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Couvre-feu : trois clubs de jazz parisiens entre combativité et pragmatisme

Emmanuel Macron a annoncé mercredi la mise en place d'un couvre-feu à Paris, en Île-de-France et dans huit autres métropoles en état d'urgence sanitaire à compter de vendredi minuit. Cette mesure frappe de plein fouet, comme en mars au moment du confinement, le spectacle vivant. Nous avons recueilli les réactions de trois temples parisiens du jazz, le New Morning, le Sunset-Sunside et le Duc des Lombards.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le New Morning, célèbre salle de jazz parisienne, va se battre pour ne pas devenir une salle-fantôme, comme tous les établissements culturels touchés par le couvre-feu. (Alain Demerdjibachian)

Dès samedi 17 octobre, l'ensemble des institutions du spectacle vivant seront tenues de baisser le rideau à 21 heures pour une durée d'au moins quatre semaines, à la suite de l'établissement d'un couvre-feu qui concerne neuf grandes métropoles hexagonales pour lutter contre l'épidémie de coronavirus. Autant dire qu'il leur faudra fermer une demi-heure, voire une heure, avant l'heure fatidique afin de donner au public le temps de rentrer chez lui... Même si les aides de l'État octroyées ces derniers mois sont bien perçues, la mesure passe parfois douloureusement après tous les sacrifices déjà consentis : deux mois de confinement au printemps, l'annulation d'innombrables festivals, l'instauration de jauges réduites, puis la fermeture des bars des salles et clubs...

Franceinfo Culture a recueilli les réactions de trois responsables de clubs de jazz parisiens frappés par ce nouveau coup dur, qui espèrent continuer leur activité parfois de manière partielle comme le New Morning et le Sunset-Sunside ou qui ferment tout simplement leurs portes en attendant des jours meilleurs, comme le Duc des Lombards.

"C'est un cauchemar ! Pourquoi pas 22h plutôt que 21h ? Ça changerait tout", déplore le New Morning

La voix altérée par la colère et l'émotion, Catherine Farhi, directrice du New Morning, exprimait son incompréhension jeudi en fin de matinée. "Pourquoi est-ce qu'ils nous font ça ? C'est un cauchemar. Quand j'ai entendu l'annonce hier soir, j'étais bouche bée. J'ai pensé aux fillettes de Louis XI, ces prisons comme des cages de torture où on ne pouvait ni s'asseoir ni se tenir debout. On se sent comme ça. On se donne une peine de fou à s'adapter... L'État nous a promis des aides, alors on a fait confiance, on a répondu, on a développé des idées, on a retravaillé sur la scène locale, on a refait une programmation de qualité, en se privant des musiciens américains. On a tout accepté, y compris les restrictions imposées à notre bar, la suppression de l'entracte... On a vraiment joué le jeu. Alors je trouve que ce qu'ils nous font est déloyal."

"Pourquoi Emmanuel Macron ne fixe-t-il pas le couvre-feu à 22 heures ? Ça ne change rien ! Mais pour nous, ça change tout ! On dirait que nos dirigeants détestent le monde du spectacle ! D'un côté, ils dégagent des aides qui sont quand même sérieuses, mais de l'autre, Ils ne veulent vraiment pas qu'on fonctionne ! Il y a plusieurs manières de gérer une crise, mais je pense que Macron crée du stress !" Catherine Farhi espère que le ministère de la Culture soutiendra les établissements de spectacle et formule une requête comparable à celle des professionnels du cinéma"Il faudrait faire pression pour que les gens aient la possibilité de rentrer chez eux après un concert, sur présentation du billet, sans être verbalisés, vu qu'il existera des exceptions pour ceux qui travaillent [ndlr : Roselyne Bachelot est favorable à cette idée, Matignon l'a rejetée vendredi]. Vous savez, j'ai l'impression de respirer avec une paille, avec tout juste de quoi ne pas crever ! Et encore, ce n'est pas sûr..."

La directrice du New Morning, qui rappelle les efforts consentis pour assurer la sécurité sanitaire du public, ne compte pas pour autant jeter l'éponge. "Je ne pense pas qu'on soit davantage générateurs de Covid que d'autres. Nous travaillons depuis le 1er septembre. On n'a contaminé personne, on a des mesures de sécurité exemplaires, alors que dans les transports en commun, les gens s'entassent comme des sardines. Mais on va tout essayer pour continuer. On ne va jamais arrêter. On va avancer l'horaire des concerts. Pour une salle comme la nôtre, c'est difficile de tout réorganiser rapidement. On va naviguer à vue mais on va se battre."

"Dès lundi, on ferme en semaine et on reprogramme nos concerts le week-end en matinée", annonce le Sunset-Sunside

Parmi les clubs de jazz parisiens de plus petit format, le Sunset-Sunside, établissement composé de deux mini-salles rue des Lombards, au cœur de Paris, s'accroche de toutes ses forces. Le 6 octobre, il a fermé sa terrasse, une source capitale de revenus pour le club. Jeudi, le directeur Stéphane Portet a réagi concrètement à la nouvelle donne : "À partir de lundi, on va fermer la semaine et ouvrir les week-ends et les jours fériés, réaménager les concerts en matinée", c'est-à-dire l'après-midi dans le jargon du spectaclePour le premier week-end de couvre-feu, la reprogrammation est prête. "On a décidé de maintenir tous nos concerts jusqu'à dimanche, en avançant les horaires, avec des concerts à 16 heures, 18 heures", précise Stéphane Portet. "L'objectif, c'est de fermer à 20 heures pour que les gens puissent rentrer tranquillement chez eux. Pour les musiciens, c'est une catastrophe, tout tombe à l'eau, donc ils sont assez disponibles pour ces réorganisations. Savoir qu'ils vont pouvoir continuer à jouer, c'est la plus belle nouvelle possible. On a réussi à recaler tous les concerts du week-end en l'espace d'une demi-heure."

