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La "Passion selon saint Jean" de Bach sur Culturebox : 5 questions à Raphaël Pichon

Depuis sa création, l'ensemble Pygmalion, fondé par le très talentueux Raphaël Pichon, n'a eu de cesse d'explorer le répertoire sacré de Bach. Ce 31 mars, veille de Pâques, Culturebox diffuse en direct leur dernier projet, la "Passion selon saint Jean" du Cantor de Leipzig, qu'ils donnent à la Philharmonie de Paris. Cinq questions à Raphaël Pichon qui nous dévoile l'essence musicale de l'oeuvre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Raphaël Pichon, ici à Paris en 2015.
 (NICOLAS TUCAT / AFP)
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Vous avez beaucoup joué Bach avec l'ensemble Pygmalion, et en particulier son répertoire sacré. Quelle relation entretenez-vous avec ce compositeur ?

Une relation extrêmement affective. Je lui dois mon premier choc absolu qui a ensuite fait naître en moi le désir de devenir musicien professionnel. C'est aussi un des premiers compositeurs avec lesquels j'ai débuté la musique comme chanteur. Bach est un compositeur infini et il faudrait plus d'une vie pour en comprendre tous les visages. Un compositeur aussi d'une très grande spiritualité, qui a dévoué la majeure partie de sa vie à la musique sacrée et qui l'a servie avec un génie absolu. Enfin, pour l'ensemble Pygmalion, il est le compositeur qui nous accompagne depuis le début et qui j'espère nous accompagnera tout au long de notre parcours : c'est le foyer principal, si je puis dire, le feu qui brûle et qui anime le projet. 
 

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Dans le répertoire sacré de Bach, les Passions ont une place particulière…

Les Passions font partie de ces œuvres qui nécessitent plusieurs lectures. Il faut y revenir, laisser reposer, aborder d'autres œuvres de Bach, des œuvres également de ses précurseurs. Et puis, voir l'héritage qu'ont laissé ces Passions sur les compositeurs plus récents. Ce sont des oeuvres infinies, dont on découvre à chaque fois d'autres couloirs, d'autres visages. 
 

3
La "Passion selon saint Jean" est d'une grande richesse dans sa dramaturgie, sa théâtralité. Qu'est-ce qui vous touche le plus quand vous devez l'aborder ?

Je dirais l'honnêteté et la sincérité. La "saint Jean" est peut-être l'œuvre la plus théâtrale, la plus dramatique de Jean-Sébastien Bach, en tout cas dans les œuvres les plus ambitieuses. Elle utilise, et elle se joue beaucoup des codes de l'opéra, de ses techniques. C'est aussi l'œuvre la plus violente, la plus acide, un peu le "Sacre du Printemps" du XVIIIe siècle. C'est aussi une œuvre extrêmement ramassée, très compacte, contrairement à la "Passion selon saint Mathieu". Parce que l'Evangile lui-même omet toute la phase de préparation de la Passion pour aborder directement la scène de l'arrestation. Résultat : il y a une vitesse d'exécution, une dramaturgie très intense et très directe. Ce qui donne envie à Bach de livrer une musique d'une grande violence, d'une grande théâtralité. Mais elle est toujours contrebalancée par des pages de méditation parfois d'une infinie tendresse, d'une grande contemplation. C'est d'une architecture absolument inouïe dans la construction, qui permet que ce fil tendu ne se brise jamais et qu'on soit totalement emporté par cette histoire et par le message que Bach essaie de nous livrer. 

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Que dites-vous à vos musiciens de Pygmalion sur cette Passion ?

Qu'on essaye de s'affranchir de la possibilité d'être un peu blasés par ces partitions qui sont énormément galvaudées aujourd'hui, à force d'être jouées et rejouées. Il peut y avoir le risque du pilote automatique. Donc je pense à une remise en contexte, pour essayer de regarder et de jouer cette musique avec la même fraîcheur, parfois le même étonnement, la même stupeur, le même esprit de découverte que si on la jouait pour la première fois. Il faut ensuite essayer de remettre le doigt sur quelques éléments, quelques mesures, qui sont là pour vous faire révéler le côté révolutionnaire de certaines pages. Je dirai aussi de faire des choix sur une interprétation du message, de ses personnages, de leur contour psychologique, de ce que chacun de nous peut y déceler comme caractère. Et enfin aussi chercher : une infinité de couleurs, une infinité de variations dans la façon de rendre le plus vivant possible, le plus théâtral parfois, le plus simple parfois pour que ces mots et cette musique puissent pénétrer les auditeurs de la façon la plus directe possible. 
 

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Quel type de "spatialisation" envisagez-vous ?

C'est très simple : l'idée est de n'avoir ni mise en espace, ni mise en scène, donc de ne pas chercher à faire jouer nos personnages. L'idée est d'habiter l'espace à la Philharmonie de Paris, en essayant de s'affranchir de certains codes de représentation du concert, et assumer qu'on raconte une histoire. Cette histoire a besoin d'être lisible, d'être structurée en tableaux, elle a besoin d'espaces qui permettent la compréhension. L'idée est donc d'aider la mise en regard, de permettre des jeux de miroir entre certains personnages, de créer une atmosphère d'écoute. La Philharmonie de Paris est un lieu inouï où l'acoustique, l'espace en lui-même, vous permettent de jouer avec tout cela.



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