Paco Sery, toute une vie de jazz dans le nouvel album solo du batteur de Sixun
Biographie d'une vraie vie
Paco Sery naît à Divo, Côte-d'Ivoire, en 1956. C'est à 9 ans qu'il annonce à son père qu'il souhaite devenir musicien. Ce dernier accueille la bonne nouvelle en le gratifiant d'une énorme gifle, qui le poussera à fuguer pour devenir batteur de bal à Dabou, avant de s'installer à Abidjan, où il devient peu de temps après le batteur attitré de la réputée peu fréquentable boîte de nuit "La Canne à Sucre". C'est là que le découvre le chanteur et pianiste Eddy Louiss, qui l'invite à intégrer son groupe parisien en 1979.
Il se fait rapidement une petite notoriété dans les clubs de la capitale, et y rencontre le pianiste jamaïcain Monty Alexander, qui l'emmène en tournée. C'est ce dernier qui le recommande ensuite au maître Jaco Pastorius, qu'il subjugue par son jeu tout à la fois technique et puissant lors d'une jam session au mythique Sunset Bar. Suite à cela, ils collaboreront ensemble deux ans, pour une série de concerts aux USA.
Il fonde la même année le groupe Sixun, penchant européen du projet Weather Report, considéré comme l'un des premiers groupes de fusion jazz-rock, et où Pastorius officiait aux côtés du claviériste Joe Zawinul et du saxophoniste Wayne Shorter. Cette aventure de 15 années se fera en compagnie, entres autres, de Louis Winsberg à la guitare et de Michel Alibo à la basse.
Mais durant cette période d'hyperactivité musicale, Paco trouvera tout de même le temps d'offrir son talent à des pointures du jazz, comme Dee Dee Bridgewater, Manu Dibango, Claude Nougaro ou Mike Stern, mais aussi à des chanteurs plus "variété" tels que Jacques Higelin et Charlélie Couture. La liste serait encore longue, puisqu'il se trouvait également derrière les fûts lors de concerts et albums de Nina Simone, Marvin Gaye, Bobby McFerrin... Mais sa plus grande gloire est évidemment d'avoir été invité par son idole Joe Zawinul à participer à son Syndicate en 1996, au sein duquel il enchaînera pendant 9 ans les tournées à travers toute la planète.
C'est seulement en 2000, avec "Voyages", qu'il livre son premier album solo. Le suivant mettra encore 12 ans à venir, et c'est "The Real Life", qu'il dédie à Maï, sa fille de 4 ans.
Live du Zawinul Syndicate au North Sea Jazz Festival - 1997 (Solo de batterie à 2'55)
L'album (deux morceaux à découvrir ici)
Et cela tombe comme une évidence quand on écoute The Real Life : Paco Sery a joué avec du beau monde ! Ces 14 titres sonnent véritablement comme un hommage à tous ceux qui l'ont inspiré, accompagné, ainsi qu'à la jeune génération qui réinvente encore et encore le jazz et la musique.
Dommage que l'on mette un peu de temps à rentrer dans l'album : Chabada Danse et Wassa Solo, agrémentés de claviers et effets électroniques, sonnent en effet un peu kitsch, hommages à un genre qui a mal vieilli.
Mais la dynamique et le groove de cet arrangeur et musicien hors pair, déjà dévoilés par les assises puissantes de Miles in the jungle se confirment par la suite : Maï Blues et I say Monkey s'imposent totalement comme le climax de l'album.
Le premier, aux sonorités très africaines, est une douce transe où les choeurs s'envolent littéralement dans un lyrisme tribal et moderne à la fois. La simplicité harmonique, compensée par une section rythmique intraitable, n'en devient que plus hypnotique encore, et permet aux musiciens d'improviser tous ensemble, pour des affrontements renversants.
Le second est un pur moment de funk jazz. La guitare et les cuivres s'en donnent à coeur joie derrière Paco qui s'essaie au chant pour l'occasion, avec un petit côté canaille à la Louis Armstrong. Et "Ça groove", ne peut-il s'empêcher de s'exclamer lorsque le pianiste Eric Lenigni se fend d'un solo à la hauteur de sa réputation. Il laisse ensuite place à une démonstration détonnante de guitare/voix, où plane l'ombre d'un Jimi Hendrix qui aurait oublié sa pédale de fuzz.
Puis viennent Paco Shuffle et Move Hips and Whip It, plus anecdotiques, entrecoupés tout de même par une subtile et sensuelle reprise du contrebassiste Charles Mingus, The Dry Cleaner from Des Moines, avec Julie Fuchs à la voix. Les cuivres amènent à ce morceau une ambiance jazz plus "traditionnelle", assaisonnée de percussions latines.
Et on l'attendait avec impatience, Futur est l'occasion pour Paco Sery de donner libre cours à son talent. Il exécute dans ce titre (hommage à Joe Zawinul) un solo de batterie de grande volée, où dextérité et puissance laissent tout de même place à une musicalité évidente. Mais qui en doutait ?
Ensuite vient Disco Danse Awaïa, chanson à deux facettes où le chanteur des Touré Kunda, après avoir installé une ambiance hip-hop très smooth (influences Marcus Miller et Bobby McFerrin), la laisse aux mains du jeune rappeur Kory, qui en fait ... n'importe quoi. On se demande un peu ce que viennent faire au milieu de tout ça son tier-quar, son uzi, babylon et son flow ragga caricatural.
Mais bref. L'album se clôt sur un titre dédié à la fille de Paco, Maï et les trois petits lapins. La première partie s'apparente à une transe zouk très entraînante, mais finit trop vite, et c'est Paco Sery le papa qui rappelle finalement ses choeurs pour accompagner Maï, qui vient en personne interpréter la fameuse comptine.
Pour conclure, un disque qui se perd un peu dans un éclectisme tous azimuts, heureusement rattrapé par une interprétation irréprochable, des musiciens virtuoses et un groove omniprésent.
Paco Sery sera en concert le 24 novembre au New Morning, à Paris (10e)
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