Roussev interprète Vladigerov et Sibelius : "Fire and Ice", un son venu de l'Est
Commençons par la caricature : Svetlin Roussev est le pur produit, dans la Bulgarie des années 1980, d'une éducation exclusivement vouée à l'épanouissement d'un talent exceptionnel de musicien. Caricatural, donc, mais vrai. Parents violonistes, tous les deux, rencontres stimulantes, passage à la maison de grands professeurs et interprètes. Vrai aussi. Et efficace : premiers concerts à l'âge de sept ans, carrière éclair. Aujourd'hui, l'homme est un soliste reconnu, lauréat de concours prestigieux, Melbourne, Indianapolis, Long-Thibaud et Sendak au Japon.
Pas trop de vélo, mais des voyages exceptionnels
"Petit, je rêvais d'être pilote de chasse", nous a-t-il dit en commençant l'entretien. Trahissant mal un lointain regret, l'homme rit, à sa manière : discrètement. "Je n'aurais pas de raison de me plaindre, je suis heureux, je n'en reviens toujours pas de tout ce que j'ai vécu jusqu'à présent. C'est vrai, dans le milieu où je suis né, seule une carrière d'instrumentiste soliste, vouée à l'international, pouvait me faire espérer un avenir plus confortable que celui qu'avaient les musiciens dans ce pays du bloc de l'Est". Ses parents déjà avaient eu l'occasion de voyager, Svetlin Roussev est né d'ailleurs en Suisse lors d'une de leurs tournées. Revers de la médaille de ce choix : la musique demande beaucoup d'efforts et de sacrifices à l'enfant qu'il est. "J'ai fait moins de vélo - une des mes passions à l'époque - que mes camarades. Mais j'ai eu très vite des compensations. Je me souviens par exemple d'avoir visité les pyramides d'Egypte accompagné par la voiture de l'ambassade parce que la veille j'avais assuré un concert au Caire – je n'étais encore qu'un gamin !". Et puis, question sport, Svetlin Roussev a pu se rattraper : "J'ai fait les arts martiaux, beaucoup de vélo – quand-même, de la course, de la moto…" Pilote on vous dit, il voulait être pilote…Le plaisir de la performance et des émotions fortes, Roussev l'a eu aussi par la musique. Avec le temps il s'est sûrement assagi, mais reste un homme pressé. Efficace. Il parle vite. N'aime pas attendre. "Comme j'ai la chance de faire beaucoup de choses, je n'ai pas le temps de me disperser ", se justifie-t-il : "je fais tout un peu dans l'urgence, c'est un peu stressant". Sa vie est réglée par les concerts : "entre fin juin et fin septembre, en onze semaines, je n'aurai pas passé une nuit à la maison !" Il s'est choisi Paris comme domicile sans en donner une valeur symbolique : " je n'ai pas d'attaches particulières à un lieu. Dès que je pose ma valise, dans cette petite loge où nous sommes ou dans un hôtel, je l'apprivoise instantanément et c'est chez moi". Son propos glisse alors sur la notion de racines, qu'il ne comprend pas. "C'est abstrait", dit-il, se montrant par ailleurs attaché à la Bulgarie, ce pays qu'il aime et où il est appelé à retourner toujours plus, ayant été récemment nommé directeur artistique de l'Orchestre national symphonique de Sofia. Preuve, encore, de son ouverture culturelle, Svetlin Roussev a également fait sienne une musique venue de la lointaine Argentine, membre fondateur du groupe "Tanguisimo" : "oui, je fais du tango ! Mais je ne compose pas, je n'improvise pas et je ne fais pas d'autre cross-over que celui-là !" prévient-il.
Jean Sibelius face à Pancho Vladigerov
Revenons au classique. On l'a compris : ne voyons pas de sentiment nationaliste dans le choix de Svetlin Roussev d'interpréter un concerto du bulgare Pancho Vladigerov sur le disque "Fire and Ice" sorti sur le label Fondamenta au début de l'été. Vladigerov, musicien de référence à Sofia, parfaitement inconnu à Paris : "Et pourtant il était autrefois très joué, au même titre que Mahler et Strauss. Herbert von Karajan a interprété son premier concerto pour piano à l'examen de fin d'études du Conservatoire de Vienne", explique le violoniste. Puis son nom s'est éteint et son œuvre est devenue introuvable.Cet enregistrement (le concerto pour violon en fa mineur N°1, op 11) et un autre réalisé il y a quelques années, sont une "petite contribution" de Svetlin Roussev à la renaissance du compositeur. Sur le même disque, il joue un concerto de la même longueur d'un contemporain, Jean Sibelius, l'opus 47 en ré mineur : "Celui-là est un incontournable du répertoire pour violon. L'un des plus exigeants, des plus beaux, des plus connus". Il ouvre l'enregistrement : froid et "enneigé", oserait-on dire, entre la rhapsodie et le poème épique, donc à la dimension géographique régionale, et identitaire très forte. "Ça commence de manière suspendue", explique l'interprète, "avec très peu de vibratos, très peu de moyens d'expression, on y voit d'abord le paysage des plaines enneigées finlandaises, de la glace à perte de vue, et puis, en un deuxième temps, ce sommet de l'iceberg révèle le volcan qu'il a en son for intérieur". La musique s'anime alors sur un "allegro ma non tanto" passionnel jusqu'à un ostinato rythmique final saisissant.
"Fire and Ice", le feu et la glace : les concertos de Sibelius et de Vladigerov s'interpellent dans un joli contraste. Car après Sibelius, c'est exactement l'inverse qui se produit avec le concerto de Vladigerov, où "on s'en prend plein la figure dans l'ouverture de l'orchestre qui est le moment le plus fort du disque", selon Svetlin Roussev. La musique s'apaise sur l'andante cantabile pour reprendre de la vigueur dans le finale. "J'ai visité la maison où Vladigerov a passé son enfance à Choumen aux pieds des montagnes et sans nul doute ce paysage et le folklore ont influencé l'œuvre du musicien", explique Roussev. "Mais c'est encore inconscient dans ce premier concerto, écrit à l'âge de 14 ans, la musique bulgare avec ses rythmes irréguliers n'est pas encore perceptible, même si le côté rustique, paysan, est lui, bien installé dans le finale. Vladigerov a étudié à l'Ouest et ça se sent, la construction rythmique est classique". Quant aux parties lentes de l'œuvre, elles font voyager les auditeurs jusqu'à Hollywood, rappelant les mélodies nostalgiques des films de Charlie Chaplin : "C'est vrai", accorde Roussev, "est-ce le son de la harpe, du celesta ? Une tonalité que l'on ne rencontre jamais, donne cette impression : c'est très particulier, et génialement orchestré, ça change la nature et la couleur du son".
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