Séductrice et pétillante, la soprano Julie Fuchs dans son dernier disque "Yes !"
Julie Fuchs est la soprano qui monte, qui monte. En dix ans, elle a conquis les plus grandes scènes. Celle qui dit n'avoir "jamais décidé d'être chanteuse", est entrée dans le monde de la musique par le violon avant de découvrir sa voix, mais raconte avoir "toujours été attirée par la scène, le théâtre, les robes... ". Petit à petit, de rencontres avec les professeurs en auditions encourageantes, le chemin s'est fait naturellement jusqu'à atteindre la scène de l'Opéra Garnier qu'elle s'est appropriée pleinement, très récemment, dans le rôle phare de la Folie de "Platée" de Rameau. Entrée dans l'art lyrique presque par inadvertance, elle sait néanmoins la valeur de son rôle : "quand on met un pied sur scène on raconte une liberté, ça c'est sûr".
Julie Fuchs vient de sortir "Yes !", deuxième disque personnel et premier dans le prestigieux label Deutsche Grammophon, et nous reçoit pour en parler dans la loge qu'elle occupe encore à Garnier. On est très vite séduit par son franc-parler et son humour, à l'anglaise, c'est-à-dire fait d'autodérision et de distance. En gros : pas la peine de jouer à la précieuse cantatrice, ou d'intellectualiser ce qui se fait d'instinct. Une attitude qui n'enlève en rien la profondeur de son propos. Plus largement, on a le sentiment que la femme prend le pas sur la chanteuse. Même dans sa musique, les nuances qu'elle apporte et sa sensibilité sont davantage "humaines" que directement liées à une technique vocale. Le disque en témoigne.
"Yes" est un disque qui fait la part belle à la "nouvelle opérette" qui apparaît entre la fin des années 1910 et les années 1930, qui délaisse généralement les opéras pour les salles comme les Bouffes Parisiens ou l'Apollo. Julie Fuchs est parfaitement à l'aise dans ce répertoire qui chante autant la poésie sérieuse et la politique que les mœurs légères, voire l'érotisme, sur des sonorités et des rythmes alors venus d'ailleurs : le jazz, notamment, y pointe son nez, avec le fox-trot ou le ragtime, mais aussi les mélodies de l'Est européen… Et les signatures ont de quoi impressionner : Willemetz ou Guitry pour les textes et Honegger, Poulenc, Ravel ou Reynaldo Hahn (rien que ça !) pour la musique.
Pourquoi avoir choisi ce répertoire pour votre premier disque chez Deutsche Grammophon ?
C'est toujours difficile de se déterminer pour un premier disque dans une nouvelle maison, surtout une grande maison comme celle-ci. Quand on m'a proposé de faire de l'opérette (traditionnelle), je me suis dit que j'aime ce genre, mais je voulais que ça raconte un peu plus que ça. D'où le choix de cette période du début du 20e siècle, qui me fascine et qui réunit tant de choses différentes…
C'est un répertoire qui vous sied…
Oui, je n'aime pas nécessairement aller là où on m'attend, je fais beaucoup de choses différentes, j'ai même fait du jazz... Ce répertoire me permet à la fois de dire des textes, de faire du théâtre – et d'incarner plein de personnages différents, d'utiliser ma voix dans des graves, dans les médiums et dans les aigus, de jouer beaucoup avec les couleurs… Donc oui, c'est le répertoire qui m'a plu et la période en même temps, les deux s'appellent mutuellement.
On est dans la France de l'entre-deux-guerres …
C'est ça : si ce répertoire me touche - car il ne fait pas que m'amuser, il me touche - c'est parce qu'il y a une joie et une grande liberté de ton, qu'on sent être liées au fait d'avoir goûté à l'urgence de vivre, à quelque chose de douloureux au fond. Et ça me passionne, ne serait-ce qu'au niveau du jeu : comment fait-on avec des personnages dont la drôlerie a pour moteur quelque chose qui n'est pas drôle du tout ?
"Yes !" (titre tiré de l'œuvre de Maurice Yvain de 1928) est un disque tout en français, mais né de la rencontre avec des musiques et des danses venues d'ailleurs et notamment des Etats-Unis…
Yes correspond exactement à ce que j'ai voulu dire aussi : la France est, à cette époque, au carrefour de beaucoup d'influences, musicalement. Tout arrive : il y a aussi de l'opérette viennoise, en français, comme ça se faisait à l'époque, il y a les Ballets russes qui se retrouvent à Paris, et effectivement l'arrivée du jazz et du music-hall. Yes, ce n'est pas vraiment anglais, mais international.
