«A Música Segundo Tom Jobim» : sur les pas d'un génie
Synopsis
«A Música Segundo Tom Jobim» («La Musique selon Tom Jobim») est un documentaire musical survolant la carrière d'Antônio Carlos Jobim (1927-1994), en présentant ses grands succès et leurs reprises par de nombreux artistes à travers le monde. Il est sorti le 20 janvier 2012 au Brésil, dans un premier temps à Rio de Janeiro. Il est projeté à Cannes, hors compétition, ce mardi 22 mai.
Hommage à un génie musical
Souvent appelé "Tom" Jobim, Antônio Carlos Jobim est considéré comme le plus grand compositeur brésilien du XXe siècle (si l'on excepte, dans le domaine classique, son aîné Heitor Villa-Lobos). Cofondateur de la bossa nova, mouvement musical né à Rio de Janeiro à la fin des années 1950, il a signé des musiques qui ont fait le tour du monde, à commencer par «Garota de Ipanema» («La fille d'Ipanema»), «Desafinado» ou «Corcovado». Génie mélodiste et harmoniste, influencé par Fauré, Debussy ou Chopin, Jobim ne s'est pas limité à la bossa nova, touchant à différents genres musicaux, brésiliens mais pas seulement : samba, chanson populaire brésilienne, choro, jazz (bossa et jazz allaient faire bon ménage), musique symphonique…
Le cinéaste et documentariste Nelson Pereira dos Santos a déjà consacré un documentaire à Jobim, «A luz do Tom» («La lumière de Tom»), ainsi qu’à d’autres grands personnages du Brésil. Mais ce réalisateur, aujourd’hui âgé de 83 ans, est surtout connu pour être le précurseur d’une véritable Nouvelle Vague à la Brésilienne, le Cinema novo (nouveau cinéma), d’influence néo-réaliste, affranchi des dogmes et académismes. On lui doit des films comme «Rio, 40 degrés» (1955) ou «Vidas secas» (1963). Pour le documentaire sur Jobim, il a travaillé avec la petite-fille du musicien, Dora, elle-même réalisatrice, et avec Paulo Jobim (le fils de Tom) pour la musique.
"Aguas de Março", Elis Regina et Tom Jobim (1974)... Pour découvrir les ultimes secondes, émouvantes, de la séquence, il faudra voir le film.
De la musique avant toute chose
Dans «A Música Segundo Tom Jobim», le procédé de Nelson Pereira dos Santos est limpide : pas de voix off, pas d'interview. Inutile de guetter, entre deux chansons, un témoignage ému ou le commentaire solennel d'un narrateur. Le langage musical de Jobim «suffit», a confié le réalisateur à l'AFP. «Le plaisir et l'émotion de l'écouter.» La musique tient le premier rôle. Quant à son compositeur, s'il est bien présent comme interprète de ses oeuvres (sur les fameux «One note samba» ou «Aguas de Março» avec Elis Regina, mais aussi sur des morceaux moins connus comme «Bebel»), il est loin d'être omniprésent à l'écran. Seule sa musique l’est. Les oeuvres et reprises défilent dans de longs extraits, voire en intégralité. Afin de séquencer, visuellement, les périodes de la vie de Jobim, Nelson Pereira dos Santos a inséré des photos, parfois personnelles et émouvantes, du musicien, et glissé des images d’archives de Rio et du Brésil.
Un festival de reprises
Le réalisateur a donc privilégié les œuvres de Tom Jobim revisitées par d’innombrables interprètes. Peut-être parce que Tom Jobim était avant tout un compositeur qui s'offrait le plaisir de chanter lui-même sa musique. Surtout parce que le propos du film consiste surtout à révéler cette incroyable galerie d'artistes, issus du Brésil, des Etats-Unis, ou parfois de pays bien lointains, qui ont chanté ou joué Jobim. Parmi les plus célèbres, on citera Vinicius de Moraes bien sûr (complice de Jobim, cofondateur et illustre poète-parolier de la bossa nova), Frank Sinatra (il a enregistré avec Jobim), Ella Fitzgerald, Judy Garland (dans un émouvant «How Insensitive» -Insensatez- au crépuscule de sa propre vie), Diana Krall, les pianistes Erroll Garner et Oscar Peterson, le guitariste Pat Metheny (qui a joué sur scène avec Jobim quelques mois avant sa mort), le vibraphoniste prodige Gary Burton…
Quatre versions françaises
Les interprètes français de Jobim ne sont pas oubliés ! Dès les premières minutes du film, Jean Sablon nous surprend par une traduction respectueuse de «A Felicidade»… Plus tard, Pierre Barouh, amoureux légendaire du Brésil, chante «Ce n’est que de l’eau» («Agua de beber»). Stacy Kent interprète sa version des «Eaux de Mars» («Aguas de Março»), une adaptation que l’on doit à Georges Moustaki. Et que dire de cette version scénique, tendre et kitsch, de «Tu sais, je vais t’aimer», par Henri Salvador…
Le kitsch n’est effectivement pas absent du documentaire... Nelson Pereira dos Santos s’en donne à cœur joie, notamment, à enchaîner les adaptations de «Garota de Ipanema», des années 60 à nos jours… On y trouve le pire et le meilleur… Même Lio y est allée de sa reprise dansante en anglais ! Le kitsch, c’est aussi Carlinhos Brown, dans une version surprenante de «Luiza», accompagné par un Jaques Morelenbaum -ancien compagnon de route de Jobim- imperturbable au violoncelle.
Un grand absent : João Gilberto
Dans ce film, un artisan phare de la bossa nova brille par son absence : João Gilberto, interprète emblématique et pionnier de la bossa nova avec Tom Jobim et Vinicius de Moraes. Le fantasque chanteur-guitariste, unique survivant du trio fondateur, aurait refusé de négocier les droits et d’apparaître dans le film. Dommage.
Alors, que retenir de ce documentaire ? Les non-spécialites découvriront un compositeur hors du commun au travers d’un festival foisonnant de musiques et d’interprètes, dans plusieurs langues... Un sacré travail de recherche ! Les amoureux de Jobim, ceux qui auront peut-être écumé les centaines d'archives disponibles sur Youtube, ne verront que peu de documents rares mettant en scène le «Maestro soberano» («Maître souverain»). Et pourtant, quelle émotion de s’installer dans une salle obscure et de s'immerger, sur grand écran, dans l’histoire de ce musicien lumineux, trop tôt disparu, qui a influencé tant d'artistes... Un bel hommage.
Interview de Nelson Pereira dos Santos et extraits du film (en portugais) sur TV Globo (13/01/2012)
Un reportage de l'émission "Bom Dia Brasil" sur le film (en portugais), avec, entre autres, Nelson Pereira dos Santos, Dora Jobim, Paulo Jobim, le journaliste-écrivain Rui Castro, la chanteuse Miucha... (19 janvier 2012)
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