"Marley", le mythe en question dans un documentaire-fleuve
Il fallait du courage à Kevin MacDonald pour s'atteler à cette tâche colossale, abandonnée avant lui par Martin Scorcese et Jonathan Demme, avec la bénédiction mais aussi sans doute les exigences du redoutable clan Marley. L'objectif dès le départ du cinéaste à qui l'on doit notamment "Le dernier roi d'Ecosse" : explorer l'homme derrière la légende, avec sa grandeur mais aussi ses faiblesses.
"Marley" la bande-annonce
S'il s'agit d'un documentaire de facture classique mélangeant interviews et témoignages, images et documents d'archives, extraits de concerts et tournages récents sur les lieux biographiques essentiels, ce film a aussi des atouts peu communs.
D'abord, il s'appuie sur des documents inédits issus des archives familiales. Ensuite, le montage est extrêmement habile, et l'utilisation des photos est si réussie qu'elles ne déméritent pas face aux images animées. Pour ne rien gâcher, les images récentes, tournées essentiellement en Jamaïque, sont magnifiques. Quant aux intervenants, soit terriblement truculents soit étonnemment lucides (voire les deux à la fois), l'humour en prime, ils sont en grande partie responsables de la réussite de ce documentaire.
Grâce à eux - en particulier les compagnons de route Bunny Wailer et Neville Garrick, mais aussi l'epouse et la fille de Bob, Rita et Cedella - "Marley" réussit son pari de n'être pas une hagiographie simpliste. Un portrait pas toujours flatteur
L'homme, Robert Nesta Marley, un métis qui endura le statut de paria durant toute sa jeunesse avant d'y puiser une irrésistible force de conviction, apparaît bien en filigrane derrière le Dieu du reggae. Et sa principale faiblesse, les femmes, n'est pas éludée, au contraire. Père de onze enfants officiels de sept femmes différentes, il pratiquait une forme de polygamie plus ou moins harmonieuse qui n'en fit pas moins souffrir son épouse Rita.
Ce coureur de jupons était en outre autoritaire avec ses compagnes - il dictait leur apparence selon les principes du rastafarisme et proscrivait notamment "les peintures de guerre" (le maquillage) et le pantalon. On comprend aussi entre les lignes qu'il fut un père indifférent, plutôt dur et souvent absent. Voilà pour les failles. Témoignages inédits et extraits rares de concerts
Dautres témoignages valent le détour, notamment celui de sa demi-soeur Constance, celui de son cousin blanc et celui de sa principale maîtresse Cindy Breakspeare, jamaïcaine blanche et Miss Monde 1976. Mais la plus grosse surprise vient sans doute de Pascaline Bongo, la fille de l'ancien président gabonais Omar Bongo, qui avait le béguin pour Marley et raconte (en français) comment elle le fit venir pour la première fois en Afrique.
Les images de concerts constituent aussi un gros point fort du film. Les extraits de celui, historique, qu'il donna à Kingston en avril 1978 sont tout à fait extraordinaires. Revenu spécialement de Londres pour ce "One Love Peace Concert", Marley, feu follet d'énergie, réussit à réunir sur scène les deux rivaux politiques qui se disputaient âprement le pouvoir en Jamaïque à l'époque. Une belle illustration de la force de conviction et de l'aura de Bob Marley.
Ce jour-là, il reçut d'ailleurs à l'aéroport de Kingston un accueil triomphal à la hauteur de celui qu'avait reçu au même endroit quelques années plus tôt l'empereur ethiopien Haïlé Sélassié, Messie du rastafarisme. D'une ambition personnelle à un dessein planétaire
Au fil de ce film mosaïque, quelque chose qui nous avait échappé jusqu'alors émerge derrière l'enigme Marley. On y perçoit la transmutation d'une ambition personnelle en un dessein spirituel planétaire. Ou comment un garçon rejeté doté d'une pugnacité et d'un charisme hors du commun évolue en mystique politique voué à la paix mondiale et à l'évolution des consciences.
Ses proches l'ont bien compris. A la question de savoir pourquoi et comment elle supportait les infidélités de son mari, Rita répond simplement que c'était sans importance au regard de la tâche qu'ils s'étaient assignés. "Nous étions en mission d'évangélisation pour rapprocher le plus de gens de Jah (Dieu dans la foi rastafari)".
Si ce révolutionnaire disparu prématurément d'un cancer à l'âge de 36 ans n'a pas laissé de testament (un casse-tête familial qui "était une façon de pousser chacun à se révéler" estime Bunny Wailer), son héritage, lui, est bien vivant. Les images du générique de fin, où des disciples de Marley reprennent en choeur ses chansons aux quatre coins de la planète, parlent pour lui. Mais son voeu le plus cher, la paix sur Terre, et son message d'unité ("One Love") seront-ils un jour exaucés ?
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