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"Folle journée", c'est fini : nos passions désaccordées

Nous avons mis dans cette dernière journée tout ce que nous n’avions pas réussi à caser. Comme le fond d’un filet de pêche où le menu fretin cache des merveilles. En vrac.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Pamuza Matshikiza à la Folle journée de Nantes
 (Photopqr/Ouest France)

Il manquait à cette semaine de chronique la petite tête blonde. Elle surgit ce  dimanche à onze heures avec son papa et son (un peu plus) grand frère (maman est-elle restée à la maison faire des crêpes pour la Chandeleur ?) : Augustin, quatre ans et demi, grand sourire, sur sa tête (donc blonde) une couronne de galette des rois. Il a déjà tout compris : «On applaudit quand on aime. On n’applaudit pas quand on n’aime pas. On parle pas pendant un concert. Mais on peut chuchoter doucement » Bien des adultes pourraient s’inspirer d’Augustin.

Andreï Korobeinikov jour la « Fantaisie » de Schumann. «Fantaisie » devrait s’entendre « fantasme » ou « fantôme ». Dure à interpréter, pas seulement pour les doigts, car si instable de sentiments. Comme Korobeinikov, parfois trop brutal, parfois d’une magnifique douceur. Il sera à son meilleur dans la « Méphisto-Valse » de Liszt : campant un Méphisto boiteux, sautillant et sarcastique comme le Scarbo de Ravel.

La juste émotion de Carlos Mena

Rien à voir : Carlos Mena chante Vivaldi. L’Espagnol, en quelques années, est devenu un haute-contre de premier plan  –très différent de Jaroussky. Fermez les yeux: vous entendez une mezzo à la voix égale, à la belle couleur soyeuse et… depuis combien de temps n’ai-je pas entendu des vocalises aussi parfaites? La juste émotion en plus, malgré l’accompagnement toujours plan-plan de Philippe Pierlot et de son ensemble.

Magnifique Yann-Fanch Kemener

Rien à voir : Yann-Fanch Kemener. Il chante avec ses deux excellents musiciens des chants traditionnels de la Semaine Sainte. En breton, langue si étrange pour qui ne l’est pas, et si belle quand l’humeur est sombre.  Quelques femmes guidaient la procession hors du village, vers la colline la plus élevée, symbole du Golgotha, en psalmodiant ces cantiques repris par toute la population. La Vierge Marie aurait pu être ramasseuse de seigle ou femme de pêcheur. Elle dit (et Kemener la reprend d’une belle voix un peu voilée) : « Si j’avais eu des plumes, des ailes d’azur, je m’envolerais à l’angle de la croix pour donner un baiser ou deux à mon fils ». C’est magnifique.

La foule dans l'Agora, entre deux concerts
 (Photopqr/Ouest France)
(Pas si) rien à voir. L’accordéoniste aux pieds nus, Yann-Fanch Kemener au violoncelle. Non plus musique des granits mais musique des vents, de la fuite ou de l’exil. Juives, manouches, tziganes, hongroises, communautés persécutées, régions labourées par l’histoire. Mais quelle énergie, quelle beauté ! Salque étonnant de présence, Peirani qui ne regarde jamais son instrument mais qui, en le sentant respirer contre lui, sait imparablement ce qu’il joue. Une œuvre aussi qu’il a écrite (et qu’il annonce : « Pour ceux qui n’auraient pas le programme nous allons poursuivre par le prochain morceau ») Quelques notes lui suffisent pour que s’incarne un paysage désolé où chemine un homme de silence.

La précision de Camille Poul

Rien à voir : « La voix humaine » de Poulenc. Texte (inspiré) de Cocteau. Une femme parle au téléphone avec son amant qui va la quitter. L’inconnue Camille Poul est un mélange de Binoche, Sophie Marceau et Virginie Ledoyen. On le dit car c’est sa beauté qui nous évite le côté « femme vieillissante abandonnée par un plus jeune ». Du coup on ressent d’autant plus violemment son effondrement intérieur. Voix étonnante de précision, diction parfaite, or c’est une heure seule en scène, et qu’il faut JOUER. Le pianiste Jean-Paul Pruna est un partenaire essentiel pour Camille Poul. Dont le « Je t’aime » final est digne du « Je ne vous aime pas » du « Madame de » de Max Ophüls.

L'exquise austérité de Pierre Hantaï

Rien à voir: Pierre Hantaï, immense claveciniste, joue les maîtres Haendel et Bach avec une exquise austérité sur son beau clavecin à deux claviers. Un clavecin non pas vert et doré comme celui de Staier mais rouge, noir et feuille morte. Obscurité complète, partitions seules éclairées (par une lampe-dollar) atmosphère de soirée au château, sans les bougies. 

Rien à voir: le même programme (deux heures après) que la soirée de clôture diffusée par nos amis d’Arte. Et comme à la remise des prix à Cannes ou aux Oscars, ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont récompensés. Yulianna Avdeeva joue le « 2e concerto pour piano » de Chopin : de très jolies choses, un jeu net et bien timbré mais pas de vraie personnalité, sinon tirer Chopin vers Beethoven. Marita Solberg chante Mozart et Grieg : bon! Le ténor Paolo Fanale, dans Donizetti pousse les aigus comme un chanteur napolitain. Enfin Pumeza vint…

Pumeza Matshikiza

Pumeza Matshikiza. Elle m’avait tapé dans l’œil (et dans l’oreille) cet automne auprès de Rolando Villazon. Apparemment je n’étais pas le seul. Elle chante les mêmes deux Puccini, « O mio bambino caro ! » et « Mi chiamano Mimi », des tubes. On se dit que, décidément, on tient peut-être l’héritière de Grace Bumbry ou Leontyne Price. Pourtant elle ne peut rien faire face à la médiocrité du Sinfonia Varsovia dans le « Libiamo » de « Traviata » : les cuivres y sont indignes. Quant au « Danzon 2 » du mexicain Arturo Marquez, malgré tous les efforts de l’orchestre et du chef, Andris Poga (sans nuance)… c’est bien long. 
Pamuza Matshikiza
 (Photopqr/Ouest France)
Rendez-nous Pumeza.

P.S. Désolé pour les pianistes Matan Porat, Jean Dubé, Gaspard Dehaene ou Rémi Geniet (nominé pourtant aux Victoires de la Musique), pour le violoniste Sunao Goko, pour le chef Maxim Emelianichev, je n’ai pas eu le temps d’aller les écouter. J’ai couvert 10% des concerts. Calcul : il m’aurait fallu des journées de 240 heures, sans jamais dormir (sauf pendant certains concerts ?)
P.S. bis : Message privé (en forme de sidération) à la violoniste du Sinfonia Varsovia placée mercredi pendant le « Concerto » de Grieg au dernier rang, deuxième chaise: vos yeux noirs, madame, vos cheveux dorés de blé de juillet, votre visage en amande, votre sourire joyeux quand vous jouez. Vous ne lirez jamais cette (courte) déclaration (non traduite) dans l’appartement varsovien où vous êtes retournée ce soir (à moins que vous viviez à la campagne, ce qui, d’ailleurs, ne change rien à mon propos). Sachez (ou ne sachez pas) que je vous conserverai comme mon image personnelle, très personnelle, de cette « Folle Journée 2015 ». Ma modeste « Passion » à moi.



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