"La Grande Folie" : la folk occitane ensorcelante du groupe San Salvador dans leur tout premier album
Né dans un village de Corrèze, le collectif San Salvador sort son premier album vendredi 22 janvier après s'être forgé un son et une identité inclassables entre folk occitane et rock chamanique au fil des ans et des festivals, devant des publics de plus en plus larges. Le compositeur nous présente le groupe.
San Salvador, c'est six jeunes trentenaires, chanteurs munis de percussions, qui content des chroniques issues d'un répertoire populaire, traditionnel, occitan. Leurs polyphonies tantôt endiablées, tantôt hypnotiques, à la limite de la transe, ont fasciné et conquis les publics de différents festivals (Vieilles Charrues, Bourges...) et autres salons professionnels (en Europe, à New York...) où ils se sont produits.
San Salvador, c'est à la fois une histoire de famille (le groupe compte deux duos frère-sœur), d'amitié et de passion commune née à Saint-Salvadour, en Corrèze. Une passion née dès leur enfance dans les ateliers de musique traditionnelle qu'animait Olivier Durif, musicien et ethnomusicologue de vocation qui, dans les années 70, s'est lancé dans le collectage du répertoire rural de l'ouest du Massif central auprès des personnes âgées afin de sauvegarder ce patrimoine musical.
Quelques décennies plus tard, deux enfants d'Olivier Durif, Gabriel et Eva, défendent ce répertoire au sein de San Salvador, le premier étant le compositeur et porte-parole du groupe. Le collectif propose ses propres musiques à partir de textes de chansons populaires en occitan. Vibrant et exalté, leur premier album, le bien-nommé La Grande Folie est sorti vendredi 22 janvier 2021 chez Pagans/MDC/ Pias. Gabriel Durif répond aux questions de Franceinfo Culture.
[Fai sautar (San Salvador), morceau d'ouverture de La Grande Folie (2021), une chanson qui dit, laissant l'auditeur l'interpréter à sa guise : "Ça va sauter, la prison est pleine à craquer, faisons sauter les barreaux et les chaînes et libérons-nous collectivement."]
Franceinfo Culture : L'histoire de San Salvador remonte à votre enfance. Comment s'est forgé ce collectif ?
Gabriel Durif : On se connaît depuis qu'on est tout petits, on avait 5 ou 6 ans, puisqu'on habite un peu au même endroit, dans un tout petit village [Saint-Salvadour, ndlr]. On était tous voisins, nos parents se connaissaient, étaient amis. Notre amitié est d'abord musicale, même si on en a fait autre chose. Ce qui nous a réunis au départ, c'est de faire de la musique ensemble. Après, la vie a fait son œuvre, on a tous nos trucs personnels, mais on est toujours restés en proximité les uns des autres, avec la musique comme occasion de continuer à échanger ensemble. Aujourd'hui on habite à deux kilomètres les uns des autres, chacun dans sa maison. On est tous restés là. Ça faisait partie des choses qu'on souhaitait, pouvoir continuer à vivre à cet endroit qui nous tenait à cœur. Ça fait sens pour le projet artistique que l'on mène.
Votre passion pour ces chants populaires anciens de Corrèze, du Massif central, vous vient de votre père Olivier, qui en a collecté dans les années 70... Vous me faites un peu penser à John et Alan Lomax, les célèbres ethnomusicologues américains qui étaient aussi père et fils !
C'est sympa ! C'est une espèce de référence pour les collecteurs européens. Dans les années 70, les gens voulaient jouer du folk américain et d'autres gens leur ont dit : "Allez plutôt dans vos campagnes françaises, vous verrez que vous avez des choses à exhumer, à découvrir." C'était un mouvement global, une histoire de génération. En France, il y a eu beaucoup de gens qui vivaient plutôt dans les villes et qui sont retournés dans les campagnes françaises dans les années 70. Certains étaient musiciens, s'intéressaient à la musique, et mon père, parmi d'autres, a été pris dans ce mouvement. Les figures nord-américaines avaient quelques années d'avance.
Quelle résonance ces années-là ont-elles dans la musique que vous proposez aujourd'hui ?
