Le pianiste RĂ©mi Panossian met du rock dans son jazz
Les voyages forment la jeunesse. Voilà un proverbe que ne renieraient pas Rémi Panossian et les deux complices de son trio - et amis de longue date - Maxime Delporte à la contrebasse et Frédéric Petitprez à la batterie. Les morceaux de leur deuxième disque, « Bbang » (« une onomatopée coréenne qui exprime l’explosion », confie le pianiste, à prononcer simplement « bang ») ont été en grande partie composés durant une tournée qui les a emmenés au Brésil, mais aussi et surtout en Asie, grande source d’inspiration et de fascination pour les trois musiciens.
À bientôt 30 ans (il les fêtera le 7 mars), Rémi Panossian, natif de Montpellier, installé à Toulouse, en est déjà à son quatrième disque. Les deux premiers (en 2005 et 2008) ont été enregistrés en duo avec le contrebassiste Julien Duthu. Puis, début 2011, après la formation de son trio, il a sorti un album très séduisant, « Add Fiction », qu'il avait commencé à composer avant d'être rejoint par ses amis. En 2012, les trois complices ont effectué une tournée dont ils sont revenus chargés de souvenirs, d'images et de musiques... « Bbang » est leur carnet de voyages.
Rémi Panossian était de passage à Paris le 7 février pour le lancement de son nouveau disque. Avec décontraction et simplicité, il nous a (presque) tout raconté, de ses premiers pas dans le jazz à la genèse et l'enregistrement de « Bbang »...
- Culturebox : Avez-vous grandi dans une famille de musiciens ?
- Rémi Panossian : Pas vraiment. Mon père est psychologue. Ma mère, assistante sociale, chantait un peu. Mes parents ont toujours été ouverts à toutes formes de cultures. Très tôt, quand j’étais gamin, ils m’ont emmené voir des concerts, du théâtre, des ballets, Maurice Béjart, Raymond Devos…
- Comment avez-vous découvert le jazz ?
- Quand j’ai commencé le piano. Dès que j’ai eu 6, 7, 8 ans, mes parents, ou leurs amis, m’ont offert des cassettes de Fats Waller, Erroll Garner, Lionel Hampton… Écouter ces musiques, essayer de les reproduire sur le piano, cela m’excitait plus que la musique classique… Quand on est gamin, le rythme, c’est quelque chose d’hallucinant. - Vous souvenez-vous du moment où vous avez décidé de devenir pianiste de jazz ?
- À dix ans, je savais que je ne m’arrêterais jamais de faire du jazz. Vers 14 ou 15 ans, je savais que cela serait mon métier.
- Avez-vous eu, très tôt, des coups de cœur pour des artistes ? Et qu’en est-il aujourd’hui ?
- Le premier déclic a été Michel Petrucciani, je l'ai vu en concert quand j’avais dix ans. Puis à l’adolescence, j’ai écouté tout le monde : Keith Jarrett, Bill Evans, Brad Mehldau, E.S.T., Monk… Ça a forgé ma culture jazz. Aujourd’hui, je ne place pas un artiste ou un groupe au-dessus des autres. Pour chacun, il y a des choses que j’aime et d’autres moins. Je cherche un peu partout ce qui me plaît. J’adore aussi le rock. J’ai énormément écouté le Velvet Underground, les Stones, Led Zep, David Bowie, Janice (Joplin, ndlr)... En ce moment, j’adore TV on the Radio, des mecs de Brooklyn hallucinants.
- Vous êtes d’origine arménienne (par son père, ndlr). Ressentez-vous l’influence de cette culture sur votre musique ? Pour ma part, je l’entends, même si cette imprégnation est subtile.
- C’est quelque chose qu’on m’a déjà dit. Cette influence est certainement présente dans la musique que je joue, mais je ne la cultive pas consciemment. L’Arménie est forcément en moi et dans ce que j’ai vécu, ne serait-ce qu’au contact de mon grand-père, qui est mort il y a un an et demi. Il a vécu le génocide. Il a quitté l'Arménie dans des conditions affreuses, à 5 ou 6 ans, et s’est retrouvé à l’orphelinat. J’ai passé mon enfance avec lui, j’allais en vacances chez lui. Cet héritage est présent, mais il est culturel, global, plus que musical. Bien sûr, j’ai écouté de la musique arménienne, j’en ai joué avec Levon Minassian, le joueur de doudouk. Je rêve de jouer un jour en Arménie. - Pouvez-vous nous parler de cette histoire d’amitié de dix ans, voire plus, qui vous unit avec les deux autres membres du trio, Maxime Delporte (contrebasse) et Frédéric Petitprez (batterie) ?
