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Ice T, gangsta-rappeur et acteur, publie ses mémoires : percutant

Gangster, rappeur, rocker, acteur : Ice T a eu plusieurs vies. Dans le rap, domaine qui l’a fait connaître, il est l’une des voix les plus rebelles et les plus articulées de sa génération. A 54 ans, l’Original Gangster publie une autobiographie dans laquelle il livre son parcours en détails, cartes sur table, et les enseignements qu’il en a tiré. En dépit de son côté « Oncle Ice vous prépare aux pièges et périls de la vie », cet ouvrage qui se lit d’une traite est un must de toute bibliothèque hip-hop.
Article rédigé par franceinfo - Laure Narlian
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Ice T : flic ET gangster au cinéma. Ici dans "Air Rage".
 (DDP Images FilmFotos/SIPA )

Premier partout, et pas que sur le rap
« J’ai toujours aimé repousser les limites. J’ai toujours aimé être le premier à faire quelque chose. », résume Ice T dans « Ice, Mémoires de ma vie de gangster et de ma rédemption». Nulle exagération ici.

De fait, Ice T a d’abord été le premier à utiliser des mots interdits (nigga, ho, mutherfucka) dans un disque de rap (« Rhyme pays » en 1987). Il reste aussi comme le premier à avoir rimé sur la vie des gangsters de Los Angeles. Son hit "6’N the morning", est d’ailleurs considéré comme le premier « gangsta-rap » de l’histoire.

Ice T a également été le premier rappeur à monter un authentique groupe de rock hardcore, Bodycount, et à obtenir un premier rôle à Hollywood (dans « New Jack City »). Mais il est surtout le premier rappeur à être passé du statut d’ennemi public numéro un de la police américaine pour sa chanson "Cop Killer" ("Tueur de Flic") à celui d’idole des policiers. Par quel miracle ? En incarnant l’inspecteur Tutuola dans la série télévisée à succès "New York Unité Spéciale". Qui dit mieux ?

Ice T "Original Gangsta"

Une vie à rebondissements
« La vie ce n’est pas les biens matériels », assène notre homme. « La vie c’est les expériences exceptionnelles que tu rencontres. » Et en la matière, Tracy Marrow en a sous la semelle. Ceux qui ont eu le bonheur de l’interviewer le savent : ce rappeur est aussi volubile que passionnant et il n’y a qu’à tendre le micro pour que pleuvent les anecdotes, toutes plus folles les unes que les autres.

Son autobiographie, rédigée avec l’aide du journaliste Douglas Century, est rythmée comme un polar et aussi imagée qu'un bon rap. On y suit l’ascension fulgurante d’un garçon vif et malin, mélange de sagesse et de roublardise, dont l’intelligence tout terrain fera merveille aussi bien dans le milieu des voyous et des maquereaux que dans celui d’Hollywood.

L’histoire d’un jeune assez clair de peau et d'yeux « pour donner le change », qui découvre le racisme et réalise qu’il est noir à l’âge de 7 ans. Puis celle d’un grand délinquant réchappé de justesse du pénitencier qui prend un jour le parti d’utiliser son passé comme matériau pour son travail, à l’instar de son modèle, l’écrivain proxénète Iceberg Slim.

Ice T sur scène à Londres en juillet 2012.
 ( Jon Furniss/AP/SIPA)

Le rappeur angeleno a été élevé sur la côte Est
Première surprise : Ice T, rappeur emblématique de South Central Los Angeles, est né sur la côte Est, à Newark, et a passé son enfance dans le New Jersey avant de perdre mère et père (deux crises cardiaques à quelques années d’intervalle) et d’être expédié chez sa tante en Californie.

Comment, dans les rues féroces de South Central (Los Angeles) où il a atterri à la pré-adolescence,  a-t-il esquivé la terrible loi des gangs qui y prospéraient ? En refusant habilement d'arborer les couleurs du gang des Crips auquel il était naturellement affilié par son quartier, tout en évitant de se mêler aux meurtrières querelles internes.  «J’ai compris très jeune que ma survie viendrait de ma capacité à garder mon calme », se souvient-il.

Son hygiène de vie rigoureuse, particulièrement rare dans les milieux où il évoluait - pas de cigarettes, de drogues ni d’alcool qu’il trouvait non seulement « dégueulasses » mais qui auraient risqué de lui faire « perdre le contrôle » - a également servi sa cause.

