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"Blue World", le nouveau disque inédit de John Coltrane, un an après "The Lost Album"

De nouveaux enregistrements inédits du légendaire saxophoniste sortent vendredi 27 septembre, édités par le label Impulse!, un an après la parution de "Both Directions at Once : the Lost Album".

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
John Coltrane. Photo non datée mais localisée en Californie (source : Jay Blakesberg) (Jim Marshall Photography LLC)

C'est donc vrai, les légendes ne meurent pas. Si Miles Davis a marqué le début du mois de septembre avec la sortie posthume de l'album Rubberband (chez Warner) et la découverte d'un document vidéo rarissime, c'est au tour de John Coltrane de nous rappeler à son bon souvenir. Cinquante-deux ans après sa disparition à 40 ans, le mythique saxophoniste continue d'inspirer, de fasciner... et de dévoiler de nouveaux trésors. Un peu plus d'un an après la sortie-événement de Both Directions at Once : The Lost Album, le célèbre label de jazz Impulse! exhume cette fois huit nouveaux enregistrements inédits de John Coltrane réalisés en 1964 pour la bande originale d'un film canadien. Contrairement au Lost Album, le disque Blue World ne comporte pas de morceaux inconnus mais des nouvelles lectures de certaines de ses œuvres. Cinq questions sur ces enregistrements.


1Quand et dans quel contexte ces enregistrements ont-ils été réalisés ?

Les huit plages de Blue World ont été gravées le 24 juin 1964 aux studios Van Gelder - tenus par l'illustre Rudy Van Gelder - dans l'État du New Jersey, dans le Nord-Est des États-Unis. Les morceaux ont été enregistrés pour la bande originale d'un film québécois, Le chat dans le sac. C'est le réalisateur Gilles Groulx qui avait sollicité John Coltrane, dont il était fan absolu, et qu'il rêvait d'associer à son film, une histoire d'amour hantée par des questions sociétales et politiques de l'époque. Il a contacté le saxophoniste par le biais du contrebassiste Jim Garrison, membre du quartet de Coltrane, qu'il connaissait. Gilles Groulx était présent lors des séances d'enregistrement, mais on ignore la portée des échanges entre le cinéaste et le musicien sur la teneur des sessions. On sait néanmoins qu'il a proposé une liste de morceaux à Coltrane, ce dernier en acceptant certains, en refusant d'autres. Le jour de l'enregistrement, le quartet de Coltrane a joué plusieurs heures. Puis l'ingénieur du son Rudy Van Gelder a confié les bandes à Groulx. Après les avoir écoutées il était "en extase", peut-on lire sur le livret du CD, et il savait exactement quel usage il allait en faire pour le film.

2À quel moment de la carrière et de la vie de Coltrane se situe "Blue World" ?

À l'époque de cette session d'enregistrement, John Coltrane a renouvelé son contrat avec le label Impulse! deux mois plus tôt, en avril 1964. Entre le 27 avril et le 1er juin, il a enregistré l'album Crescent, considéré par de nombreux érudits jazz comme l'un de ses plus grands disques. Quelques jours après la session de Blue World du 24 juin, Coltrane apprend la mort de l'un de ses grands partenaires musicaux des dernières années, le saxophoniste et clarinettiste Eric Dolphy, qui a été membre de son quintet : le jeune homme de 36 ans est mort brutalement le 29 juin à Berlin des suites d'un diabète non diagnostiqué. Le 26 août, Coltrane devient le père d'un petit garçon, John Jr, son premier fils. Et le 9 décembre, il enregistre un album qui deviendra mythique, A Love Supreme, un disque majeur de l'histoire du jazz.

3Qui sont les musiciens qui entourent John Coltrane ?

Autour de John Coltrane, on retrouve dans Blue World les membres du légendaire quartet des années 1962-1965, considéré aujourd'hui comme son "Quartet classique" : McCoy Tyner au piano, Jim Garrison à la basse, Elvin Jones à la batterie. Si Garrison s'est associé au saxophoniste en 1961, Tyner et Jones ont commencé à enregistrer avec Coltrane un peu plus tôt, en 1960. C'est ce quartet qui figure ainsi, en tant que tel ou renforcé par d'autres musiciens, au casting des albums Ballads, Coltrane, Live at Birdland, Crescent, A Love Supreme, The John Coltrane Quartet Plays, Kulu Sé Mama, Ascension, Meditations, mais aussi l'album perdu Both Directions at Once dont Impulse! a retrouvé une copie qui a permis son lancement inespéré en juin 2018. Parmi ces disques, A Love Supreme marquera un tournant spirituel dans l'œuvre de Coltrane et confirmera sa nouvelle orientation vers l'avant-garde, le free jazz. Cette direction, combinée au recrutement d'un deuxième batteur, entraîne la fin du "Quartet classique" : Tyner s'en va avant la fin 1965, suivi par Elvin Jones début 1966.

4Que trouve-t-on dans l'album "Blue World" ?

Blue World regroupe donc les musiques enregistrées pour Le chat dans le sac (visible ici), film expérimental en noir et blanc d'1H14, sacré en 1964 Grand Prix du Long Métrage au Festival du Cinéma canadien. Mais sur 37 minutes de musique proposées par le label Impulse!, on en entend seulement une dizaine dans ce long-métrage où les protagonistes s'expriment beaucoup en voix off : le légendaire Naima (c'était le surnom de la première épouse de Coltrane) résonne peu après une brève introduction sans générique. On entendra à nouveau Naima à la 18e minute du film. Dans la première partie du Chat dans le sac, le début de Village Blues accompagne une scène d'amour.

Fait rare dans le parcours de Coltrane, pour ce projet de bande originale, le saxophoniste et son groupe ont rejoué cinq œuvres parues dans des disques précédents. L'album Blue World regroupe deux, voire trois versions de ces morceaux : deux prises de Naima (album Giants Steps, 1960), trois prises de Village Blues (Coltrane Jazz, 1960), une prise de Like Sonny (Coltrane Jazz), une prise de Traneing In (John Coltrane with the Red Garland Trio, 1958), et enfin le titre éponyme Blue World qui s'avère être une réécriture d'un morceau composé initialement par Harold Arlen, Out of this World, et que le saxophoniste avait revisité une première fois dans son album Coltrane (1962). Aux amateurs de savourer des versions différentes de celles auxquelles ils se sont famliarisés depuis des décennies, l'occasion aussi de percevoir son cheminement, son évolution musicale.

5Peut-on vraiment parler d'"album" ?

La question se pose quand il est question d'un disque qui comporte, sur un total de huit pistes, trois versions d'un même titre, deux versions d'un autre. Sans oublier qu'au début de chaque piste, on entend une voix lointaine (celle de Rudy Van Gelder ?), parfois entre d'autres voix, énoncer le nom du morceau et le numéro de la prise ("Naima, take one"... "Village Blues, take two..."). C'est un parti pris comme un autre. Mais qu'importe l'appellation la plus légitime. Cet enregistrement est à prendre comme un témoignage supplémentaire de la grâce évidente, absolue, de Coltrane et de ses compagnons de route de l'époque.


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