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Un compositeur français à Berlin : Fabien Lévy invité au festival "Présences"
« Présences », le festival de création musicale de Radio France, s’intéresse cette année (jusqu'au 25 février) aux échanges entre Paris et Berlin. Compositeurs, interprètes, chercheurs, franchissent le Rhin dans les deux sens pour enrichir, mutuellement, les deux scènes. Parmi eux, Fabien Lévy, un compositeur français, dont le travail a trouvé un vrai écho dans la capitale allemande.
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A bien des égards, Fabien Lévy est un pur produit de l’excellence française, formé dans les grandes usines à talent de la République. Ses diplômes font d’ailleurs pâlir, associant les sciences et la musique : Ecole normale supérieure, ENSAE (école formant des ingénieurs économistes), Conservatoire de Paris (où il travaille notamment avec Gérard Grisey et Michael Levinas), doctorat en musicologie à l’Ecole des Hautes études… Sans parler de la Villa Médicis, dont il a été pensionnaire-compositeur en 2002-2003, et des autres grands concours de composition gagnés de par le monde…
Pourtant la vraie reconnaissance, Fabien Lévy ne l’a pas trouvée en France, mais à Berlin où sa musique est produite et écoutée et où il s’est installé depuis une dizaine d’années. Après avoir enseigné l’orchestration à Berlin, puis la composition à la Columbia University de New York, il a été nommé professeur de composition à la Hochschule für Musik de Detmold (en Rhénanie). Pour la première fois depuis qu’il a quitté la France, deux de ses compositions (« Hérédo-Ribotes » et « Après tout ») sont interprétées en France dans le cadre du Festival Présences. Culturebox : Pourquoi vous êtes-vous installé à Berlin ?
Fabien Lévy : Lorsque j’étais pensionnaire à la Villa Médicis en 2003, j’ai repensé avec le recul, à mes années parisiennes (où j’ai été chercheur et compositeur) et berlinoise (lors de ma première résidence d’artiste, en 2001) et ainsi pu comparer les deux expériences. A Paris, on connaissait mon nom et mes diplômes, mais on ne m’écoutait pas. A Berlin, mon CV et mon travail avec Grisey importaient peu, mais on écoutait ma musique. Je composais depuis l’âge de sept ans, mais pour la première fois, m’installant à Berlin, j’étais heureux que l’on puisse écouter mes compositions sans se soucier de mon parcours.
Comment définissez-vous votre musique ?
J’essaie d’échapper au classement dans des « catégories » qui ne correspondraient pas à grand-chose. Gérard Grisey, avec lequel j’ai étudié est associé à l’école dite « spectrale », mais a lui-même refusé ce mot. Avec prudence, je pourrais me définir comme « déconstructionniste », au sens que Derrida donnait à la déconstruction : par opposition aux constructions de la musique classique occidentale qui, aujourd’hui me paraissent caduques. La musique est le seul art qui vit encore obnubilé par une époque, entre 1750 et 1900, qui fut à plus d’un titre, merveilleuse. La radio publique et, surtout, les conservatoires, se réfèrent à ce modèle : on y enseigne encore très peu des instruments comme le saxophone, l’accordéon ou la guitare électrique ; les familles d’instruments (cordes, vents et percussions) sont désuètes ; et on y parle encore, comme en 1950 à l’époque de Pierre Schaeffer, de « nouvelle technologie » pour évoquer les instruments contemporains ! Et votre musique dans tout cela…
Elle se construit en dehors de ces schémas. Lorsqu’on m’a commandé une œuvre pour orchestre et alto - qui deviendra « Hérédo-Ribotes pour alto solo et 51 musiciens », composée en 2003, instinctivement je me suis interrogé sur ce qu’était un altiste solo et ce qu’était un concerto. Au final, dans la pièce, l’altiste n’est jamais vraiment soliste ; parfois il joue 3 ou 4 instruments « virtuels » qui vont dans l’orchestre. Et les autres musiciens sont tous solistes. Dans une autre pièce présentée au Festival "Présences", « Après tout », les instruments sont : un violoncelle, une flûte, une guitare électrique, un accordéon, un saxophone, une percussion et de l’électronique.
Ce rapport à la musique est-il le même en Allemagne ?
De ce point de vue, la situation est comparable en Allemagne, mais avec une nuance de taille : deux lieux d’expression musicale cohabitent. D’un côté les conservatoires, où la musique classique est prédominante, davantage même qu’en France, car on reproduit la tradition allemande avec exigence. De l’autre côté, les scènes d’improvisation de Berlin, où les compositeurs contemporains font leurs installations sonores. C’est important dans un pays où l’équivalent de l’IRCAM n’existe pas. Or ces deux scènes musicales jouissent d’une égale vitalité car les mélomanes sont nombreux en Allemagne. C’est ce qui vous a fait choisir Berlin.
Oui, cette vitalité est le résultat de ce que j’appelle « l’éthique protestante », à l’image de Luther qui a dit : « Fais ta propre idée du livre. » Certains festivals peuvent proposer dans un même programme Cage, Reich, Feldmann et Boulez ! En France, on ne voit pas ça ! On a eu un pape, Pierre Boulez, qui a été très bon, mais la scène d’improvisation libre en est morte. Les scènes en France sont petites et très centralisées, limitées à la caste. En Allemagne on se mélange davantage. J’ai par exemple été soutenu dès mon arrivée par un musicien qui est très loin de mon univers, Helmut Lachenmann (qui est également programmé au Festival Présences).
Enfin, il y a à Berlin un public très « musicien » et des critiques dans la presse qui sont de véritables musicologues ; pour le compositeur, c’est agréable de se sentir compris même lorsqu’on vient d’ailleurs.
Festival Présences, « Paris-Berlin », à Paris, jusqu’au 25 février.
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