- J’ai rencontré Fred il y a douze ans, en section jazz du conservatoire de Toulouse. Ensemble, on a monté un groupe pop, on a animé des jam sessions… On a fait le métier, comme on dit. C'est pareil avec Max que j’ai rencontré trois ou quatre ans après Fred. On a accompagné des chanteuses, on a joué dans des bœufs... On se marrait bien, on est devenu potes. Dès que j’ai voulu monter un trio, j’ai tout de suite pensé à eux. Le trio s’est formé en septembre 2009. Puis c’est allé très vite car on se connaissait déjà par cœur.
- « Bbang », votre nouvel album, a pour fil conducteur vos souvenirs de tournée. Et vous revendiquez la composition collective et collégiale de tous les morceaux...
- Nous l’avons en effet écrit tous les trois, lors de tournées ou de sessions en trio. Il y a certainement des morceaux pour lesquels l’un de nous a pu amener un peu plus que les autres, mais cela n’a aucune importance. On a tout signé tous les trois. Cette idée de groupe est super importante pour nous. Je me retrouve plus dans un modèle de carrière à la Rolling Stones que dans celui d’un pianiste ou d’un saxophoniste qui va changer de groupe tous les trois ou quatre ans. Dans notre cas, si l’un des trois n’est pas là , on ne joue pas. Il n’y a pas de remplaçant.
- Avez-vous un souvenir de studio Ă nous faire partager ?
- Il y a un truc qu’on adore faire pendant les sessions d’enregistrement, et qu’on avait déjà fait dans le premier album. Parallèlement au travail sur les morceaux cadrés, écrits et réfléchis, on s'offre des plages d’improvisation complètement libres... Par exemple de retour du déjeuner, quand on n’a pas envie de se remettre directement sur nos morceaux ! On ne sait pas du tout ce qu’on va faire, on joue, on s’écoute, on interagit, et on enregistre de cette façon des petites pièces qu’on a mises dans l’album. - Comment avez-vous eu l’opportunité d’organiser des tournées aux antipodes ?
- Il y a deux ans et demi, j’ai voulu jouer en Asie. J’ai organisé la première tournée, avec mes petites mains et mon ordinateur ! On a eu la chance de faire tout de suite des festivals importants. Vu que nous ne sommes pas attendus, qu’il n’y a pas cette obligation de remplir les salles, ils nous ont fait confiance car la musique leur a plu. Et on a eu un accueil incroyable, on a rencontré un gars au Japon, et de fil en aiguille, c’est parti. Pour le Brésil, on a rencontré une Franco-Brésilienne dans un club de Lisbonne, qui se trouve vivre à Toulouse ! Elle a organisé la tournée. Pour l’Europe, on a joué dans un festival à Toulouse avec deux musiciens allemands, ça s’est super bien passé et la saxophoniste a décidé d’organiser une tournée, qu’on vient de faire. Il y en a une autre en avril. C’est des histoires de rencontres et d’énergie qu’on y met. Tous les trois, nous avons toujours été fascinés par les voyages, c’est quelque chose qui nous nourrit.
- Pouvez-vous nous parler de cette relation particulière que vous entretenez avec l’Asie ?
- Au début, je pensais à tous mes héros d’enfance, comme Petrucciani et Jarrett, qui faisaient plein de concerts au Japon, en Asie. Du coup, j’avais envie d’y aller. De plus, mon père est prof d’aïkido en plus d’être psychologue. J’ai enfin eu un rapport privilégié avec l’Asie, par le biais de Takeshi Kitano, dont j’admire les films, mais aussi Kurosawa... Très tôt, j’ai eu envie d’aller là -bas pour y jouer. Et par la suite, on a eu un accueil incroyable... - Avez-vous un souvenir marquant de tournée en Asie à nous faire partager ?
- Il y a un truc très drôle qui s’est passé lors de la première tournée en octobre 2010. On a eu la chance de faire un festival à Taïwan auquel assistaient 12.000 personnes (on y a rejoué en octobre dernier). C’était hallucinant, devant un tel public, on se sentait comme les Beatles ! Premier shoot incroyable : vous arrivez sur scène, vous terminez votre premier morceau et vous entendez 12.000 personnes qui crient et applaudissent… Vous vous sentez bien, prenant de plein fouet ces doses d’amour et d’énergie…
- Est-ce que cela donne la grosse tĂŞte ?
