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Vent d'ouest et vapeurs de musique sur la Folle Journée de Nantes !

« Ce qu’a vu le vent d’ouest », c’est le titre d’un prélude de Debussy et c’était l’ambiance nantaise ce vendredi : le vent d’ouest et sa sœur la pluie voyaient s’engouffrer, soulagés, des mélomanes trempés dans des salles bien chaudes. Parmi eux, notre Mélomane blogueur, Bertrand Renard, empli des vapeurs de la musique !
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La violoniste Geneviève Laurenceau (ici au Festival de Colmar le 3 juillet 2010)
 (Hervé Kielwasser / PhotoPQR / L'Alsace)
"15 portraits d'enfants" d'Auguste Renoir, par Jean Françaix
Et comme le vendredi est encore le jour des enfants, je commencerai par eux : les « 15 portraits d’enfants d’Auguste Renoir » qu’a imaginés Jean Françaix sous forme de pastiches de chansons françaises. Françaix, qui est mort il y a quinze ans, est l'un de nos compositeurs les plus joués en Allemagne alors qu’il est inconnu chez nous ! Nul n’est prophète…

"Fantaisie pour un Gentilhomme" de Rodrigo
C’était aussi l’heure espagnole avec la « Fantaisie pour un Gentilhomme » de Rodrigo, autre joli pastiche de la musique du Siècle d’Or cette fois avec, comme dans le « Concerto d’Aranjuez », une magnifique mélodie mélancolique en guise de mouvement lent. Gros succès pour le guitariste (espagnol) Sainz Villegas, pour le chef (espagnol) de l’orchestre d’Auvergne Roberto Fores Veses, devant des  « 7 ans », Nathan et Arthur (« Pablo, notre copain, il est pas là, il est malade »), la douce et blonde Toscane et puis Lucie, plus préoccupée par sa dent qui tombe et la petite souris mais qui swingue sur certains morceaux.
Le guitariste espagnol Sainz Villegas, Folle Journée 2013
 (DR)
Avec David Kadouch, Jean-Frédéric Neuburger, Laurent Wagschal, le jeune piano français est en de très bonnes mains
A Nantes l’offre est d’une telle richesse que chacun nourrit sa passion. Moi, c’est le piano : d’année en année je retrouve des pianistes, je les expérimente dans un autre répertoire, je découvre de nouveaux noms. David Kadouch, 27 ans, joue aussi magnifiquement le « Prélude, choral et fugue » de César Franck que Prokofiev l’an passé. Son piano est clair, architecturé et d’une puissance beethovénienne. Franck, c’est exactement cela, au croisement des mondes français et germaniques. Jean-Frédéric Neuburger, 26 ans à peine, est magistral dans « Gaspard de la Nuit », le plus beau Ravel, le plus noir et le plus profond –c’était l’œuvre-fétiche de l’immense ravélien qu’était Samson François (1924-1970). Neuburger soutient la comparaison. Dans « Le tombeau de Couperin », il insiste plus sur la modernité de l’écriture que sur l’hommage aux maîtres anciens auquel tenait Ravel mais pourquoi pas ? Kadouch, Neuburger, le jeune piano français est, sans jeu de mots facile, en de très bonnes mains.
Le pianiste David Kadouch, sacré "Révélation" aux Victoires classiques 2010, à Montpellier (8/2/2010)
 (Pascal Guyot / AFP)
Sans oublier Laurent Wagschal. Qui n’est pas une vedette car il s’est spécialisé dans les compositeurs rares et cela ne vous fait pas une réputation. Il joue Maurice Emmanuel, contemporain de Debussy, auteur de sonatines dans différents styles, de sa région de Bourgogne, de Bach, d’Inde même ! Il n’y a qu’à Nantes qu’on peut réunir 200 personnes à écouter une heure de Maurice Emmanuel dans un vrai silence même si on ne vous garantit pas qu’après ça on le passera en boucle sur notre i-pod. Mais c’est de la belle musique et Wagschal un pianiste talentueux et courageux.

Geneviève Laurenceau, une jeune femme qui incendie son violon
 Les sonates violon-piano de Pierné et Saint-Saëns, les sonates violoncelle-piano de Fauré, Vierne et Debussy : de la musique de chambre de la plus belle eau. Xavier Phillips (et de nouveau l’excellent Florent Boffard), on les croirait nés dans cet univers. Ils sont évidents, justes de son, d’intention, de couleurs. Xavier Phillips est un des brillants représentants de cette école de violoncellistes français que le monde entier nous envie.Et je découvre une jeune femme brune qui incendie son violon dans la difficile sonate de Pierné, car trop longue mais si ardente : Geneviève Laurenceau. Le son est intense et lyrique, la virtuosité remarquable, et l’accompagnement de David Bismuth celui d’un vrai partenaire. Ils entament la 1re sonate de Saint-Saëns avec trop de véhémence puis en trouvent le ton, le style. Il y a dans le 3e mouvement de cette sonate une longue et poignante mélodie où le violon et le piano courent l’un après l’autre. Cette mélodie fascina Proust, la sonate de Saint-Saëns est un des modèles de la « sonate de Vinteuil » dont la musique revient tout au long de la « Recherche du temps perdu » comme une réminiscence, symbole du temps disparu et de la mémoire. Retenez le nom de Geneviève Laurenceau.

"Praxinoé" de Louis Vierne
La journée s’achève par une (re)création : « Praxinoé » de Louis Vierne,  « légende musicale » créée (représentation unique !) en 1908 et jamais jouée depuis. Vierne était aveugle, immense organiste titulaire à Notre-Dame de Paris et fameux compositeur pour son instrument. Mais pas que. Sa « Praxinoé », orientalisante parfois, pleine de beaux effets d’orchestre, raconte l’histoire d’une princesse d’Egypte qui s’endort et se réveille… près de Jésus. Comme souvent pour les œuvres de cette période, le texte est gratiné. Mais la partition, retrouvée par le jeune et enthousiaste chef suisse Guillaume Tourniaire, nous berce, nous intrigue et nous séduit, les solistes (l’éclatant ténor Philippe Do, Andreea Soare, roumaine à la jolie voix et à la belle diction… française, le mezzo magnifique de Clémentine Margaine) comme le beau chœur féminin de Lausanne participent de notre plaisir.

On regagne le centre-ville dans une navette conduite par un chauffeur de bus en costume andalou. Jamais vu une telle densité de passagers pressés les uns sur les autres ! Ils râleraient en d’autres circonstances. Ils sont heureux. Des vapeurs de musique les distraient des cahots. Demain est un autre jour.
Nantes, extérieur-nuit
Le programme de la Folle Journée

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