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Face à la persistance de la crise sanitaire, les festivals de musique de l'hiver se maintiennent comme ils le peuvent, mais s'inquiètent pour l'avenir

Programmés à cheval sur janvier et février, les festivals Au fil des voix à Paris et Sons d'hiver dans le Val-de-Marne se replient sur des éditions digitales en format resserré. À Toulouse, Détours de chant maintient quelques soirées sur sa page Facebook.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le 360 Music Factory, nouveau centre névralgique du festival Au fil des voix, à Paris, le 12 février 2020, jour de l'inauguration de la salle. (BRUNO LEVESQUE / MAXPPP)

Ils sont trois festivals hivernaux - Au fil des voix à Paris, Sons d'hiver en Île-de-France et Détours de chant à Toulouse - à avoir vu en quelques semaines leur horizon s'assombrir au fil des annonces gouvernementales face à la pandémie de coronavirus. Depuis le reconfinement fin octobre, le spectacle vivant subit avec un désarroi croissant chaque nouvelle prolongation de sa mise sous cloche, ses espoirs d'une possible reprise ayant été successivement repoussés au 15 décembre, au 7 janvier, à fin janvier... et probablement bien au-delà, sans parler de la généralisation du couvre-feu à 18 heures en métropole instaurée le 16 janvier, et d'un possible reconfinement dans les prochaines semaines.

"Tout faire pour que les artistes jouent au maximum"

Après des semaines de stress, les festivals d'hiver s'adaptent comme ils le peuvent, avec des conversions en éditions digitales quand c'est possible. C'est le cas d'Au fil des voix, rendez-vous musical parisien très éclectique qui met à l'honneur des chanteurs du monde entier. Le festival s'est d'abord posé la question du maintien de sa 14e édition qui aurait dû débuter le 25 janvier, avant de l'organiser malgré les risques et les incertitudes.

Face à l'évolution récente du contexte sanitaire, Au fil des voix se mue en édition tout numérique. Préparant déjà cette issue inéluctable, le fondateur et directeur artistique Saïd Assadi nous indiquait le 13 janvier : "Nous avons beaucoup réfléchi, et finalement on s'est fixé la mission de faire tout notre possible pour que les artistes puissent jouer au maximum et que le public, mais aussi les professionnels - programmateurs, médias - dans la perspective de la période estivale et de la saison 2021-22, puissent les voir par différents moyens, en particulier du fait que tous ces spectacles sont inédits, liés à de nouveaux albums, de nouvelles créations, car c'est le principe du festival."

C'est le cas de la chanteuse réunionnaise Christine Salem, du groupe corrézien San Salvador qui lance son premier album, ou encore du chanteur brésilien João Selva. Les concerts maintenus se tiendront au 360 Paris Music Factory entre le 1er et le 8 février, précise un communiqué du festival transmis lundi 25 janvier. Ils seront filmés en haute qualité par six caméras sous l'égide d'un réalisateur et diffusés courant février sur différentes plateformes, "afin d'avoir une diffusion la plus large possible", selon Saïd Assadi. "Nous avions programmé initialement dix-huit groupes, mais deux d'entre eux ont préféré reporter leur concert étant donné que la sortie du disque qu'ils devaient présenter a été repoussée."

La playlist 2021 d'Au fil des voix sur Spotify

Faut-il tout filmer ?

Sons d'hiver, gros rendez-vous de jazz et de musiques actuelles basé dans le Val-de-Marne, rêvait d'un tout autre destin pour son édition du trentenaire. Le festival, qui aurait dû démarrer le 22 janvier avec des invités comme le guitariste Bill Frisell, la chanteuse Élise Caron ou le saxophoniste Archie Shepp, a vu ses les dernières illusions s'évanouir en l'espace de quinze jours. En lieu et place du programme initial du festival, le site affiche depuis dimanche une "Plateforme" amenée à être enrichie jusqu'au 19 février, et qui présente et conservera les "traces délicates et engagées" d'une édition "chamboulée", de nombreux artistes étrangers ne pouvant plus venir en France du fait du durcissement des restrictions sanitaires.

"Je ne voulais pas tout tourner en captation vidéo", nous explique Fabien Simon, directeur de Sons d'hiver. "Il y en aura une, deux, trois maximum. Je ne suis pas totalement satisfait de ce format. D'abord, ça coûte cher et on n'a pas forcément la compétence et les moyens de filmer. Ensuite l'image n'apporte finalement pas grand-chose au propos musical." Fabien Simon s'interroge sur l'intérêt même du public à l'égard de ce format : "J'ai un vrai doute. Je fais des sondages ici ou là, et des gens me disent que c'est compliqué de rester chez soi une heure devant un écran à regarder ce qui ressemble à un concert mais qui n'en est pas vraiment un, parce qu'il n'y a personne dans la salle."

