Maîtrise de Notre-Dame : le dernier concert de Lionel Sow dans "sa" cathédrale
Sur la place du Parvis, il faut se frayer un chemin, dans la foule compacte des touristes, pour accéder à Notre-Dame. Longer la longue file pour une entrée latérale, celle qui, au bout de l'allée, mène à la sacristie, empruntée par prêtres, gardiens et… chanteurs. Ceux de la Maîtrise de Notre-Dame sont ici chez eux. Ils sont passés il y a peu. De là, l'accès est direct sur la nef où, ce jour, la générale du "Requiem" de Mozart va bon train. Impression saisissante : l'œuvre habite littéralement la Cathédrale, faisant presque oublier les centaines de visiteurs transformés soudain en public. Sur la scène, l'ensemble est imposant : les chœurs, flanqués de l'orchestre anglais "Southbank Sinfonia" et quatre chanteurs de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Paris.
Au pupitre, le chef d'orchestre Lionel Sow fait tout seul le poids, tout en puissance musculaire et sensibilité. A l'image de sa silhouette, alliant physique de rugbyman et finesse d'artiste. Pour l'homme, à la tête de la Maîtrise de Notre-Dame de paris pendant près de dix ans, ce concert n'a rien d'une routine. C'est son dernier ici, avant de passer la main à son ancien assistant Henri Chalet, et de rejoindre à temps plein le Chœur de l'Orchestre de Paris.
La Cathédrale de Paris, lieu unique
A la pause, Lionel Sow reprend son souffle et répond à nos questions, fier de représenter quelques heures encore la Maîtrise. Et d'évoquer ce lieu "qui donne une portée symbolique forte à ce qu'on fait musicalement". Et comme la Cathédrale draine littéralement les foules, "l'audience, autant pour les offices que pour les concerts, y est très large et internationale, même si on ne sait pas qui vient nous écouter", explique Lionel Sow. Revers de la médaille : les répétitions se font "dans des conditions souvent rocambolesques", ajoute-t-il : "la logistique requise par un concert comme celui que nous préparons est très importante et travailler au milieu des touristes n'est pas de tout repos". Mais il y a plus difficile : composer avec l'architecture de l'église de Notre-Dame. Amoureuses de cet espace, Isabelle Savigny, 28 ans et Aliénor Feix, 23 ans, deux chanteuses de talent de la Maîtrise, sont les premières à l'avouer : "c'est un lieu fascinant pour sa beauté, mais pas vraiment l'idéal pour la musique… Il faut l'apprivoiser. Heureusement, Lionel Sow connaît si bien la cathédrale qu'il sait trouver le juste dosage. Il nous aide à nous sentir bien".
Le chef est là aussi pour ça. Il en devient technicien. "C'est vrai", ajoute l'intéressé, "on n'entend pas et ça ne sonne pas de la même manière où qu'on se place. La longueur de l'acoustique nous oblige aussi à travailler sur un type d'articulation plus brève pour les instruments et plus percutante pour le texte. Parfois - mais ce n'est pas le cas avec le Requiem - on peut jouer de cet espace comme on l'a fait avec une œuvre contemporaine, "Les Vêpres de la Vierge" de Philippe Hersant, une création pour ce lieu. La spatialisation était une richesse".
Pédagogie
Formé au Conservatoire, d'abord comme violoniste puis comme chef de chœur, Lionel Sow a fait ses armes dans différentes maîtrises avant de s'attaquer à celle de la Cathédrale. Il en connaît donc bien la dimension liturgique. Ce n'est pas la même chose de chanter pour un concert où la musique est au centre de l'attention ou d'accompagner l'office ! Il en connaît aussi le répertoire, composé exclusivement de musique sacrée. "C'est le cas d'une grande partie de la musque chorale. Mais c'est vrai, on a fait beaucoup d'oratorio et pour le reste, j'ai largement balayé le répertoire, de la Renaissance à nos jours, avec tout type de formations, allant jusqu'à 100 chanteurs !". Isabelle Savigny, l'une des deux chanteuses étudiantes, sait en mesurer l'intérêt : "toucher tous ces styles et toutes ces périodes vous permet de les mettre en regard, ce qui est vraiment enrichissant. Chaque nouvelle pièce n'est pas créée de rien, il y a de la résonnance partout".
Elle est là, sans doute, la marque la plus visible de Lionel Sow : avoir su transmettre une passion et un savoir. "Les productions ne sont que le résultat de ce qu'on leur enseigne par ailleurs", explique le chef-professeur. "Quand je dirige, il y a des détails techniques sur lesquels je n'ai pas besoin d'intervenir et on se comprend à demi mots parce qu'on tient désormais le même langage". Sa pédagogie ? Donner "autant d'importance à la personnalité qu'à la technique", dit-il, "ça veut dire encourager l'expressivité dès le jeune plus âge. Et question technique vocale, je cherche un équilibre entre une voix lyrique et un geste vocal qui soit libre et souple". Une approche du chant choral qu'il développera désormais au Chœur de l'Orchestre de Paris, où il compte par ailleurs créer un chœur d'enfant.
Dernier concert
Mais pour l'heure ce sont encore les enfants de la Maîtrise qui ont affaire à "Lionel" comme on dit.
A entendre Gabriel, douze ans, Eugénie, quatorze et Jonathan, presque onze, leur cursus impose certes "beaucoup de travail" - notamment "pour le déchiffrage" et parfois " l'apprentissage par cœur" - mais est avant tout une source de "joie" et on sent le mot venir spontanément. "Chanter dans la Cathédrale", précise Eugénie, "oblige à bien se tenir, mais il faut quand-même qu'il y ait une bonne ambiance entre nous pour qu'on sente cette joie sortir du chant". Aujourd'hui on se rapproche du concert : tant pis si on est un peu stressé et s'il est difficile de se concentrer pour les dernières répétitions du "Totus Tuus" d'Henrick Gorecki, à cause du monde présent dans l'église. "Mais on a du plaisir à le faire car on sent une certaine atmosphère de la Cathédrale", conclut Gabriel.
Le "Requiem" - joué pour la première fois à Notre-Dame - est le dernier concert choisi par Lionel Sow à son poste. Un défi ? "C'est surtout une oeuvre tellement connue qu'il y a des attentes du public et il n'est pas évident d'arriver à construire une interprétation personnelle", dit l'homme avec humilité. "C'est un cadeau ! Faire le "Requiem" de Mozart quand on s'en va, c'est une jolie sortie !", répondent Aliénor Feix et Isabelle Savigny. Et d'ajouter que "ce "Requiem" porte la marque de Lionel, il y a sa capacité à saisir tout ce qu'il y a derrière la partition. C'est son regard, sa sensibilité qui font qu'elle prend du relief, des couleurs, c'est fantastique !"
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