On s'attache à être dans une fidélité à l'idée du chant des musiques populaires que l'on veut interpréter. Ce n'est pas un travail de technicité sur la voix. Nous n'avons appris à chanter nulle part. On chante comme ça vient, comme ça se présente à nous, les uns et les autres. Par contre, ce qu'on a appris, c'est que dans la musique qu'on découvrait, les sources de collectage des musiques populaires qu'on écoutait, on entendait que les gens ne trichaient pas. Ils ne trichaient pas avec ce qu'ils avaient à dire, à nommer. On n'est pas des chanteurs, des chanteuses, géniaux, mais on essaye de ne pas se mentir, et de ne pas mentir avec ce qu'on a à faire et à dire.
[Quau te mena : musique de San Salvador, paroles d'un chant traditionnel]
Dans le groupe, est-ce que vous parlez tous l'occitan, ou alors vous l'étudiez ?
On ne le parle pas, mais on a toujours chanté dans cette langue. C'est vraiment la langue qui est liée à notre pratique du chant. C'est de là que vient l'envie de chanter dans cette langue plutôt qu'en français. Cela nous autorise aussi une forme de liberté dans le rapport à ces chansons populaires dont les thèmes peuvent apparaître parfois un peu datés, ou ne pas forcément refléter ce que vous avez de plus urgent à dire. Et du coup, cela procure une espèce d'avantage sur le fait que vous créez de la distance, vous laissez l'auditeur un peu plus libre de son interprétation, son imagination.
Cette langue entretient aussi une forme de mystère...
Oui, mais ce n'est pas qu'un mystère. Même si vous ne parlez pas cette langue, je suis sûr qu'avec un petit effort, vous savez à peu près de quoi ça parle au départ. Puis vous écoutez la chanson, votre cerveau se met en mouvement, il commence à fabriquer une espèce d'image, d'idée de ce qu'on est en train de dire même si le sens ne vous apparaît pas précisément. C'est cette espèce d'intermédiaire que je trouve intéressant. C'est corroboré par les dates à l'étranger. Il arrive que des gens en pleurs viennent nous voir à la fin du concert, en Pologne, en Grèce : "Mais c'est exactement ça qu'on me chantait dans mon enfance..." Alors que non, pas du tout ! Il était intéressant de travailler sur ces zones qui relèvent du sensible et pas de la compréhension intellectuelle.
Avez-vous des souvenirs d'un concert, d'un festival, où vous avez senti que vous avez franchi un palier...
C'est vrai qu'avec des dates un peu fondatrices ou butoir comme les Vieilles Charrues [en 2017], tout d'un coup vous êtes propulsé dans des festivals qui ont une autre dimension que ce que vous avez fait jusqu'à présent. Ils sont venus nous chercher, on donnait déjà des concerts partout en France, mais de façon un peu plus confidentielle. Vous aviez l'habitude de jouer devant mille personnes maximum et tout d'un coup, il y a 6 ou 7000 personnes devant vous. Vous sortez de ce concert, effectivement, en ayant traversé des choses.
Pourquoi avoir intitulé l'album La Grande Folie, outre le fait qu'une des chansons porte ce titre ?
Pour plusieurs raisons. C'était un morceau qui nous plaisait, qui nous plaît toujours et qu'on joue en fin de concert. Son titre nous plaît, notamment par rapport à ce que l'on disait de cette histoire, longue, entre nous. Ça a été un mot un peu fédérateur de ce que l'on vivait, qui n'était pas commun, l'expérience collective qui est la nôtre... Souvent ce mot nous a permis de résumer un peu la chose. Et puis c'est une chanson qui dit quelque chose qui résonne plutôt utilement avec la situation du moment.
De quelle manière ?
Pour le dire très simplement, elle dit qu'il faut accepter l'idée de la mort parce qu'elle fait partie de la vie. Qu'il ne faut surtout pas en tout cas, par peur de la mort, s'endormir sur soi. Il faut rester éveillé, disponible.
[La Grande Folie : musique de San Salvador, paroles d'un chant traditionnel, en live le 8 décembre 2019 aux Trans Musicales de Rennes]
San Salvador en concert en streaming (à voir en direct ou en différé) le 28 janvier dans le cadre du festival Au fil des voix, version numérique
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