"Un acte de résistance"

Le festival, qui souhaitait donc quelque chose de différent, a maintenu toutes les actions qui pouvaient l'être : résidences de créations, master-classes (les écoles de musique et conservatoires étant ouverts)... "C'est modeste mais ça a le mérite d'exister, et là au moins, il y a de vraies personnes en face des artistes." Sons d'hiver prévoit aussi des captations radio. "Ce format nous semble intéressant dans cette période où l'image est galvaudée : il recentre les choses sur l'écoute. On a passé des commandes d'œuvres radiophoniques qui seront mises en ligne au fur et à mesure sur notre plateforme. L'idée, c'est que chacun puisse aller voir, à son rythme, quand il en a envie, les contenus qu'on aura pu proposer, de l'audio, de la photo, de la vidéo", ajoute Fabien Simon.

Entre-temps, un premier concert vidéo, disponible en replay, a pu se tenir dimanche 24 janvier devant un petit public de professionnels, au musée du Quai Branly à Paris, celui du groupe du percussionniste américain Famoudou Don Moye. "On a bien vu sur les visages des musiciens que pour eux, ça change tout de jouer devant des gens et pas seulement une caméra." Pour Fabien Simon, maintenir "des petites choses" qui demandent "beaucoup d'énergie" vu les nombreuses contraintes, "maintenir cette relation avec les artistes, les maintenir dans un état d'esprit créatif, être dans l'action" est "presque un acte de résistance. On se bat".

À Toulouse, Détours de chant (26 janvier-6 février), festival oscillant entre pop et chanson, a annulé dans un premier temps ses dates de janvier, parvenant à reporter certains concerts à octobre. Christophe Miossec, programmé les 4 et 5 février, était la tête d'affiche de la deuxième semaine. Finalement, l'ensemble du festival est annulé, quelques rares concerts étant maintenus à huis clos pour une diffusion sur les ondes locales de Radio Cave Po ou en streaming sur la page Facebook du festival. C'est le cas du chanteur Magyd Cherfi (du groupe Zebda) jeudi soir 28 janvier, dont le concert doit être diffusé le 29 sur internet comme l'indique La Dépêche du Midi (article pour abonnés). Le site de ViàOccitanie a posté jeudi le programme des différents rendez-vous.

"Colère et sentiment d'injustice"

Depuis cet automne, à chaque nouveau report d'une reprise de l'activité culturelle, le secteur de la culture exprime son désarroi d'être maintenu dans l'incertitude, et souligne son incompréhension de devoir laisser en sommeil des salles où tous les protocoles sanitaires avaient été dûment mis en place. "Je ne peux pas juger la partie sanitaire, souligne Saïd Assadi, directeur d'Au fil des voix. Néanmoins, je suis un peu contrarié par la façon dont la culture, les lieux culturels et le travail des artistes ont été traités. Il faut savoir vivre avec le Covid, prendre les dispositions nécessaires. Mais c'est aussi une question culturelle. Tout dépend vraiment du regard que nous portons sur la culture. J'ai l'impression qu'elle est vue juste comme un moyen de divertissement. Si on considérait la culture comme essentielle dans la vie quotidienne des gens, alors évidemment, on pourrait avoir un autre regard et lui confier un autre rôle, même dans des situations aussi complexes que cette épidémie."

Fabien Simon, de Sons d'hiver, n'a pas mieux vécu les décisions gouvernementales des derniers mois : "À titre personnel, je suis passé par différentes phases. Il y a eu de la colère et un sentiment d'injustice réel, très fort, quand en décembre, vous voyez les secteurs marchands rouvrir et la culture rester fermée. Comment peut-on considérer que les galeries d'arts qui vendent des œuvres peuvent rouvrir mais que les musées ne puissent pas accueillir du public, que les grands magasins rouvrent, que les soldes battent leur plein, avec des files interrompues le week-end et qu'on nous dise que le problème de la culture, c'est que ça crée des files d'attente. C'est difficile à avaler et ça dit quelque chose de très simple : ce qui compte pour les gouvernants, c'est la consommation, parce que ça fait tourner l'économie. Le reste passe en second."

À terme, une lourde menace sur la diversité de la création

La progression en France des variants contagieux du Covid-19 ne va guère arranger les choses. Or, plus le spectacle vivant tardera à reprendre, plus les protagonistes les plus vulnérables comme les artistes émergents auront du mal à retrouver de la visibilité, malgré les aides de l'État qui ne pourront pas combler toutes leurs difficultés financières.

Saïd Assadi redoute une concentration lourde de répercussions au moment où la culture sortira - enfin - de sa longue hibernation : "Ce qui me préoccupe, c'est une rupture entre les artistes en développement et leur public. Nous observons depuis des années une concentration. Il suffit d'observer le nombre des grandes scènes qui se construisent, les augmentations des montants des contrats des grandes têtes d'affiche. Les conséquences budgétaires sont subies par les artistes en développement."

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