"L’homme qui ne savait pas mourir" : l'utopie de l'opéra pour tous portée par les enfants à Bastille
Paris, Opéra Bastille, le 15 juin dans l’après-midi. De l’extérieur, rien n’est perceptible. Portes closes, aucune lumière allumée qui ne se remarque. Et pourtant : la reprise ces jours-ci d’Aïda mobilise les énergies, là-haut, autour du grand plateau. Deux étages plus bas aussi, dans les coulisses de ce qu’on appelle l’Amphithéâtre, l’autre salle de Bastille, l’excitation est au rendez-vous.
Chaïma, Coumba, Louneciana chez elles à l’opéra
Il est 16 heures environ, les couloirs grouillent d’enfants en costume de scène qui sortent du premier filage du spectacle qui se donne dans deux jours, « L’homme qui ne savait pas mourir ». Parmi eux, Chaïma, Coumba, Louneciana, onze ans, se déplacent vite, se faufilant facilement parmi les accessoiristes pour rejoindre la loge pour le « déshabillage ». Même si un œil protecteur est toujours porté sur elles par des responsables, les trois élèves de l’Ecole élémentaire Cavé du quartier de la Goutte d’or à Paris sont ici, à l’opéra, chez elles. Une semaine qu’elles viennent ici tous les jours pour répéter le chant et le jeu. « On est ravies », dit l’une d’elles, élégante dans sa robe sombre avec quelques paillettes : « On sait qu’on a beaucoup de chance de pouvoir être là, de chanter et jouer notre rôle et de porter de beaux costumes. »Mais il n’y pas que ça : les jeunes filles sont là au titre du programme « Dix mois d’école et d’opéra » qui prévoit pour 33 classes d’établissements relevant de l’éducation prioritaire une immersion dans le monde de l’opéra. « Depuis deux ans on est venues souvent à Garnier ou ici à Bastille pour rencontrer des gens, visiter et voir des spectacles comme « Manon » ou « Hänsel et Gretel » en répétition ; c’est vraiment triste que ça s’arrête », dit la deuxième. Envie de continuer, au moins de faire du théâtre ou de la musique. Pour sa voisine, tout de blanc vêtue pour la scène de la lune, c’est déjà prévu : sa mère l’a inscrite au conservatoire d’arrondissement l’année dernière, en chant d’abord, aujourd’hui en piano. La musique et elle, c’est une belle histoire qui commence.
Un spectacle sur mesure
Revenons au spectacle répété à l’Amphithéâtre. Trois classes parmi les trente-trois s’y sont investies (relevant des académies de Paris, Versailles et Créteil), encadrées par de nombreux enseignants et des artistes professionnels. Maître d’œuvre de « L’homme qui ne savait pas mourir ou les véritables et merveilleuses aventures du Baron de Münchhausen », Samuel Muller, à la fois metteur en scène et auteur du livret, un texte qu’il a écrit sur mesure pour ses chanteurs et comédiens. « Toutes les lignes du dialogue sont spécial dédicace », dit-il en souriant, « il fallait que les enfants se l’approprient. Car eux racontent l’histoire, qui s’adresse à un public de tout âge ».L’histoire ? Un récit picaresque à tiroirs, autour du personnage du Baron de Münchhausen. Oui, l’homme qui chevauche son boulet de canon a cent ans. Mais au moment de passer l’arme à gauche, la grande faucheuse l’arrête et le somme de repartir à l’aventure avec un groupe de gamins. Voyage dans l’espace (dans la bonne tradition du Baron, dans les airs et dans les abysses, dans les entrailles du volcan et sur la lune…) et dans le temps, car au fil du spectacle, le Baron ne cesse de rajeunir, jusqu’à devenir un gamin. Incarné par le comédien Xavier Bazin, il est peu à peu relayé par des ados, puis des enfants plus petits. « C’est aussi une réflexion sur la mort, sur le vieillissement, sur les différents stades de la vie », ajoute l’auteur, « des problématiques qui peuvent interpeller les jeunes ».
