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Jazz à Vienne : Ayo, Ester Rada, Roy Hargrove et Snarky Puppy jusqu'à l'aube...

Jazz à Vienne 2015 a vécu. Il a fini en apothéose avec une nuit du Jazz et la bagatelle de six concerts : Uptake, Jean-Pierre Bertrand Boogie System, Ayo, Roy Hargrove and the RH Factor, Snarky Puppy se sont succédés avant que la nuit et le festival se referment avec la magnifique Ester Rada. Autant de genres que d'artistes, une dernière preuve à Vienne que le Jazz est bien vivant.
Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Ayo au théâtre antique de Vienne le 11 juillet 2015
 (Jean-François Lixon)

C'est une tradition à Vienne : le festival se termine aux toutes petites heures d'un dimanche de juillet, à l'heure des croissants, distribués avec le café et la dernière édition du Dauphiné Libéré qui titre sur cette nuit lumineuse et en raconte la première partie. Et c'est avec les chansons d'Esther Rada que Jazz à Vienne 2015 a mis la clé sous les notes.
Mais avant d'écouter la radieuse Israélienne, le public qui avait eu la bonne idée de venir passer sa nuit sur les pierres du théâtre antique de Vienne a eu droit aux prestations de Uptake, du Jean-Pierre Bertrand Boogie System, de Ayo, de Snarky Puppy et de Roy Hargrove and the RH Factor. Un programme marathon au cours duquel les festivaliers ont pu faire quelques belles découvertes..

L'affiche de Jazz à Vienne 2015
 (Jazz à Vienne)

Ester Rada, la révélation
 

La grande révélation de la soirée et peut-être même de tout le festival, il fallait attendre l'aube du dernier jour pour la découvrir. C'est elle, Ester Rada. Très belle jeune femme, élégante, sexy en diable, aguicheuse, complice, mais surtout incroyable chanteuse, elle se pose d'entrée en successeur de ces grandes aînées qu'auront été pour elle Tina Turner, Aretha Franklyn, toutes ces chanteuses généreuses et débordantes d'énergie. Ester Rada a été désignée artiste de l'année dans son pays, Israël. Née dans une famille de Falachas, les seuls Noirs reconnus israélites, Ester Rada est donc d'origine éthiopienne. Elle chante d'ailleurs en anglais, mais aussi en hébreu et en éthiopien, faisant même sauter son pubic sur place. "C'est comme ça qu'on fait la fête en Ethiopie" assure-t-elle.
Ester Rada, au théâtre antique de Vienne au petit matin du 12 juillet 2015
 (Jean-François Lixon)

 

Eester Rada est née dans la musique d'Erykah Badu, de Lauryn Hill (avec ou sans les Fugees) ou Jill Scott et a grandi sous l'influence de Nina Simone, Aretha Franklyn. Elle met sa voix chaude et puissante au service d'un mélange soigné et swing de reggae, afrobeat, nu soul aboutissant à une sonorité ethno jazz assez rare. Elle a pris le risque d'attendre jusqu'à 4h20 du matin pour monter sur la scène du théâtre antique, les nombreux survivants de cette immense nuit du Jazz à Vienne ont été récompensés par l'extraordinaire prestation de cette artiste exceptionnelle qu'ils étaient nombreux à découvrir. 
Comme naturellement à sa place à la toute fin de cette nuit et de ce festival, Ester Rada a commencé à chanter au coeur de la nuit et ses dernières chansons se sont épanouies, comme autant de corolles, sur une aube d'été claire et pleine de promesses. Comme elle.
 

Uptake

Il faisait encore jour quand Uptake est monté sur scène avec la responsabilité d’ouvrir la soirée. Uptake, quatre jeunes de la région dont un Viennois, le batteur Paul Berne ovationné pour cette raison par le public du théâtre antique. Le tromboniste, Robinson Khoury est venu dire avec beaucoup d’humilité l’émotion que ces quatre jeunes musiciens ressentent à jouer là où ils ont passé tant de soirée côté gradins. Ils ont proposé un court set de jazz très moderne, une fusion évolutive pleine d’énergie et de promesses. Premier concert dans la cours des grands, une réussite pour ce quarte encore régional mais qui devrait rapidement gravir les échelons de la renommée.

De gauche à droite et de haut en bas : Le bassiste Pierre Gibbe, le tromboniste Robinson Khoury, le pianiste Bastien Brison et le batteur Paul Berne
 (Jean-François Lixon)

Jean-Pierre Bertrand Boogie System

C’est un sextet plein d’entrain qui a succédé à Uptake, avec une moyenne d’âge un peu plus élevée. Un combo mené, comme son nom l’indique par le pianiste parisien Jean-Pierre Bertrand et qui joue du… boogie. Sa musique festive et pleine de gaieté a accompagné le crépuscule et mené le théâtre antique jusqu’à la nuit. Le public a enfin pu bénéficier des éclairages dont l’innocuité en plein jour déssert toujours les premiers groupes à se produire les soirs d’été. Le JPBBS a offert une prestation tout à fait dans la lignée de l’idole de son leader, Memphis Slim. Avec des relents de New Orleans du premier quart du vingtième siècle, le public de Vienne a exploré une nouvelle fois l’une des origines du Jazz. La soirée ne faisait que commencer.
 

