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"Folle journée 4" : où les voix de la passion rencontrent les voies du cœur
Beau ciel bleu à 10 heures du matin devant le vieux château des ducs de Bretagne, des marcheurs m’entourent dans le froid vif. A 10 heures 30 un incroyable brouhaha dans la (petite) salle de 200 places. Les marcheurs assis attendent désormais la voix de Bach.
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La double voix de Bach
Elle a nom Salomé Haller. Elle a nom Stephan MacLeod. C’est la double (et belle) voix des cantates de Bach, que dirige l’excellent Patrick Cohen-Akenine à la tête de ses "Folies françoises". Tous les chanteurs vous le diront, c’est un courage presque téméraire de chanter à cette heure du matin ! C’est pourquoi on pardonnera à Haller quelques aigus acides. Elle est l’âme, Mac Leod Jésus. Ils dialoguent. Dans la cantate « Bienheureux l’homme » : « Je me souhaiterais la mort si toi, mon Jésus, tu ne m’aimais pas » Et Jésus répond : « Je te tends la main et en même temps le cœur ». Dans la cantate « Bien-aimé Jésus, toi vers qui j’aspire », Jésus répond : « Et je veux toujours te prendre dans mes bras ». A vous donner envie de courir au temple… On a moins envie d’accompagner les héroïnes de Haendel, malgré Magali Léger. Jolie voix un peu courte, vocalises impeccables et… vendredi pourtant elle ne nous avait pas convaincu: son « Agrippine », la mère de Néron, mourait dans d’interminables imprécations que la chanteuse agrémentait de grands sourires ! Sa « Lucrèce », violée par Tarquin, se répand ce matin en une juste et belle colère avant de plonger dans son sein un poignard homicide. Ce n’est plus la même chanteuse. Même ses accompagnateurs de l’ensemble Rosasolis, fort moyens vendredi, en sont galvanisés.
Complices dans Schönberg
Un interlude instrumental au Lieu Unique (l’ancienne usine Lefèvre-Utile devenu un lieu culturel plutôt alternatif) : « La nuit transfigurée » de Schönberg. L’altiste Gérard Caussé nous lit l’histoire de cette femme qui avoue à son amant qu’avant de le rencontrer elle a fauté avec un étranger dont elle porte le fruit. L’amant lui répond que cet enfant étranger illuminera leur vie commune. Caussé, Henri Demarquette, le Quatuor Modigliani, ils se connaissent bien. Mais était-elle attendue, cette beauté sonore, cette complicité incroyable, cette poésie planante scintillante d’étoiles ? Un moment de grâce. Et le retour aux voix, avec une de ces surprises nantaises dont on se souvient longtemps. Je pensais aller entendre Scarlatti père par l’excellent choeur Jacques Moderne de Joël Suhubiette. Surprise, c’est le fils, l’auteur des fameuses 555 sonates, dont je découvre qu’il a eu une vie de compositeur religieux dans sa jeunesse italienne. Donc un « Te Deum » et un « Gloria » dans un style à l’ancienne, un peu grégorien, pas du tout Scarlatti. Et voilà soudain un « Stabat Mater » (« La mère se tenait debout, douloureuse, pleurant près de la croix ») sublime de beauté, de force, d’inspiration, porté, aspiré par 10 voix à la fois solistes et choeur, comme si dix saints martyrs contemplaient la Vierge du haut du ciel et commentaient la Crucifixion depuis leur propre expérience. 300 personnes aussi bluffées que moi sortent de la salle en se disant qu’ils ont pris un coup sur la tête.
