures, mais il suffit que la culture occidentale, autrement dit, la culture blanche, se l'approprient pour que tout le monde croient en l'émergence d'un phénomène nouveau", déplore l'artiste, qui tranche : "Les fesses sont ici un argument marketing, une mode."

En effet, l'Occident, à commencer par l'Amérique blanche (et l'Europe dans son sillage), peine à dompter le concept de saillant postérieur. C'est normal. "Dans la tradition occidentale, chrétienne, les femmes ne sont pas à l'aise du tout avec les fesses. Dans l'histoire, c'est une partie du corps méprisée, cachée, qui revêt un érotisme vu comme transgressif", explique le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur de La guerre des fesses (éd. Lattès, 2013). En gros, si vous êtes blanche et européenne, cela fait bien 2000 ans que l'on vous dit que jouer de son beau fessier, c'est un péché.  "Historiquement, [en Occident] les fesses étaient aussi moquées, tournées en dérision, ajoute le sociologue. Comme dans le fait de baisser son pantalon pour montrer ses fesses à quelqu'un." 

Outre une poignée de fières P.A.W.G ("Phat ass white girls", les "blanches à grosses fesses"), la plupart des stars blanches de la pop manient en effet le booty avec un soupçon d'ironie. Le twerk, par exemple, leur pose un problème. L'Anglaise Lily Allen n'y arrive pas dans le clip de Hard out here et s'en amuse. Quand l'Américaine Taylor Swift s'y essaye naïvement, elle lance par inadvertance un débat national autour de son clip Shake it of ( Raciste, pas raciste ? se demande-t-on jusqu'au Washington Post, en anglais). Quant à Miley Cyrus, sa tentative de twerk a été jugée par beaucoup comme le comble de la subversion.

Cependant, pour Jean-Claude Kaufmann, le fait que la culture dominante s'intéresse au derrière ne signifie pas pour autant que le show-business pille une culture qui n'est pas la sienne. "Dans les traditions du Sud, africaines et sud-américaines, tout le corps est plus rond", explique le sociologue. "Or, cela ne correspond pas au physique des pop stars qui revendiquent de grosses fesses : leur taille est beaucoup plus fine, ainsi que leurs cuisses, ce qui n'a d'ailleurs rien de naturel", note-t-il. Ce physique hybride, ni vraiment blanc, ni vraiment noir, correspond plutôt à "une nouvelle tendance qui conteste le modèle unique issu de l'Occident, au profit d'autres valeurs : les grosses fesses incarnent un désir de vie, des choses positives, là où l'hyperminceur est associée à la mort."

Les fesses questionnent notre rapport au corps

Les fesses font désormais vendre. De la musique, mais aussi du papier. Et comme toutes les tendances, celle-ci suggère aux femmes des critères de beauté. Ainsi, l'édition 2014 du magazine américain Sports Illustrated spécial maillot de bain affiche cette année les fesses de trois top-modèles pour le prix d'une. Une mini-révolution pour un magazine qui décide traditionnellement de montrer des seins pour illustrer ce beau sport qu'est la natation. Pour Fannie Sosa, cette "une" est symptomatique d'une tendance et constitue la preuve qu'au lieu de libérer les femmes, cette surenchère de "booty" prône l'uniformisation du corps féminin : "On ne met encore en avant qu'un seul type de fesses : blanc et standardisé", déplore-t-elle. Bref, rien de nouveau sous la Lune. 

 

L'édition 2014 du numéro spécial maillot de bain du magazine américain "Sports Illustrated", révélée en février 2014.  (SPORTS ILLUSTRATED  )

Sur une note plus positive, la mode en cours a le mérite de montrer que cette partie du corps jadis honnie dans nos contrées peut participer d'"une démarche de séduction positive et n'être, comme dans les cultures du Sud, Africaines et sud-Américaines, en aucun cas subversive", poursuit Jean-Claude Kaufmann. Résultat : les femmes font face à "deux modèles qui s'opposent", résume le sociologue. Cette "guerre des modèles", hypermaigreur d'un côté et triomphe du rebondi de l'autre, cause hélas d'intenses frustrations chez certaines d'entre elles, regrette-t-il, citant ces rondes toujours complexées et ces brindilles en extase devant les courbes d'une Beyoncé. Or, "la beauté, ce n'est pas un modèle. Un modèle, c'est la répétition. La beauté est toujours une surprise", rappelle-t-il. Les artistes nous ont appris cela." De Niki De Saint Phalle à Nicky Minaj.

L'exposition Niki De Saint Phalle au Grand Palais, à Paris, le 17 septembre 2014.  (LIONEL BONAVENTURE / AFP)
 

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