Roberto Fonseca : après l'Olympia, La Roque d'Anthéron
Ce lundi 30 juillet 2012, Roberto Fonseca se produisait dans le beau décor naturel des Carrières de Rognes, à 9 km de La Roque d'Anthéron. Il devait être entouré de la même équipe de choc qui avait brillé à l'Olympia quelques jours plus tôt : Jorge Chicoy à la guitare, Yandy Martinez à la basse, Ramsès Rodriguez à la batterie, Joël Hierrezuelo aux percussions, Baba Sissoko au chant et aux percussions. Hélas pour les retardataires, le concert affichait complet...
Mercredi 18 juillet 2012, la prestigieuse salle parisienne de l'Olympia a donc accueilli une affiche de rêve, avec deux des plus électrisants pianistes de leur génération, le Cubain Roberto Fonseca, 37 ans, et l'Arménien Tigran Hamasyan, 25 ans (depuis mardi 17 juillet), qui proposait une relecture très rock de sa musique réarrangée pour trio. Un concert organisé dans le cadre du festival "Nous n'irons pas à New York" (jusqu'au 31 juillet).
Né à La Havane en 1975 au sein d'une famille d'artistes (père batteur, mère chanteuse, demi-frères également musiciens), Roberto Fonseca a sorti un premier album solo en 1999 avant d'entamer une collaboration décisive avec le Buena Vista Social Club dans les années 2000. Compositeur depuis son plus jeune âge, il avoue toujours peiner à choisir, parmi ses nombreuses compositions, celles qui figureront dans chaque nouveau disque ! Jusque-là estampillé (à son corps défendant) jazzman, le musicien trentenaire a brisé définitivement toutes les étiquettes.
Dans "Yo" ("je", "moi"), un album ébouriffant, percutant et foisonnant, il se présente tel qu'il est, pétri d'influences africaines, afro-cubaines, électro, mais aussi spirituelles. Roberto Fonseca a collaboré avec une quinzaine de musiciens africains, dont le Malien Baba Sissoko et le Franco-Algérien Faudel, bien connu en France. Une festive invitation au voyage.
Le teaser de "Yo"
La rencontre
Nous avons rencontré Roberto Fonseca le 28 juin à Paris, entre deux concerts (à l'Orléans Jazz Festival et au Festival Django Reinhardt à Samois). Jeune homme simple, décontracté, à l'anglais impeccable -mais au fort accent hispanique !-, il a répondu à nos questions sur son album, sa carrière et ses années Buena Vista Social Club.
- Culturebox : Pourquoi « Yo » et cette couverture pour le CD ?
- Roberto Fonseca : Ce titre et la pochette du disque visent à illustrer le fait que j’essaie de jouer ma musique et de la faire partager. J’essaie d'offrir aux gens ma musique, mon savoir sur la musique. C’est pourquoi j’ai voulu apparaître aussi pur, à nu, que possible. D’où les bras ouverts et le fait que je ne porte aucun collier, aucun bijou. C’est aussi pourquoi j’ai juste mis « Yo » (moi) comme titre.
- J’ai beaucoup étudié. J’ai écouté beaucoup de musique de genres différents, et plus spécialement des musiques d’Afrique. D’où l’idée de réaliser ce disque. C’était une sorte de renaissance pour moi. J’avais fait beaucoup de choses avant, mais ce projet est assez nouveau pour moi, et je m’y suis consacré avec une attention toute particulière.
- Pouvez-vous nous parler de "80's", l'un des morceaux emblématiques du disque ?
- Il est dédié aux années 80. Pour moi qui ai vécu mon enfance, puis mon adolescence, à cette époque, musicalement, les années 1970 et 1980 ont été très importantes. Beaucoup de choses sont arrivées, c'est pourquoi je me sens toujours lié à cette période. De nos jours, il est beaucoup plus facile de créer des choses qu'en ce temps-là. Aujourd'hui, nous avons des ordinateurs, on peut choisir, couper telle ou telle partie, faire des remix, comme j'en ai faits moi-même d'ailleurs... Dans les années 70 et 80, les gens jouaient vraiment. Je ne dis pas qu'ils ne jouent plus maintenant, mais à l'époque, selon mon point de vue, les musiciens prenaient le soin de créer des choses nouvelles.
Un teaser "Yo en tournée"
- Comment avez-vous eu l’idée de réaliser un disque aussi international, ouvert sur tant de styles, rythmes et univers différents ?- J’essaie toujours de faire de la musique pour les gens, et pas seulement pour les musiciens. J’essaie d’être un musicien à l’esprit ouvert, parce que la musique est faite pour le plaisir, et pour que les gens y trouvent du plaisir. Dans ce projet, nous avons par exemple de la musique afro-cubaine, du gnawa, des musiques d’Afrique du Nord, du Mali, du Cameroun… Ce genre d’idée, de projet, amène des gens très différents réunis dans une seule direction : le plaisir de la musique.
- En plus de la multiplicité des pays représentés, il y a également, dans chaque morceau, des instruments très différents issus de continents différents, et des ruptures de tempo, de brusques changements d’ambiance…
- Pour moi, chaque chanson est une histoire, un film. Or chaque film possède sa dramaturgie. Pour moi, faire de la musique n’a rien à voir avec une démonstration de ses compétences. Dans une musique, j’essaie de raconter, de dire quelque chose aux gens. Il doit y avoir une intrigue, des temps forts, un final. Les instruments, ce sont les couleurs que j’utilise à cet effet.
