Le contre-ténor Franco Fagioli ovationné au Festival d'Ambronay
La soirée était pour le moins attendue. Mille spectateurs : l'abbatiale d'Ambronay ne peut guère en contenir plus. Chaque mètre carré est exploité, y compris derrière et des deux côtés de l'autel transformé en scène. On guette l'arrivée de Franco Fagioli, qui avait déjà séduit son public l'année dernière. "Mais on l'avait senti tendu, au moins au début", explique un bénévole. Le contre-ténor paraît cette fois très serein, ravi de l'accueil enthousiaste.
Haendel avant toute chose
Le chanteur est précédé par l'orchestre de chambre de Bâle et son premier violon qui fait office de chef, Stefano Barneschi, sur une ouverture de "Xerxès" de Lully. Lully ? Oui, les comédies-ballets, et autres tragédies lyriques typiques de la musique française sont bien loin du répertoire habituel, très italien, de Franco Fagioli. Mais l'anniversaire des 300 ans de la mort du Roi Soleil ont inspiré aux programmateurs un dialogue entre des moments français, très XVIIe, mais exclusivement instrumentaux, et la partie chantée, postérieure d'un siècle, où Fagioli retrouve "l'opera seria" (l'opéra sérieux) transalpin ou assimilé.Premier d'entre eux, l'opéra de Georg Friedrich Haendel, compositeur allemand certes d'origine et installé en Angleterre, mais si italien dans sa facture. Fagioli commence par un "Dove sei ? amato bene", extrait de l'opéra "Rodelinda", de grande sensibilité et douceur : "Où êtes-vous, bien-aimé ? Venez consoler mon âme" dit le texte alors que la voix réussit ses passages aigus avec délicatesse, avant d'ornementer et impressionner l'auditoire avec ses passages d'octave si fluides. Il est suivi par un autre extrait du même opéra, "Vivi tiranno", poussé avec une telle fougue que le public est déjà entièrement acquis et comblé par l'émotion. La tension ne baisse pas avant l'entracte, avec deux airs de "Rinaldo" de Haendel, un "Cara sposa" (Chère épouse), dit comme une supplique et un "Venti, turbini" (Vents, tempêtes) chanté presque avec joie. Le public est transporté. Il faut dire que l'acoustique de l'Abbatiale d'Ambronay est telle que le son est parfois littéralement transporté aux oreilles des auditeurs.
Ah, les trilles de Franco Fagioli !
Marie-Adeline est une spectatrice fidèle, c'est le 14e spectacle de Franco Fagioli auquel elle assiste depuis qu'elle l'a découvert dans "Artaserse". Son regard est ébloui par le contre-ténor qu'elle sait pourtant décrire avec une lucidité de connaisseuse. Mais c'est plus fort qu'elle : "Ça m'émeut toujours, même si je connais tous ses airs. Ses jeux d'aigus et de graves, ses messa di voce (les crescendos de puissance de la voix) magnifiques, ses trilles à pleurer !" Ah, les trilles de Franco Fagioli ! Il faut dire que le contre-ténor ne lésine pas ce soir sur ces ornementations qui touchent les gens. Non seulement par leur effet de bravoure, mais parce qu'elles expriment une émotion toute liée au texte."On a entendu des morceaux de "Rodelinda" et de "Rinaldo" et de "Serse" de Haendel et de "Polifemo" de Porpora", nous explique Franco Fagioli après le concert. "Il y a toujours dans ces textes le héros baroque qui guerroie et qui souffre, et qui, au terme de péripéties dangereuses, finit par avoir un peu de calme et d'amour". Même si le spectateur ne saisit pas les paroles en italien (les textes sont néanmoins traduits dans le programme), ces scènes prennent vie, tant le chanteur incarne ses personnages. "C'est l'origine même du belcanto : réciter en chantant, dire par la musique ce que l'on est en train de vivre et qui n'a lieu qu'une fois, en ce moment précis : la parole est à peine dite qu'elle est déjà passée. Pour moi cela veut dire entrer dans le corps du personnage que j'interprète : donner un peu de vie à chaque mouvement, à chaque expression de la parole ou de la musique". L'émotion et le travail musical du chanteur sont perceptibles, par la mimique du visage que tout le monde peut apprécier, même loin derrière, grâce à des écrans.
Public rock d'un concert baroque
La deuxième partie du concert se déroule sous une pluie d'applaudissements après chaque air, notamment ceux d'un opéra de Nicola Porpora que Fagioli affectionne particulièrement, "Polifemo" : "Dolci fresche aurette", mouvements lents, avec une remarquable légèreté des aigus, et "Alto Giove", dont les premières syllabes, tenues longtemps, touchent particulièrement l'auditoire. "C'était plus fort encore que d'habitude en émotion et en électricité", dit une autre fan qui suit régulièrement les concerts de l'Argentin. Premier, deuxième, troisième rappel dans l'Abbatiale. C'est rare. "Ambronay, c'est un public rock", nous explique une responsable de l'organisation du Festival : "Une fois conquis, il s'exprime avec beaucoup de chaleur !"Franco Fagioli est conscient qu'un véritable phénomène s'est créé autour de son nom. "Je ne chante pas depuis peu de temps. Mon premier contrat en Europe date de 2005, ce n'est pas si récent… Mais je suis peut-être plus connu depuis 2012, surtout en France. Il y a une relation entre le public et le chanteur, entre deux êtres humains ou plus. Je ne suis pas un CD, mais un homme qui une fois sur scène fait plaisir au public et à soi-même. Que les gens reçoivent ceci au point qu'il se crée ce phénomène de reconnaissance, de notoriété, pour moi cela signifie que je pourrai chanter pour davantage de gens"… Après une pause : "C'est surtout très fort que les gens ouvrent les portes de leur âme, de leur cœur, de leurs oreilles, pour écouter, recevoir et peut-être concéder à l'artiste une petite place auprès d'eux"…
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