- Justement, on y vient ! Le lendemain, on partait à 5h du matin, on a roulé deux heures pour arriver à l’aéroport, on a pris l’avion pour Shanghai, on a fait un transfert jusqu’à la gare. On devait prendre le train de 14H, or il était complet, donc on a pris celui de 17H pour arriver à 18H à Nanjing. Mais là -bas, les gens nous attendaient à 16H… À notre arrivée, il n’y avait personne. Et on jouait à 19H ! On s’est débrouillé pour trouver l’adresse de l’hôtel où on devait jouer. À notre arrivée, le gars qui nous attendait était complètement fou ! L’hôtel sponsorisait tout le festival, donc il fallait y faire un premier concert. Résultat, après avoir joué devant des milliers de gens, on s’est retrouvé sur une scène où le piano... n’était pas sur la scène, mais en-dessous, car sinon, ça risquait de s’écrouler… La batterie était une catastrophe… Et on a joué devant 30 personnes. Ça calme direct !
(propos recueillis par A.Y.)
RĂ©mi Panossian Trio en concert Ă Paris
Jeudi 21, vendredi 22, samedi 23 février 2013, 20H et 22H
Duc des Lombards
42, rue des Lombards
Infos : 01 42 33 22 88 ou ici
> Toutes les dates de concert du groupe ici Bonus ! Petit guide des morceaux de « Bbang »
Quelques confidences et infos sur les titres du disque...
- Runaway : le titre a été trouvé par un gars à Tokyo. Quand nous avons joué ce morceau, il nous a dit peu après : « On dirait une sorte d’échappée d’un mec qui s’enfuit, qui essaye de partir en bagnole, une sorte de poursuite… »
- Islay Smokey Notes : c'est en souvenir d’une bouteille d'Islay offerte par un fan après un concert, dont on a retrouvé l'étiquette un peu plus tard...
- Shikiori : c'est le nom du petit club où nous avons donné notre premier concert au Japon, dans le sud du pays, le 5 février 2011. C’est une maison traditionnelle comme on en voit dans les films de Kurosawa, avec des tatamis. Il y a un piano. Le gars qui y habite est contrebassiste. C’est lui que j’avais rencontré suite à la première tournée, et qui nous avait invités trois mois plus tard à jouer là -bas. L’ambiance y est hallucinante, les gens sont merveilleux. Quand on y a joué pour la première fois, Fred, le batteur, fêtait ses 30 ans. Ils ont amené un gâteau à la fin du concert. On y est déjà allé trois fois, on y retourne à chaque fois.
- Healthy Cab : c’est en souvenir d’un chauffeur de taxi coréen qui nous avait raconté son histoire à 5h du matin... La journée, il s’occupait d’une entreprise de développement d’applications pour smartphones. Il avait pris l’habitude de finir la journée à se souler au café. Il avait décidé d'arrêter de boire et s'était dit qu'il n’y avait rien de mieux que de se trouver un boulot la nuit. Après sa journée, il rentrait dormir une heure ou deux, puis il enchaînait comme chauffeur de taxi la nuit entière... Et ça a marché.
- Improvisation 1, 2, et 3 (un morceau fantĂ´me...) : des impros pures.
- 3 Drinking Lab : c'est le bar coréen où de nombreux morceaux sont nés. En fait, avant de monter dans le fameux taxi, on était là !
- Time Lapse : On adore le côté cinématographique, le rapport à l’image, d'où ce truc un peu atmosphérique...
- The End ? : Parfois, quand on croit que c’est fini, ça ne l’est pas. Ça peut évoquer des histoires d’amour, toutes sortes de choses…
- BBQ : Il y a deux significations : d'abord Blue Box Quest, et ensuite BBQ tout simplement, comme un barbecue. Les barbecues coréens sont une merveille… On ne mange quasiment que ça quand on est là -bas, c’est génial.
- « Inside the Blue Box » et « Beside the Blue Box » : C’est exactement le même thème. C'est à l’image des musiques de film, où un thème peut être décliné de plein de façons différentes, le premier un peu à la Tim Burton, Fellini, et l’autre plus punk rock. On adore le concept de surprise dans la musique, avec des scénarios qui se déroulent dans un même morceau, des changements d’atmosphère. Et c'est un clin d'oeil à une petite boîte à thé bleue, qu'on amène partout en tournée depuis plusieurs mois. Parfois, elle nous sert de cendrier, parfois on y range des choses, des cartes de visite... A la fois une sorte de boîte à souvenirs, et en même temps, métaphoriquement, une boîte de Pandore pour l’écriture de l’album...
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