"Bibisa" ("Yo", 2012), avec Baba Sissoko, en concert le 24 avril 2012 à Darmstadt (Allemagne)
- Et ces histoires, d’où viennent-elles ?
- Elles viennent de ma vie, de toutes mes expériences à travers le monde. Des tas de choses m’inspirent. Je suis inspiré par les gens, par les animaux, par des situations, par des choses du quotidien. Je suis quelqu’un de très sensible. Tout peut avoir un impact sur moi, et du coup, j'en fais une musique.
- Votre musique est également très connectée à la spiritualité. Dans vos interviews, vous parlez beaucoup de la Santeria. Pouvez-vous nous en dire plus ?
- La Santeria est ma religion. Elle vient du Yoruba, qui est lui-même une religion, très spirituelle, du Nigeria. Nous avons des saints différents. Et au niveau musical, nous avons de fortes sections rythmiques, beaucoup d’instruments percussifs, et des mélodies très fortes pour les gens qui chantent. C’est très fortement spirituel. C’est pourquoi j’essaie d’injecter ce même univers dans ma musique. 90% de ma musique est empreinte de cette religion.
- Je ne les connaissais pas tous personnellement avant de faire le disque. J’étais à Cuba, et Faudel était à Paris, par exemple. C’est mon agence, Montuno, qui a rendu toutes ces rencontres possibles. Alors, avec les autres musiciens, nous nous sommes rencontrés à travers la musique. La façon dont les choses se sont passées est fascinante. Vous savez, parfois vous demandez à collaborer avec un musicien, mais il ne comprend pas toujours ce que vous attendez exactement de lui. Cette fois, les choses se sont vraiment bien passées, tout le monde s'est parfaitement compris sur le projet et sur la musique que l'on voulait faire ensemble.
"7 Rayos" au Duc des Lombards en avril 2012
- Vous avez joué avec le regretté Ibrahim Ferrer (1927-2005) et le Buena Vista Social Club durant quelques années. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
- J'ai joué 5 ans avec Ibrahim Ferrer à partir de 2001, jusqu'à sa mort. C'était quelque chose de vraiment fascinant, pour moi, de jouer avec lui. C'est celui qui m'a le plus marqué, influencé, au sein du groupe. Il me faisait confiance et il souhaitait que je rencontre le succès en tant que pianiste. Je lui suis très reconnaissant, car il m'a beaucoup poussé, encouragé à devenir la personne que je suis aujourd'hui.
Du temps du Buena Vista Social Club...
- Y a-t-il un enseignement particulier que vous reteniez d'Ibrahim Ferrer ?- La chose la plus importante, c'était d'être le plus pur, le plus limpide, le plus clair, afin de toucher directement le coeur des gens. C'est cela que j'ai appris, et c'est la raison pour laquelle les gens aimaient Ibrahim. La façon dont il chantait, jouait, était très pure, claire. Aujourd'hui, cela n'est pas si évident de trouver des musiciens qui jouent d'une façon aussi simple, sans ajouter des notes qui peuvent amener de la confusion, et amener l'auditeur à se sentir un peu perdu. C'est vraiment important de ne pas se perdre dans la musique.
- Gardez-vous une image, un souvenir précis, de lui ?
- L'image que je conserve, c'est lui, en train de sourire, alors que je jouais. C'est le meilleur souvenir que j'aie, quand nous étions en concert, il était très fier de ce que je faisais. Pour moi, c'était très important qu'il se sente fier de moi. Je le voyais un peu comme un grand-père. Parfois il agissait comme un grand-père, et parfois il se comportait comme s'il était mon fils ! Nous n'arrêtions pas de faire des blagues. Nous avions une relation très spéciale.
Propos recueillis par A.Y.
"Yo", album sorti le 17 avril 2012 (Jazz Village / Harmonia Mundi)
Roberto Fonseca et Tigran Trio à L'Olympia
Festival "Nous n'irons pas à New York" (1er-31 juillet 2012)
Mercredi 18 juillet 2012, 20H
28, boulevard des Capucines
75009 Paris
Réservations : 08 92 68 33 68 (0,34 €/min 10h-18h) ou en ligne
(en cette période estivale, l'Olympia propose des réductions de tarifs)
Le festival "Nous n'irons pas à New York" était organisé pour la deuxième fois consécutive par le Duc des Lombards, célèbre club de jazz du coeur de Paris. Durant un mois, les Franciliens coincés à Paris en juillet sont invités à assister à plusieurs concerts de musiciens américains ou établis outre Atlantique.
Roberto Fonseca "Yo" : avec Jorge Chicoy (guitare électrique), Yandy Martinez (basse), Ramsés Rodriguez (batterie), Joel Hierrezuelo & Baba Sissoko (percussions)
Tigran trio : Tigran Hamasyan (piano), Sam Minaie (basse), Nate Wood (batterie)
Les autres dates françaises de Roberto Fonseca cet été :
Le 30 juillet 2012 au Festival de La Roque d'Anthéron
Le 2 août au Festival Jazz in Marciac
Le 4 août au Festival Au Grès du Jazz
Le 6 août à Fiesta Sète
Une mini-interview officielle (en espagnol, sous-titres en anglais, mai 2012)
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