Françoise Nyssen passe le flambeau et évoque la "dureté" du monde politico-médiatique
"Je vous demande beaucoup d'indulgence", avait-elle demandé en mai 2017 en prenant ses fonctions rue de Valois dans le ministère qui fut celui d'André Malraux et Jack Lang. Elle n'en aura guère bénéficié. Louée à sa nomination, Françoise Nyssen, 67 ans, a été très vite considérée comme le maillon faible du gouvernement d'Édouard Philippe. Sous la menace dès qu'un remaniement était évoqué, elle n'aura pas résisté à la réorganisation provoquée par le départ de Gérard Collomb.
Silhouette longiligne, cheveux châtain coupés au carré, lunettes rondes, cultivant une allure élégante et décontractée, cette adepte du yoga, qu'elle pratique chaque matin, a voulu jusqu'au bout rester sereine dans la tempête. Si elle a bénéficié d'un budget stable, elle a été empêtrée dans plusieurs dossiers et a été récemment indirectement visée par une enquête judiciaire sur des travaux dans les bureaux parisiens des éditions Actes Sud qu'elle a pilotées avant de devenir ministre.
Souvent décriée pour sa communication brouillonne, elle s'était vu retirer en juillet, au profit de Matignon, la régulation économique du secteur de l'édition et la tutelle du Centre national du livre (CNL), afin d'éviter tout conflit d'intérêts avec ses anciennes fonctions de présidente du directoire d'Actes Sud.
Dans l'ombre
Ayant fait du développement de l'éducation artistique et culturelle dans les écoles son cheval de bataille, elle s'est fait supplanter par son collègue de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer. Désireuse d'ouvrir davantage les bibliothèques, elle s'est fait voler la vedette par le président Emmanuel Macron, qui a tenu à présenter lui-même le plan d'extension des horaires des bibliothèques, mis au point par Erik Orsenna.Sur la réforme de l'audiovisuel public, la ministre, qui soutenait "être à la manoeuvre", devait composer avec les conseillers culture de l'Élysée (Claudia Ferrazzi) et de Matignon (Olivier Courson). La décision du président Macron de charger l'animateur Stéphane Bern d'une mission sur le patrimoine avait aussi contraint la ministre à une "cohabitation" donnant parfois lieu à des tensions.
Sur la Francophonie, elle devait compter de la même façon avec Leila Slimani, "conseillère personnelle" du président sur ce sujet. Son ministère a connu en parallèle une hémorragie de directeurs et de conseillers. Ce qui ne l'a pas empêché de lancer quelques chantiers comme le pass culture pour les jeunes, une promesse du candidat Macron, ou son grand plan pour emmener en régions des oeuvres des grands musées parisiens.
Éditrice aux quatre Goncourt
Belge ayant acquis la nationalité française il y a une vingtaine d'années, Françoise Nyssen n'a jamais semblé à sa place sous les ors de la République, elle qui s'était pourtant imposée avec brio dans le monde de l'édition après des études en biologie moléculaire à Bruxelles et un passage à la direction de l'Architecture au ministère de la Culture.Défricheuse en littérature, elle a publié des auteurs comme l'Algérien Kamel Daoud, le Britannique Salman Rushdie, la Turque Asli Erdogan ou l'Américain Paul Auster. Elle a été l'heureuse éditrice de quatre Prix Goncourt (Laurent Gaudé, Jérôme Ferrari, Mathias Enard et Eric Vuillard) et de trois Nobel de littérature (Naguib Mahfouz, Imre Kertész et Svetlana Alexievitch).
Son ancienne maison est également l'éditeur de la série de polars suédois "Millenium" ou du best-seller mondial "Le charme discret de l'intestin" de l'Allemande Giulia Enders. Sous sa houlette,
L'école du "Domaine du possible"
Actes Sud, fondées à Arles en 1978 par son père Hubert Nyssen (1925-2011), est passé du statut de maison provinciale discrète à celui d'éditeur en vue. Une de ses plus grandes fiertés avait été la création avec son mari (et actuel patron d'Actes Sud) Jean-Paul Capitani, en 2015, de l'école du "Domaine du possible", un établissement scolaire alternatif pour aider les enfants qui n'ont pas su, pu ou voulu s'adapter à un système scolaire trop rigide.Cette école, accueillant 150 élèves, était née d'une tragédie personnelle : le suicide à 18 ans, en 2012, de leur fils Antoine qui n'avait jamais trouvé sa place dans le système scolaire traditionnel.
Passation de pouvoir : "La dureté du monde politico-médiatique"
Tout en se disant "heureuse et fière du travail accompli", notamment en faveur de l'accès à la culture, la ministre a tenu à exprimer "un regret (...), ne pas avoir pu pleinement faire profiter le gouvernement de (s)on expérience d'éditrice". L'ex-ministre s'était vu retirer en juillet, au profit de Matignon, la régulation économique du secteur de l'édition et la tutelle du Centre national du livre (CNL), afin d'éviter tout conflit d'intérêts avec ses anciennes fonctions de présidente du directoire d'Actes Sud. "Si cette décision peut être fondée en droit, elle souligne les difficultés pour les personnes issues de la société civile à partager leur expérience dans la sphère publique", a-t-elle souligné.
"Nous n'étions pas tous préparés, venant de la société civile. Pour nombre d'entre nous, un temps d'adaptation fut nécessaire à une forme de violence, à la dureté politico-médiatique, cela n'a échappé à personne", a-t-elle également lancé, s'élevant en outre contre les "ricanements et objections" qui ont accueilli son projet de faire circuler des chefs-d'oeuvre comme la Joconde dans les régions.
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