"Requiem" de Donizetti : Alarcon dévoile à Saint-Denis une œuvre de foi et d’amitié
Une heure et demi avant le concert, le chef argentin Leonardo Garcia Alarcon est là, debout au milieu de la Basilique de Saint-Denis, détendu, le visage radieux. Depuis la nef centrale en direction du chœur, son regard scrute l’espace dans sa hauteur, près de 30 mètres, alors que ce lieu symboliquement imposant est somme toute ramassé : « On ressent qu’il y a quelque chose qui nous mène au ciel de manière extraordinaire. Oui, c’est vraiment ça, c’est une vision du ciel et de la terre ».
Mélange des genres
Du ciel et de la terre : c’est bien de cela qu’il s’agit, ce soir, 8 juin, dans l’un des moments attendus du Festival de Saint-Denis, le « Requiem » de Gaetano Donizetti. Requiem : messe évoquant le passage de la mort à la vie éternelle, moment de foi et d’espérance. Pourtant, les notes du compositeur italien semblent, elles, davantage célébrer la vie que le trépas. Contradiction ? « Ce mélange des genres est le propre du bel canto italien », nous a dit Alarcon.En réalité, l’existence même de ce « Requiem » est sa première singularité. Non qu’on soit surpris que l’auteur de « Lucia di Lammermoor » ou de « l’Elixir d’amour » ait composé une œuvre religieuse - l’homme en a écrites plus de 150 - mais évidemment le très prolifique compositeur romantique est plus connu pour ses opéras au succès sans cesse renouvelé. Et surtout, ce requiem rédigé en 1835 à la mémoire de Vincenzo Bellini, l’ami et concurrent de Donizetti, son cadet de quatre ans disparu subitement à l’âge de 34 ans, est complètement tombé dans l’oubli. Inachevé, il sera joué néanmoins en 1870 bien après sa propre mort (en 1848) pour disparaître à nouveau avant de réapparaître cents ans plus tard. Pour des raisons mystérieuses, l’œuvre n’a été que très rarement donnée jusqu’à ce que le chef Alarcon, référence en ce qui concerne la musique italienne (baroque le plus souvent, c’est vrai), ne s’en empare pour la proposer avec l’excellent Chœur de chambre de Namur qu’il dirige, et l’Orchestre Millenium sur instruments anciens.
Le calme avant la tempête
D’une longueur très limitée (1h10), l’œuvre est précédée ce soir d’une « Symphonie » de Saverio Mercadante, un contemporain dont la notoriété a été quelque peu occultée par les Bellini, Rossini et Donizetti justement : une jolie pièce, par moments très fleurie, d’après les thèmes du « Stabat Mater » de Rossini. Enfin voici le « Requiem », annoncé timbales battantes, par une introduction allante et énergique de l’orchestre : dès le premières mesures, celui-ci marque par la précision dans les attaques et dans les variations, une remarquable clarté sonore, bref une articulation idéale des instruments d’époque.Leonardo Garcia Alarcon dirige serré et sans baguette, des gestes brefs et expressifs, ayant face à lui une formation bien plus importante qu’un ensemble baroque. La magie prend, le ton est donné mais le requiem n’a pas encore la saveur lyrique qu’on annonce. « Seigneur, donnez-leur le repos éternel », supplie le « requiem aeternam », porté par le chœur parmi les colonnes gothiques sobrement éclairées de jaune. Tristesse mâtinée de joyeux espoir et de grande croyance : la force, la profondeur des soli a cappella soutiennent la prière avant le Kyrié Eleison (« Seigneur ayez pitié ») des autres chanteurs. Le requiem suit un itinéraire précis, réglé au millimètre. Le calme avant la tempête : il faut attendre le 6e temps pour que la colère vienne enfin.
La colère ? Précisément. Le « jour de colère (…) où le monde sera réduit en cendres ». La violence est arrivée aux enfers des âmes, le théâtre de Gaetano Donizetti prend enfin toute sa dimension. Il rend hommage à Bellini, à sa vie de compositeur, et à sa musique idéale. « L’œuvre contient des émotions contrastées », nous avait prévenu Alarcon : « beaucoup de tendresse et en même temps une grande révolte liée au refus de la mort de son ami ». Le chœur se fait opératique lors du « Dies Irae », avant un duo mémorable d’une extrême finesse entre le basse Nikolay Borchev et le ténor Fabio Trümpy dans le « Judex Ergo » : lors du jugement, dit le texte, « tout ce qui est caché sera connu et rien ne demeurera impuni ». Et le magnifique « Quid sum miser » : « Malheureux que je suis, que dirais-je alors ? Quel protecteur invoquerai-je, quand le juste lui-même sera dans l’inquiétude ? ».
Catharsis
Avec les chanteurs (auxquels il faut ajouter la soprano Ambroisine Bré, la mezzo Giuseppina Bridelli, qui fait ici alto, et le deuxième basse Philippe Favette), Leonardo Garcia Alarcon joue pleinement de la dynamique, en recherchant ce qu’il appelle la « voix chromatique » : « Ça veut dire travailler la relation de l’ombre et de la lumière, jouer sur la gradation, sur les nuances que j’associe aux émotions, mais aussi obtenir des écarts sans forcer la voix », dit-il. Dans « Ingemisco », le bel canto est à son comble, lorsqu’un air proche d’une chanson napolitaine du 18e prend la forme d’un solo d’opéra : « je gémis comme un coupable », dit le texte, « la rougeur me couvre le visage à cause de mon péché ».Mais la catharsis arrive enfin : quatorzième temps du « Requiem », l’attendu « Lacrymosae » du chœur offre un moment de délicieuse suspension à la douleur avec ses cycles de quintes en progression vers les aigus, censées provoquer les larmes. Et l’au revoir à l’ami perdu, Vincenzo Bellini, prend la forme d’un « Libera Me » d’une grande force : « Délivre-moi Seigneur de la mort éternelle en ce jour redoutable ». Le chœur, puis les soli renvoient à la projection de la propre mort de chacun de nous, par un finale d’un calme olympien. Serein.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.