Samedi 17 octobre, les sets du trio Arshid Azarine sont reprogrammés à 17h30 et 19h. Mais le concert du guitariste Christian Escoudé est annulé. Dimanche, les amateurs pourront profiter du cycle Jazz & Goûter, un concept plein d'avenir... Et le concert-conférence consacré à la légende Sonny Rollins est avancé à 18 heures sans entracte pour finir plus tôt. "Je pense que les gens vont suivre", pronostique le patron du Sunset-Sunside qui affiche un stoïcisme à toute épreuve. "On va changer nos habitudes !"

Cependant, passer de sept jours de programmation par semaine à deux jours ne suffira pas à rentabiliser l'établissement qui tient grâce aux aides financières mises en place depuis le début de la pandémie, notamment celles du Centre national de la Musique (CNM). Stéphane Portet croyait peu, jeudi matin, en la viabilité de l'idée d'avancer les horaires des concerts en semaine. "Ce que je veux envoyer comme signal, c'est qu'on s'accroche, on cherche des solutions, on va monter des dossiers pour bénéficier d'aides, on reste ouvert sur des moments où les gens peuvent se déplacer. Faire un concert à 19 heures en semaine... les gens ne vont pas venir. Il faut sortir du boulot, puis assister à une heure de concert et stresser pour rentrer chez soi... En semaine, ce n'est pas gérable, c'est comme pour les restaurants. Mais le week-end, ainsi que les jours fériés, on peut aménager des séances l'après-midi, comme pour le cinéma. On est en train d'étudier les concerts qu'on peut maintenir."

"On se réadapte, comme un caméléon, on change de couleur..."

Philosophe, Stéphane Portet réécrit sa programmation parfois d'un jour sur l'autre depuis le début de la crise. Il se doutait du nouveau couperet qui tomberait sur la vie culturelle nocturne : "Je n'étais pas plus dépité que ça en apprenant la mise en place du couvre-feu... On est en train de s'habituer à ces changements permanents... On se réadapte, comme un caméléon, on change de couleur avec le temps", dit-il avant de laisser échapper un soupir. "J'ai un esprit guerrier, je veux survivre à cette situation catastrophique, il faut trouver des choses positives, des nouvelles solutions."

Vendredi matin, le New Morning a confirmé officiellement son souhait de maintenir ses concerts autant que possible via une modification des horaires. Une autre salle parisienne de jazz et de musiques actuelles a annoncé jeudi de premiers changements : le Studio de l'Ermitage, établissement incontournable de l'Est parisien, accueille samedi le Youpi Quartet à 18h30 (au lieu de lundi 21 heures). Le concert de vendredi est annulé. Pour la semaine prochaine, la direction envisageait jeudi d'avancer les horaires de certains concerts dans la mesure du possible. Dans le sud-ouest de Paris, le Bal Blomet a également décidé de maintenir ses concerts, d'en reporter certains et de décaler tous les horaires.

"On va se relever ! On sera obligé d'être dans l'excellence" : le Duc des Lombards va fermer le temps du couvre-feu

Contrairement à ses collègues, le Duc des Lombards ne compte pas s'acharner. Il va fermer ses portes samedi. Jeudi en fin d'après-midi, son directeur Sébastien Vidal a pointé auprès de Franceinfo Culture l'ampleur de la crise du Covid-19. "On a un gros problème sanitaire, sans précédent, que les gens n'ont pas l'air de comprendre. Moi, ce qui m'inquiète, c'est que les mesures qui vont être prises ne fonctionnent pas. Je ne suis pas malade, personne dans mon staff n'est malade, on n'a pas de nouvelles de gens venus au club qui aient été contaminés parce qu'on a pris des mesures sanitaires extrêmement strictes. On ne peut plus excercer notre métier, c'est bien dommage. Le gouvernement nous accompagne très fortement, avec des aides exceptionnelles du CNM, pour pouvoir passer ce cap et continuer à le faire quand on pourra de nouveau exercer notre métier. C'est la chose positive, sans précédent, complètement historique et unique au monde. Il n'y a pas un seul pays où cela soit le cas."

"On va se relever, proposer des programmations encore plus excitantes parce que c'est notre devoir, c'est même notre ADN en tant qu'entreprises indépendantes", pousuit Sébastien Vidal qui se projette déjà sur la reprise. "J'ai passé ma journée à reporter des concerts. Depuis le mois d'avril, c'est notre lot quotidien et c'est celui d'entreprises du spectacle vivant depuis le 16 mars dernier. Je mise sur une réouverture le 1er décembre avec Kyle Eastwood pendant quatre jours, puis Ibrahim Maalouf. Et si le gouvernement me dit qu'on ne rouvre pas le 1er décembre, alors je vais rappeler les artistes et on reportera encore jusqu'à ce qu'on puisse jouer. Ce qui est positif, c'est qu'on est obligé d'être dans l'excellence ! On n'a plus le droit de bricoler."

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