Cet article date de plus de trois ans.

Inédit : Gaspar Noé ressort son film "Irréversible" dans une "inversion intégrale"

Scandale de la compétition officielle à Cannes en 2002, le film retrouve les salles dans une nouvelle version entièrement remontée le 26 août.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Monica Bellucci dans "Irréversible" de Gaspar Noé. (Carlotta Films)

Irréversible de Gaspar Noé avait mis sens dessus-dessous le Festival de Cannes 2002 pour sa scène de viol en temps réel d’un quart d’heure. Un scandale dont la Croisette a le secret, un rien suranné et dont le discret Gaspar Noé se serait bien passé. Il donnait néanmoins un coup de projecteur sur le film, comme à chaque fois, ou presque (Enter the Void, Love, Climax).

Construit à l'origine sur un mode achronique, en commençant par la fin pour remonter au début de l'histoire, Irréversible revient en salles le mercredi 26 août dans une version chronologique, à l’initiative de son réalisateur. Une expérience  prometteuse, selon sa star, Monica Bellucci, la victime du film, que le boy-friend, interprété par Vincent Cassel - son compagnon à l’époque -, veut venger de ses violeurs. Le couple est accompagné de son meilleur ami, joué par Albert Dupontel.

"Beaucoup de spectateurs n’avaient pas compris"

"Je pense que cette version est très forte. La dualité entre la violence et la poésie du film est encore plus évidente. Le travail des acteurs est encore plus mis en valeur, ça reste un film très puissant, un punch in the stomach", dit l’actrice.

Gaspar Noé justifie de son côté cette nouvelle version : "Pourquoi ce film ? Parce que l’original était raconté à l’envers et que, submergés par la structure antichronologique du montage, beaucoup de spectateurs n’avaient pas compris certains aspects du récit. Présenté dans le sens des aiguilles d’une montre, tout est clair et aussi plus sombre. Aucun dialogue n’a été coupé, ni aucun événement de l’histoire. C’est pour cela que cette version s’appelle inversion intégrale ou straight cut. Jusqu’ici, Irréversible était un casse-tête voulu. Désormais c’est un diptyque, comme un vieux disque dont la face B serait le remix moins conceptuel du morceau de la face A, mais cette fois avec des voix plus audibles rendant le sens des mots plus fataliste. Vous verrez. Le temps révèle tout."

"Irréversible" en 2002

Vu à la première de presse à Cannes en 2002, Irréversible avait choqué les festivaliers, même s’ils savaient d’avance que la scène clé du film était un viol filmé en temps réel, interprété par la star en pointe du moment, Monica Bellucci. Ce n’était pas le scandale mémorable de La Grande Bouffe en 1973, mais pas loin : du petit lait pour Cannes…

Cette réaction, quasi-épidermique sur la Croisette, et qui participe de la marque "Cannes", laissait de côté l’invention du film, sa mise en scène, notamment dans le cadre et le montage, donc sa narration, sa poésie. La découverte du premier plan aérien, tout de rouge teinté, absorbait le regard pour nous entraîner dans un récit à rebours absolument fascinant par sa construction "façon puzzle".

C’est une formidable gageure de la part de Gaspar Noé de remettre son film dans "l’ordre". Mais aussi la confirmation, du moins dans les intentions – le film n’ayant pas encore été vu -, d’une quête formelle et émotionnelle qui le distingue dans le paysage du cinéma français.

Are you experienced ?

Gaspar Noé a été découvert avec son moyen métrage Carne (1992), où un boucher chevalin commettait un meurtre. Le cinéaste révélait du même coup l’immense acteur récemment disparu Philippe Nahon. Il refait appel à lui dans une "suite" formidable, Seul contre tous (1999), où, sorti de prison, le boucher ne s’adapte pas à l'évolution de la société française qu’il découvre.

Exigeant, Gaspar Noé l’est autant dans le choix de ses sujets que dans leur traitement. Passant constament du court-métrage au long, il revient à Cannes après Irréversible, en 2009 avec Enter the Void, toujours avec un sujet original. Il y décrit le voyage astral au-dessus de Tokyo d’un jeune dealer français ayant pris du LSD juste avant d’être tué lors d’une rixe. Planant, expérimental, vibrant, le film est culte auprès de la génération électro, la musique étant signée Thomas Bangalter, membre de Daft Punk.Retour à Cannes (hors compétition) avec Love en 2015, où un jeune père de 25 ans fait le bilan de sa vie sexuelle et sentimentale chaotique, en désespoir d'amour. Ponctué de scènes hard, avec un rapport vu de l’intérieur... en 3D : scandale encore. Sous une autre forme, Love n'est pas très éloigné de Eyes Wide Shut, le dernier film de Stanley Kubrick en 1999, sur le désarrois amoureux et sexuel.

C’est enfin, côté longs métrages, Climax, projeté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2018. Un film fou, où une troupe de danseurs, après une dernière répétition, fait une fête au cours de laquelle un participant verse du LSD dans la sangria, provoquant une orgie de violence sidérante. Une danse vitale habite le film, qui se transforme en danse macabre avec une virtuosité filmique unique.

Hormis Irréversible - Inversion intégrale, Gaspar Noé sort un nouveau moyen métrage de 50 mn le 23 septembre, Lux Aeterna, où Béatrice Dalle convainc Charlotte Gainsbourg d'intérpréter une sorcière sur le point d'être brûlée vive. Le tournage s'enflamme et sombre dans le chaos.

Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg dans "Lux Aeterna" de Gaspar Noé. (UFO Distribution / Potemkine Films)
Les films de Gaspar Noé ne sont pas de longs fleuves tranquilles, alors que le cinéaste dégage, quand on le rencontre, une sérénité à toute épreuve. Un peu comme David Cronenberg, avec lequel il a plus d’un point commun, du moins comme auteur-réalisateur. On pense aussi à Godard, dans les mots inscrits à l'image, la ponctuation du montage par écran noir, les plans séquence et son art de la couleur. Kubrick n'est également pas loin, dans la minutie apportée aux cadrages, et l'importance donnée au sens de la musique.

Cette "Inversion" de Irréversible, très attendue, démontre l’inventivité d’un des meilleurs cinéastes français, toujours orienté vers la recherche. Il ne rechigne pas à revisiter un de ses films majeurs pour en donner une expérience nouvelle, attendue sur les écrans le 26 août. Incontournable.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.