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Le guitariste Thibault Cauvin s'attaque à Vivaldi : récit d'une journée d'enregistrement

Le guitariste français Thibault Cauvin sortira le 28 octobre son neuvième disque, entièrement consacré à Vivaldi. L’esprit ? Festif, flamboyant… "Explosif" même, grâce aussi à la puissance de feu de l’Orchestre de chambre de Paris avec lequel il l’a réalisé. Une première, pour ce (jeune) loup de mer enclin plutôt à naviguer en solitaire. Récit d’un après-midi d’enregistrement.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Thibault Cauvin, dans la grande salle de répétition et d'enregistrement de la Philharmonie, en septembre 2016.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Philharmonie de Paris, Porte de Pantin, dans l’est de la capitale. Foyer des musiciens, l’un de ces petits salons où l’on cause entre deux répétitions ou avant un concert. C’est là que nous retrouvons Thibault Cauvin. Plus de 15 ans sans poser ses valises (à 32 ans), le guitariste classique bordelais invité de par le monde voulait renouer avec son pays. Il y a eu quelques concerts importants la saison passée. Etape supplémentaire, et de taille, ces jours-ci : l’enregistrement de son neuvième disque, consacré à Vivaldi, avec l’Orchestre de chambre de Paris. Et première fois qu’il ne grave pas seul. Une double révolution. Qui l’enchante.

Sautillant, flamboyant

La grande salle de répétition, dont les murs sont tapissés de bois en dégradés de marron façon treillis, est lumineuse sans être trop chaude en cet après-midi d’été indien. L’acoustique ? "Parfaite !" se réjouit Thibault Cauvin en parlant doucement, comme à son habitude. "Sobre, sans personnalité, ce qui nous permet de créer notre propre son sans avoir à subir une autre identité". Une voix, celle du directeur artistique Maximilien Ciup, dicte le rythme : troisième jour de prises de son. Première heure de cette séance, l’orchestre au complet jouera d’une traite deux mouvements qu’il maîtrise largement : le premier du concerto pour mandoline en do majeur, puis le troisième du concerto pour violon en la mineur. Pas vraiment des tubes, comme "Les quatre saisons", mais une musique qui parle, entraînante. "Je voulais un esprit festif", s’enthousiasme Thibault Cauvin : "la musique l’est, je le suis aussi et j’aime la convivialité. L’idée pour moi était de retrouver les fêtes vénitiennes de l’époque en les recréant aujourd’hui, avec de l’énergie, quelque chose de sautillant, de flamboyant".
Thibault Cauvin avec le chef Julien Masmondet et une partie de l'Orchestre de chambre de Paris.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Thibault Cauvin est entouré d’une formation - moins d’une vingtaine de musiciens – qui s’adapte selon les concertos du disque et qui est, surtout, composée de sonorités différentes. Prenez le continuo, qui forme une sorte d’îlot à part, clavecin, théorbe et violoncelle : il est la pièce maîtresse pour l’ancrage baroque, essentiel à Vivaldi. Une authenticité sonore qui vous ramène au 18e siècle. "Les autres cordes sont en revanche des instruments modernes", dit Cauvin, « et pour ma part je joue sur une guitare qui est amplifiée et donc puissante, elle donne une vraie énergie ». Festif, on disait. "Dynamique et explosif !", ajoute-t-il en riant.

Thibault Cauvin s’envole

Sous la baguette du chef d’orchestre Julien Masmondet, la mayonnaise prend. L’exercice est loin d’être facile pour Cauvin. Habitué à enregistrer seul, en trois prises comme pour un "live", le jeune guitariste (mais à l’immense expérience) découvre les lenteurs inévitables de l’orchestre : "ce n’est pas évident d’arriver à ce que tout le monde soit en osmose, au climax de ses possibilités au même moment", dit-il.
Deborah Nemtanu, premier violon et soliste.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)
Placée à sa gauche dans l’orchestre, dans sa ligne de mire, Deborah Nemtanu, à la fois premier violon de l’ensemble et soliste réputée, est une complice. "L’alchimie se fait rapidement avec Thibault, parce qu’on parle la même langue, il n’y a pas d’adaptation. Ce qui est difficile dans un enregistrement, surtout avec orchestre, c’est de garder la fraîcheur du jeu alors que c’est la énième fois qu’on refait tous un concerto", admet-elle. "Je trouve que Thibault gère très bien le fait d’être à la fois dans le contrôle et dans le lâcher prise sur des œuvres qu’on répète et qu’on répète !". Deborah est on ne peut plus sincère, chacun se met ici à nu, sans filet ni égo surdimensionné. L’adrénaline et le moment M : voici ce qu’on cherche. "Et une fois qu’on commence à jouer, le fait d’avoir cet orchestre derrière, ça porte énormément !", dit Thibault Cauvin. "Ça me fait m’envoler, parfois dans certains mouvements, j’ai même été étonné de la vitesse à laquelle je jouais, je n’avais même pas l’impression que c’étaient mes doigts ! Au moment où on appuie sur le record, on oublie les longueurs ou les difficultés". 

L’orchestre au complet se dissout. Changement d’atmosphère, beaucoup plus intimiste. "On répète les trios", annonce la voix qui vient de la cabine : entendez soliste, premier violon et les trois instruments du continuo. "Attention au tempo : vous ralentissez beaucoup à partir de A (…) Sur la mesure 10, je n’entends pas le sol ! (…) Ne forcez pas au niveau du son, gardez la couleur que vous aviez tout à l’heure", poursuit l’ingénieur du son. Thibault Cauvin jette un coup d’œil furtif à son père, guitariste lui aussi, venu du rock et du jazz, souvent présent mais discret, au fond de la salle. "On a beaucoup travaillé la partition en amont", dit Cauvin père : "quatre séances de quatre jours. Ici, je ne suis là que pour rassurer Thibault sur la justesse, vérifier qu’il y ait le moins de fautes possibles".

Qu’on danse !

On débat, on rigole, il y a même un long fou rire, après quelques erreurs. Deborah et Thibault s’entendent comme de vieux amis. "On est tous les deux de Bordeaux, on apprécie les mêmes spots de surf de Lacanau", raconte la violoniste, amusée. On discute avec le claveciniste Yvon Repérant, sorte de "le sage de l’équipe", garant d’une certaine orthodoxie baroque.
Yvon Repérant, au clavecin, Damien Pouvreau, au théorbe et Benoît Grenet au violocelle, forment le continuo.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

"Il nous recadre quand on s’éloigne un peu trop...", s’amuse dit Thibault Cauvin. Questions de tempo, toujours, pour que la danse l’emporte. "Le plus difficile à obtenir, c’est le phrasé, c'est-à-dire notamment trouver des contrastes parce qu’à cette époque ils n’écrivaient pas beaucoup de nuances. C’est à nous de le faire", précise Deborah Nemtanu. "On a tellement l’habitude du Vivaldi pour ascenseur ou répondeur téléphonique qu’on en oublie l’esprit : c’est une musique vivante, dansante ! Si c’est plan-plan, c’est fini, elle n’a pas lieu d’être".

La répétition va bon train, les tempos se précisent, le son s’affine : les "Trios pour luth, violon et continuo" en sol majeur et en do majeur de Vivaldi prennent chair à la Philharmonie de Paris, les prises de son peuvent s’enchaîner. Nous nous éclipsons sur la pointe des pieds.

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