Jean-Pierre Bertrand Boogie System
 (Jean-François Lixon)
Ayo
Découverte en 2006 avec sa déchirante complainte "Down on my knees", Ayo a sorti aujourd'hui quatre albums ("Ayo", "Gravity at Last", "Billy-Eve" et "Ticket to The World"), tous pleins d'amour, de reconnaissance pour ceux qui l'ont aidée à grandir, de cris contre l'injustice. Parlant couramment le français, cette grande fille chantant en anglais, née allemande il y a 35 ans de l'union d'un père nigérian et d'une mère tzigane de nationalité roumaine est un paradoxe. Si le nom qu'elle s'est choisi signifie "Joie" dans une des langues parlées dans le pays de son père, si elle présente à son public l'image d'une jeune femme souriante et pleine de bienveillance, ses compositions sont une suite de cris de révolte, de ballades nostalgiques, d'appels déchirants à ce qu'on l'aime.  Naviguant entre soul, folk, blues, rap et reggae, sa voix frôle souvent le sanglot sans cependant jamais prêter à l'apitoiement. Elle aurait plutôt tendance à susciter des vocations de révolutionnaires. Comme les meilleurs bluesmen, Ayo entraîne avec elle les consciences et réveille des notions primordiales enfouies sous le pragmatisme du siècle : la fraternité, l'amour des autres, la révolte contre les injustices.
Ayo à Vienne le 11 juillet 2015
 (Jean-François Lixon)
Message de paix
Ayo a pris quelques minutes pour parler, sur une mélodie discrète, afin de rappeler la chance que nous avons d'être nés sur un continent qui permet aux malades d'être soignés, d'évoquer la nécessaire fraternité entre les ethnies, les peuples et les individus. Des larmes plein les yeux et sur les joues, elle a porté un message d'amour universel sans qu'il paraisse jamais maladroit ou convenu. Timide et gauche au début de son spectacle, Ayo a gagné en assurance au fil des chansons, comme à chaque rencontre avec son publicv, comme si c'était la première fois qu'elle montait sur une scène sa guitare à la main.
Ayo a terminé son concert avec le formidable hit de son dernier album "Fire". Elle en a fait un medley en y glissant des reprises de deux morceaux de Bob Marley : "No woman no cry" et "Waiting in Vain". Elle a quitté la scène sous les appels du public qui aurait volontiers passé plus de temps à écouter cette femme enfant au sourire éclatant, à la voix bouleversante et au regard généreux.


Snarky Puppy

Ils sont Texans et New yorkais et ils emportent tout sur leur passage. Les Snarky Puppy ont fait beaucoup pour la réusite de cette longue et ultime nuit de Jazz à Vienne 2015. Plus funk que jazz, parfois plus rock que funk, ils débarquent comme un gang et électrisent leur public. Pas le temps de respirer, ils enchaînent morceau sur morceau, enquillent les solos d'anthologie, déversent des tonnes d'énergie pure que le public, en grande partie venu pour eux, transforme instantanément en ferveur et communion. Même les moments moins intenses portent en eux la fièvre qui va suivre, comme le fameux calme précède immanquablement la non moins fameuse tempête. Montés sur scène à minuit vingt, les musiciens de Snarky Puppy l'ont quittée à deux heures. Il restait encore deux concerts avant l'aube.
Snarky Puppy à Jazz à Vienne 2015
 (Jean-François Lixon)
Roy Hargrove and the RH Factor

Avant dernier artiste de cette nuit viennoise, l'Américain Roy Hargrove a produit un spectacle étrange. Excellent trompettiste qui évoque parfois Miles Davis, parfois Chet Baker, il aurait pu se contenter d'assurer un spectacle entièrement comme sa première moitié, c'est à dire d'un classicisme bien venu dans la programmation d'un Jazz à Vienne qui en manque parfois un peu. Ses mélodies, ses interventions à la trompette, la grande qualité des musiciens de son groupe, tout concourait à ce que cette partie de la nuit du jazz reste dans les mémoire comme un très bon moment cool ponctué d'instants virtuoses. C'est alors qu'il a invité Mos Def (alias Yasiin Beh) un rappeur New Yorkais, à le rejoindre sur scène. On est alors passé directement de Miles Davis au rap américain actuel, rupture quasi complète avec le "mood" dans lequel Hargrove nous avait installé avec tant de nuances et de sensibilité. Mos Def a rappé deux chansons, en a chanté une, puis il est sorti de scène et Hargrove a repris son tempo précédent. Juqu'au retour de Mos Def ! Si bon nombre de spectateurs ont semblé déconcerté, les amateurs de rap, et ils étaient quelques uns, ont paru beaucoup apprécier la prestation de l'artiste new yorkais. Mais le charme rompu n'a pas pu être retrouvé. Par ailleurs, Roy Hargrove a lui-même chanté quelques airs : il devrait se concentrer sur sa trompette, on ne saurait exceller en tout.




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