Des lieder d’amour pour Clara Schumann
Après ça, le très beau en est presque fade. Et pourtant quel témoignage de passion que les lieder de Schumann, dédiés évidemment à Clara ! Les titres de « L’amour et la vie d’une femme » en disent déjà l’essentiel : « Depuis que je l’ai vu, lui, le plus magnifique », « Toi, anneau à mon doigt » mais cela finit hélas ! par «Tu m’as fait mal pour la première fois » car tu es mort. Léa Trommenschlager chante ces merveilles d’une voix chaude et souriante, Alphonse Cemin, le pianiste, est plus qu’un accompagnateur. Auparavant les 12 « Liederkreis » d’une inspiration plus romantique : « Entre chien et loup » (Le crépuscule va déployer ses ailes), « Mélancolie », « Dans la forêt », « Nuit de lune ». Damien Pass, qui serait –parions : qui sera- un « Don Giovanni », un Comte des « Noces de Figaro » (voix expressive et profonde) devrait soigner son allemand, qui est ici celui de la crème du romantisme germanique (Eichendorff et Chamisso)
Didon abandonnée
Les voix encore, les voix enfin. Auprès de Cohen-Akenine et des « Folies Françoises » (on boucle la boucle), la voix pleine d’engagement et de virtuosité d’Anne Magouët en «Didon abandonnée », dans des cantates de Campra le Provençal et de Montéclair. Campra l’emporte : texte meilleur, plus grande variété musicale. C’est la grande école française d’après-Lully, au début du règne de Louis XV, avec ses vertus de clarté mais moins d’emphase. Didon abandonnée par Enée s’enfonce, comme Lucrèce, un poignard dans le cœur (c’est une manie) : « Ma main peut seule assouvir ma fureur. Mourons » Laissons Didon abandonnée (jusqu’à demain) et rentrons nous coucher puisque tant de compositeurs lui ont assuré dans la mort un sublime tombeau.
Les concerts auxquels je n’aurai pas assisté ce samedi : le Dixit Dominus de Haendel dirigé par l’octogénaire Michel Corboz, le Concerto Köln dans Haendel et la famille Bach, le Via Crucis de Liszt par Vox Clamantis, le pianiste Neuburger et les Modigliani dans le Quintette de Brahms, Neuburger dirigeant, mais oui, Wagner et Haydn, Masaaki Suzuki et son fils dans un récital de clavecin, Abdel Rahman El Bacha dans la «Clair de Lune » et l’ « Appassionata » de Beethoven.
Le concert auxquel j’aurai assisté en partie : Adam Laloum et ses camarades Coeytaux et Julien-Laferrière étaient magnifiques dans le si beau mouvement lent du Trio « des Esprits" de Beethoven.
Elle a nom Salomé Haller. Elle a nom Stephan MacLeod. C’est la double (et belle) voix des cantates de Bach, que dirige l’excellent Patrick Cohen-Akenine à la tête de ses "Folies françoises". Tous les chanteurs vous le diront, c’est un courage presque téméraire de chanter à cette heure du matin ! C’est pourquoi on pardonnera à Haller quelques aigus acides. Elle est l’âme, Mac Leod Jésus. Ils dialoguent. Dans la cantate « Bienheureux l’homme » : « Je me souhaiterais la mort si toi, mon Jésus, tu ne m’aimais pas » Et Jésus répond : « Je te tends la main et en même temps le cœur ». Dans la cantate « Bien-aimé Jésus, toi vers qui j’aspire », Jésus répond : « Et je veux toujours te prendre dans mes bras ». A vous donner envie de courir au temple… On a moins envie d’accompagner les héroïnes de Haendel, malgré Magali Léger. Jolie voix un peu courte, vocalises impeccables et… vendredi pourtant elle ne nous avait pas convaincu: son « Agrippine », la mère de Néron, mourait dans d’interminables imprécations que la chanteuse agrémentait de grands sourires ! Sa « Lucrèce », violée par Tarquin, se répand ce matin en une juste et belle colère avant de plonger dans son sein un poignard homicide. Ce n’est plus la même chanteuse. Même ses accompagnateurs de l’ensemble Rosasolis, fort moyens vendredi, en sont galvanisés.