Ecole de vie
Autre particularité de cette production, l’âge de la troupe justement. « Ils ont entre 10 et 14 ans environ, c’est-à-dire qu’ils gravitent tous autour de l’adolescence », dit Samuel Muller. « La scène, ça les ramène à eux-mêmes, à leur image, à quelque chose de difficile à appréhender. Or parmi les nécessités de la scène il y en a une qui peut aider, c’est d’avoir un regard bienveillant les uns sur les autres. Ce n’est pas toujours évident ». Le spectacle, la scène sont une école de vie. « Sur le plan individuel, il y a des enfants qui se découvrent, se transforment dans cette pratique artistique, c’est émouvant », ajoute Samuel Muller. « Politiquement, on connaît les effets positifs de l’action culturelle, mais en tant que metteur en scène, j’évite de regarder par le filtre de l’origine sociale : dans une même classe, les profils peuvent être si variés ! Face à ce grand projet scénique, chacun part de zéro, porte un regard neuf, et nous, nous ne sommes pas là pour juger, mais pour les faire travailler ».Même réalisme revendiqué par Véronique Georges Bonnin, prof de français au Collège Magellan de Chanteloup-les-Vignes (78), très engagée dans le programme : « Il y a forcément un effort considérable à fournir pour stimuler les élèves car ce n’est pas facile de s’ouvrir à un autre univers, accepter une autre culture. Certains restent réfractaires. A nous d’être parfois fermes, parfois à l’écoute, notre vocation de professeur est bien au cœur de tout cela. Dire qu’il y a 100% de réussite pour tous les enfants participant à l’expérience serait faux », affirme-t-elle. « Mais pour beaucoup d’entre eux, le progrès est tangible tant au niveau des résultats scolaires que de l’amélioration de l’image d’eux-mêmes et de la motivation à travailler ».
Fini, la bande son
L’autre dimension du programme est plus collective : « Imaginez : plus de 150 personnes, équipe artistique, technique, à laquelle s’ajoutent les jeunes, tout cela demande une incroyable énergie collective ! », s’enthousiasme Samuel Muller, le metteur en scène. Les élèves découvrent une production où tout est en jeu, ensemble : le chœur des enseignants (oui, tout le monde mouille sa chemise), les chœurs des enfants (qui en même temps jouent la comédie), le jeu du comédien adulte, les costumes, les décors, les lumières… Et surtout l’orchestre professionnel, dirigé par Morgan Jourdain, qui interprète un mélange de musiques très hétéroclite, allant d’une pièce de Rameau (le « Vaste empire des mers » tiré des Indes galantes) à « Fly Me to the Moon » (la chanson de Bart Howard), en passant un lied de Schubert (« La jeune fille et la mort ») et un morceau de Steve Reich. Pour Thomas, élève en quatrième au Collège Magellan, qui interprète l’un des rôles du Baron, l’arrivée de l’orchestre est l’une des magies de ces dernières répétitions, car pour la première fois la bande son cède sa place au live.Apprendre à avoir confiance
Présent en permanence sur scène pendant le spectacle, l’acteur-chanteur de 14 ans a dû prendre sur soi, affronter « le plus difficile » pour lui, « entrer dans le personnage » en intégrant les indications du metteur en scène, puis apprendre plus d’une heure et demie de textes et de chansons.Mais l’enjeu était de taille : « J’ai envie de faire réussir le spectacle », dit-il fièrement. Cette responsabilisation est sans doute l’un des plus importants acquis de l’expérience. Un enjeu qui booste sérieusement la confiance en soi dont Thomas a besoin : « Il en faut pour pouvoir être sur scène sans sentir la honte vous envahir », dit-il, « mais il en faut aussi pour affronter tout au long de l’année le regard d’autrui à l’école ». Car l’opéra véhicule des images qui passent mal de l’autre côté du périphérique. Lui-même voyait ce lieu, avant de le fréquenter, si loin de son univers, comme réservé aux riches et aux personnes âgées… « Mais aujourd’hui j’ai mon opinion », affirme-t-il l’air décidé. Quelque chose l’a peut-être influencé, de manière instinctive : l’émotion qu’il a reçue, un jour, en allant voir « Roméo et Juliette » dans le cadre du programme. Sans y prendre garde, pendant le finale tragique qui voit les deux amants se donner la mort suite à un malentendu, Thomas a été saisi : « Etait-ce l’histoire, la beauté de la musique et du ballet ? Je ne le saurai jamais ».
"L'homme qui ne savait pas mourir ou les véritables et merveilleuses aventures du Baron de Munchhausen"
Amphithéâtre Bastille - Opéra national de Paris
Les 17 et 18 juin 2016 à 19H
Entrée libre, réservation obligatoire
à dmeo@opéradeparis.fr
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.