Le "Poilu", un violoncelle fabriqué dans les tranchées, renaît dans un concert à la Cité de la Musique
Préservé au Musée de la musique à Paris, il a été fabriqué en plein conflit --selon la légende à partir d'une caisse de munition allemande-- pour Maurice Maréchal, mobilisé à 22 ans et devenu par la suite l'un des violoncellistes français les plus connus du XXe siècle.
"Ce violoncelle, c'est un peu notre Joconde ici", sourit Jean-Philippe Echard, conservateur au Musée de la musique. "C'est l'instrument le plus emblématique de la première guerre mondiale", précise-t-il à l'AFP. Au milieu de l'horreur, de nombreux soldats au repos ont fabriqué des instruments de fortune à partir de casques ou de gourdes, mais rares sont ceux qui ont acquis la notoriété de ce violoncelle, que Maréchal appelait "Le Poilu", comme pour le personnifier.
La réplique du "Poilu" en concert à la Cité de la Musique
Lors d'un concert à la Cité de la musique vendredi, il sera montré en public et "revivra" à travers une réplique fabriquée par le luthier Jean-Louis Prochasson il y a quelques années à la demande de la violoncelliste française Emmanuelle Bertrand. L'original étant trop fragile, elle jouera la copie comme lors d'un premier concert aux commémorations de 2014.Si la tradition veut que la caisse de résonance et les planches du violoncelle proviennent du bois de caisse de munitions allemande, "rien ne l'a prouvé", selon M. Echard. "C'est une possibilité, vu que le résineux est de très mauvaise qualité". Cet instrument atypique est devenu célèbre, "parce qu'il a été fabriqué par des soldats, et surtout joué par un soldat qui était un musicien professionnel devant les plus grands généraux de France", explique le conservateur.
Une date et des noms dans le coeur
L'instrument porte d'ailleurs des signatures uniques. "Foch, Joffre, Mangin, Gouraud" et même Pétain, au centre d'une polémique ces derniers jours en France sur l'opportunité d'un hommage, "ont tous entendu Maurice Maréchal jouer en pleine guerre et dédicacé la table du violoncelle", précise le conservateur."Le Poilu", fabriqué par Antoine Neyen et Albert Plicque qui appartenaient au même 274e régiment d'infanterie que Maréchal, a une autre singularité. Alors que d'ordinaire un luthier inscrit à l'intérieur de l'instrument le millésime, celui-ci porte la date entière: 30-06-1915. "Cela laisse penser que pour Neyen et Plicque, la vie au front se comptait en jours", explique M. Echard.
Les deux luthiers improvisés meurent d'ailleurs moins de trois mois après la naissance du violoncelle. Maréchal, lui, aura plus de chance et poursuivra après la guerre une brillante carrière internationale de soliste. Il gardera le violoncelle comme une relique dans son appartement parisien, avant de demander que l'instrument soit conservé et rendu au patrimoine public avant sa mort en 1964 à l'âge de 71 ans.
"Je crois que vraiment cet étrange biniou sonne bien !"
Originaire de Dijon et lauréat du premier prix au Conservatoire de Paris à l'âge de 19 ans, le virtuose jouait des morceaux de Fauré, de César Franck ou de Haendel devant des généraux ou des soldats impressionnés. "Ai essayé le cello (violoncelle) ce soir (...) que dire de cette impression extraordinaire que j'ai eu en jouant le +Clair de lune+ de Werther dans une cour de ferme, derrière une église (...), quelques soldats debout en rond", raconte-t-il dans son journal de guerre. "Je crois que vraiment cet étrange biniou sonne bien ! Tout le monde me fait des compliments", écrit encore Maréchal.Comme dans l'histoire du film "Le Pianiste", sa musique était un synonyme de survie en plein conflit. "Ces soldats vivaient une peur de la mort et les sons qu'ils entendaient, c'était des ordres militaires ou les bombardements", dit le conservateur. Ecouter de la musique "les réconfortait, leur permettait d'échapper au quotidien terrible". Maurice Maréchal a participé aux combats, notamment en Champagne, mais "Le Poilu" lui permettra "de s'extraire par moments du danger immédiat parce qu'on lui demande de venir jouer devant tel colonel ou tel invité". "La musique ouvre bien des portes", reconnaît le violoncelliste dans son journal.
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