Complices dans Schönberg
Un interlude instrumental au Lieu Unique (l’ancienne usine Lefèvre-Utile devenu un lieu culturel plutôt alternatif) : « La nuit transfigurée » de Schönberg. L’altiste Gérard Caussé nous lit l’histoire de cette femme qui avoue à son amant qu’avant de le rencontrer elle a fauté avec un étranger dont elle porte le fruit. L’amant lui répond que cet enfant étranger illuminera leur vie commune. Caussé, Henri Demarquette, le Quatuor Modigliani, ils se connaissent bien. Mais était-elle attendue, cette beauté sonore, cette complicité incroyable, cette poésie planante scintillante d’étoiles ? Un moment de grâce. Et le retour aux voix, avec une de ces surprises nantaises dont on se souvient longtemps. Je pensais aller entendre Scarlatti père par l’excellent choeur Jacques Moderne de Joël Suhubiette. Surprise, c’est le fils, l’auteur des fameuses 555 sonates, dont je découvre qu’il a eu une vie de compositeur religieux dans sa jeunesse italienne. Donc un « Te Deum » et un « Gloria » dans un style à l’ancienne, un peu grégorien, pas du tout Scarlatti. Et voilà soudain un « Stabat Mater » (« La mère se tenait debout, douloureuse, pleurant près de la croix ») sublime de beauté, de force, d’inspiration, porté, aspiré par 10 voix à la fois solistes et choeur, comme si dix saints martyrs contemplaient la Vierge du haut du ciel et commentaient la Crucifixion depuis leur propre expérience. 300 personnes aussi bluffées que moi sortent de la salle en se disant qu’ils ont pris un coup sur la tête.
Des lieder d’amour pour Clara Schumann
Après ça, le très beau en est presque fade. Et pourtant quel témoignage de passion que les lieder de Schumann, dédiés évidemment à Clara ! Les titres de « L’amour et la vie d’une femme » en disent déjà l’essentiel : « Depuis que je l’ai vu, lui, le plus magnifique », « Toi, anneau à mon doigt » mais cela finit hélas ! par «Tu m’as fait mal pour la première fois » car tu es mort. Léa Trommenschlager chante ces merveilles d’une voix chaude et souriante, Alphonse Cemin, le pianiste, est plus qu’un accompagnateur. Auparavant les 12 « Liederkreis » d’une inspiration plus romantique : « Entre chien et loup » (Le crépuscule va déployer ses ailes), « Mélancolie », « Dans la forêt », « Nuit de lune ». Damien Pass, qui serait –parions : qui sera- un « Don Giovanni », un Comte des « Noces de Figaro » (voix expressive et profonde) devrait soigner son allemand, qui est ici celui de la crème du romantisme germanique (Eichendorff et Chamisso)
Didon abandonnée
Les voix encore, les voix enfin. Auprès de Cohen-Akenine et des « Folies Françoises » (on boucle la boucle), la voix pleine d’engagement et de virtuosité d’Anne Magouët en «Didon abandonnée », dans des cantates de Campra le Provençal et de Montéclair. Campra l’emporte : texte meilleur, plus grande variété musicale. C’est la grande école française d’après-Lully, au début du règne de Louis XV, avec ses vertus de clarté mais moins d’emphase. Didon abandonnée par Enée s’enfonce, comme Lucrèce, un poignard dans le cœur (c’est une manie) : « Ma main peut seule assouvir ma fureur. Mourons » Laissons Didon abandonnée (jusqu’à demain) et rentrons nous coucher puisque tant de compositeurs lui ont assuré dans la mort un sublime tombeau.
Les concerts auxquels je n’aurai pas assisté ce samedi : le Dixit Dominus de Haendel dirigé par l’octogénaire Michel Corboz, le Concerto Köln dans Haendel et la famille Bach, le Via Crucis de Liszt par Vox Clamantis, le pianiste Neuburger et les Modigliani dans le Quintette de Brahms, Neuburger dirigeant, mais oui, Wagner et Haydn, Masaaki Suzuki et son fils dans un récital de clavecin, Abdel Rahman El Bacha dans la «Clair de Lune » et l’ « Appassionata » de Beethoven.
Le concert auxquel j’aurai assisté en partie : Adam Laloum et ses camarades Coeytaux et Julien-Laferrière étaient magnifiques dans le si beau mouvement lent du Trio « des Esprits" de Beethoven.
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