Le ton, souvent léger, correspond à l'esprit des cafés-concerts. Si votre jeu, appuyé, donne à entendre cette atmosphère, la voix, elle, reste une voix lyrique traditionnelle, sans "gouaille" parisienne. Comment avez-vous conçu cet équilibre ?
Je suis une chanteuse, pas une gouailleuse ! Je ne voulais pas jouer à ce que je ne suis pas. En revanche, il y a une liberté dans l'utilisation de cette voix : dans les Ravel, Poulenc, Rimski-Korsakov, je fais ce qui est écrit, la voix qu'on attend, plus "traditionnelle". Dans des morceaux plus théâtraux, où le registre est plus médium et où je peux me le permettre techniquement, c'est un peu du parlé-chanté. Dans quelques passages, je ne fais pas les notes, dans d'autres il y a des soupirs. C'est une forme de liberté qui est plus du domaine de l'expressivité que de l'émission vocale.
Comment se prépare-t-on pour ces rôles ?
J'en avais fait déjà certains sur scène : "La veuve joyeuse", "L'amour masqué", et évidemment "Ciboulette" que j'ai interprété à l'Opéra comique. Les autres ? On lit le texte, on regarde où se situe l'air dans l'histoire, on regarde qui a créé le rôle, comme dans n'importe quel rôle d'opéra.
Le contenu des textes est dans son ensemble savoureux, léger, parfois coquin…
… On a fait en sorte qu'il y ait des choses assez différentes ! Par exemple, dans tout ce paysage de jeunes femmes séduisantes et séductrices, c'était important pour moi d'insérer une Aline d'Honegger ("Pardon, mon papa que j'adore"), qui apporte une autre couleur à la féminité, comme évidemment la Thérèse des "Mamelles de Tirésias" qui est carrément féministe, ou encore la "Chanson de Barbara" de Kurt Weill qui apporte autre chose…
L'écriture de Pierre Louÿs, dont est adapté "Trio des baisers" (des "Aventures du Roi Pausole"), est clairement érotique…
Ils font un trio, c'est dingue ! Elle, avec un travesti… même deux travestis, c'est génial ! Tout ça avec une musique d'un raffinement ! (…) C'est tout à fait normal, nous faisons l'amour tous les trois, chantonne Julie Fuchs, d'un air très aérien, léger… Cela dit, ce n'est pas nouveau, Mozart l'avait fait bien plus tôt !
La chanteuse aborde ça de manière…
… Frontale ! Je ne suis pas très compliquée, je suis le texte, la musique et… si je puis me permettre, l'imbrication de l'une avec l'autre. Et ça se fait tout seul, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. En fait, il ne faut pas en rajouter, il ne faut pas non plus gommer, voilà.
Quand vous parlez de votre travail, tout a l'air d'être simple comme si ça allait un peu de soi.
Oui, mais ça va de soi aussi parce que le répertoire me correspond.
Plus globalement, le passage est-il facile entre les différents répertoires que vous abordez – baroque, classique et opérette, pour ne citer que les plus importants ?
Il faut faire ce qu'on aime, c'est ça qui est facile. Tout comme je ne fais pas de catégorie entre la musique classique et la musique actuelle, je ne fais de catégorie non plus entre musique baroque, ou classique ou belcanto ou opérette, non ! Il n'y en a pas besoin, on sait très bien que ce n'est pas la même chose ! Il y a des rôles baroques que je ne chanterais pas bien parce que je n'en ai pas envie ou parce que j'estime que ce n'est pas tout à fait ma tessiture, alors que dans d'autres répertoires dans lesquels on ne m'attend pas, il y a des rôles pour moi parce que ce sont des musiques qui me plaisent !
Terminons par la voix. Quel rapport avez-vous avec elle aujourd'hui, la protégez vous ?
Le rapport à la voix est très particulier. C'est un rapport d'intimité extrême et en même temps parfois de défiance. J'aime penser que la voix me suit là où j'ai envie d'aller. Ça fait dix ans que je la travaille, avec différents professeurs et sous différents angles. Donc je pense qu'il est temps de lui faire confiance, de lâcher prise. Attention, ça ne veut pas dire du tout ne plus s'en occuper, mais simplement lui faire confiance. Petit à petit, l'expérience m'apprend que si je lui fais confiance et elle me fait défaut, ce n'est pas grave, ça arrive, ce n'est pas la fin du monde. J'en suis là aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain ?
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