En tant que gangster « je suis allé très loin dans le crime, mais je n’ai jamais voulu faire de mal à qui que ce soit » se justifie-t-il. Ice T refusait d’utiliser une arme à feu pendant une attaque, au motif que «si je sortais un flingue cela donnait aux autres le droit de me tirer dessus et de me tuer». Il reconnait toutefois ne devoir son salut qu'à l’ami pour la vie qui ne l’a pas dénoncé aux flics.

Ice T "I Must Stand"

L'armée ? Il y a beaucoup appris...
Mais tout cela ne serait sans doute rien sans ses quatre longues années passées dans l’armée de 17 à 20 ans, après la naissance du premier de ses deux enfants. Là réside l’une des autres grosses surprises du livre.

C’est en effet à l’armée qu'Ice touche pour la première fois au proxénétisme, à Hawaï, grâce à un souteneur qui le prend sous son aile. Là qu’il acquiert la rigueur, la discipline et la théorie tactique et stratégique qui lui serviront plus tard à l’organisation d’opérations criminelles. Et là encore qu’il puise la plus formidable niaque de sa carrière grâce aux humiliations d’un sergent chef qui le traite abruptement de « loser » incapable de s'en sortir « dans la vie civile ».

Le rappeur qui aimait le hard-rock
Dans ses mémoires, Ice explique aussi son amour des riffs acérés du hard-rock, en particulier ceux de Led Zeppelin et Black Sabbath, découverts grâce à son cousin Earl, « un des rares noirs que je connaissais qui aimait le rock ». Dès lors, « il y a toujours eu l’influence du rock sur mes albums de rap », à commencer par le premier, "Rhyme pays", pour lequel «j'ai utilisé "War Pigs" de Black Sabbath », rappelle-t-il. «  J’ai adoré la puissance, la valeur ajoutée que ces sons intenses de guitare électrique apportaient » au rap.

Au point de monter, après quatre albums en tant que rappeur, un groupe de rock hardcore à grosses guitares, Body Count, un vrai « garage band » qu’il rêvait de voir jouer avec Slayer. Ice T revient sur l’énorme controverse provoquée par sa chanson coup de poing "Cop Killer" ("Tueur de flic"), dont on retient surtout qu’il ne garde pas rancune à sa maison de disques Time Warner de l’avoir lâchement abandonné au plus fort de la tempête : à leur place, il n’aurait pas agi autrement.

Body Count "Cop Killer" (montage amateur)

Hollywood, ton monde impitoyable
Ice T nous fait profiter en chemin de sa philosophie vis-à-vis de la gent féminine, qui tient en peu de mots : « Les mecs veulent trois femmes : une pour faire la fête, une qui rapporte du fric, une maman. Trouves-en une qui soit les trois. Ou prends-en trois. » Lui qui considère malgré tout la monogamie comme "le fin du fin », hisse sa compagne actuelle, la blonde et plantureuse Coco, au statut de « co-pilote » de sa vie.

Le gangster-rappeur nous immerge aussi longuement dans les coulisses de son ascension dans le monde du cinéma. Le récit mollit alors sérieusement et ne redevient jamais aussi mordant que ce qui a précédé. Le monde d’Hollywood, pour lequel Ice travaille aujourd'hui à plein temps, impose sans doute une réserve et une complaisance qui brident la parole de cette grande voix par ailleurs sans tabou.

S'il prend soin de ne pas mordre la main qui le nourrit, Ice T lâche cependant avoir trouvé plus fort que lui dans les studios de cinéma. « J’ai connu certains des plus impitoyables gangsters de South Central à L.A., mais je n’ai jamais rien vu de comparable au gangstérisme de Hollywood» qui brasse « des milliards de dollars ». En tant qu’acteur, il ne se donne pas non plus le beau rôle : « je suis une pute de luxe, mais je suis quand même une pute ». Savoureux et sans illusion, comme cette autobiographie bourrée d'aphorismes bien sentis, sans doute la meilleure à ce jour sortie de la cuisse du hip-hop américain.

« Ice, Mémoires de ma vie de gangster et de ma rédemption, de South Central à Hollywood » (G3J éditeur, 240 pages, 25 euros)

La couverture de "Ice, mémoires de ma vie de gangster et de ma rédemption..."
 (G3J editeur)

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