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La contralto Marie-Nicole Lemieux plus gourmande que jamais dans Rossini !

Depuis près de vingt ans, la Canadienne Marie-Nicole Lemieux promène sa voix grave et singulière de contralto entre baroque, mélodie française et opéra italien du 19e. Avec générosité, gourmandise et une bonne dose d’humour. Comme sur son dernier disque d’airs de Rossini, "Sì, sì, sì, sì" (Erato), enregistré sur scène pour que vive l’esprit de comédienne qui l’habite. Coup de coeur. Rencontre.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La contralto Marie-Nicole Lemieux, en mars 2017.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Marie-Nicole Lemieux sort un nouveau CD, "Sì, sì, sì, sì", le premier chez Erato, consacré à Rossini et enregistré sur scène avec l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra national de Montpellier, dirigé par Enrique Mazzola. La contralto canadienne y alterne des rôles de femmes et de travestis masculins, tirés des grands opéras de Rossini : "Tancrède", "L’Italienne à Alger", "Semiramide", "Le Barbier de Séville", "Matilde di Shabran", "La pie voleuse", et "La pietra del paragone". Esprit curieux, et vif à l’extrême, concentré de sympathie, d’humour… et de séduction. Quand Marie-Nicole Lemieux n’est pas sur scène, c’est un plaisir toujours renouvelé pour le journaliste de la retrouver pour l’exercice de l’interview, aussi généreuse que d’habitude, entre deux fous rires.


Diffusée sur YouTube, votre vidéo drôle et pétillante de l’air "Cruda Sorte" de "L’Italienne à Alger" fait office de "clip de promotion" du disque "Sì, sì, sì, sì". Vous y apparaissez en pleine gourmandise musicale. Etes-vous une chanteuse heureuse ?
(De grands rires). Quand je suis en répétition, que je me sens bien, en bonne santé et quand mes cordes vocales sont au top, je me dis que j'ai de la chance, oui, je suis une chanteuse heureuse. En répétition, on est juste concentrés à faire de belles choses. Sur scène, je suis une chanteuse stressée, mais quelle artiste ne l'est pas ? C’est comme un respect que l’on doit au public, je ne prends rien pour acquis. Et ce stress ne s'amenuise pas avec les années. Sauf qu'aujourd'hui, 18 ans après mes débuts, je sais un peu plus comment gérer la voix et les soirs où je ne me sens pas à 100%, certes je ne suis pas une chanteuse heureuse, mais je vais réussir à donner - car je suis une chanteuse toujours généreuse - parce que derrière il y a une base, une technique, j'ai travaillé. Et il y a des soirs où, sur scène, je m'éclate : sur "Carmen", par exemple, il y a des moments où je me disais : waouw ! J’en ai profité.

Heureuse sur "Carmen". Et Rossini vous fait aussi cet effet ?
Ah, Rossini ! Prenons par exemple l’air "Di tanti palpiti", de "Tancredi" : j’entends l’orchestre qui fait "mm mm mm" (et elle entonne le début de l’air)… J’aime tellement ça ! Je viens de le chanter à Moscou, j’en ai eu des larmes encore une fois ! Lors de l’enregistrement du disque, l’une des prises de son avait lieu peu après les attentats du 13 novembre. Les paroles de l’air disent notamment : "Douce et ingrate patrie, je reviens à toi tant je t’aime…" Je l’ai refait en bis pour l’offrir aux spectateurs français, comme pour souligner que malgré ce qui arrive, on aime notre maison France, qui est un grand pays… Je l’ai chanté avec des couleurs très douces.

Tout l’enregistrement s’est fait en direct et en public à Montpellier ?
Oui, deux concerts et deux répétitions générales par concert, avec deux programmes différents. On a préféré toutes les prises directes. Avec la mélodie française, enregistrer en studio ne pose pas de problème, mais avec une musique très opératique, très belcanto comme celle-ci, on a privilégié le live qui sert davantage Rossini. En studio j’allais peut-être trop m’écouter, trop penser à moi… En public, il faut s’oublier, il faut donner, il faut que les gens vivent une émotion. C’est parfois moins parfait, mais je veux qu’on entende le rire dans la voix, et qu’on entende celle-ci changer dans des moments dramatiques…
  (Warner Classics)

Vous parlez de "belcanto" (technique de chant reposant notamment sur la recherche du timbre) : c’est ce qui relie Rossini au baroque que vous avez beaucoup chanté…
C’est vrai, je n’avais jamais pensé à ça ! Après avoir chanté Rossini, j’ai mieux interprété le baroque (rires). Ça m’a aidé. Parce que dans le belcanto il y a la notion  extrêmement importante du "legato", c'est-à-dire quand le chant est lié, ce qui fait que le souffle est deux fois plus long, et que la voix porte plus avec moins d’efforts. C’est assez fascinant, quand tout est bien placé. Mais il faut aussi que ça reste intéressant, qu’avec le traitement vocal, il y ait aussi du texte : je veux du drame, je veux tout ! Vous voyez, mon problème, c’est la gourmandise ! (rires prolongés)

Dans votre texte de présentation du disque, vous parlez du "bien-être" qu’apporte la musique. L’angoisse dont vous nous avez beaucoup parlé dans le passé n’est donc plus qu’un mauvais souvenir…
D’accord : je parlerais aujourd’hui de doute plutôt que d’angoisse. Mais ça ne me quitte jamais. Jamais. En revanche, ma capacité de jouissance fait que mon plaisir est quelque fois plus fort que mon doute. Parce qu’en même temps c’est comme un ami, la vérité est dans le doute aussi.

Que représente Rossini pour vous ?
Rossini, c’est un compositeur qui m’a aidé à développer ma voix, parce qu’il a aimé ce type de voix, et pour ça je lui en serai toujours reconnaissante. D’avoir fait le final de la "Petite Messe solennelle" pour un contralto, par exemple, c’est un acte d’amour ! Chaque fois que je le chante, j’apprends sur mon instrument. Longtemps, au sortir de l’adolescence j’ai cru qu’il n’y avait de grandeur que dans l’angoisse, la douleur, chez Malher ou chez Brahms. En prenant de la maturité, on se rend compte qu’on a besoin de vivre aussi dans la vie. J’hésitais à prendre des rôles comiques parce que je sais que je suis comique, et je sais que je peux transmettre également des émotions dramatiques. J’accepte maintenant avec bonheur de faire sourire les gens aussi et dans ce disque, il y a les deux dimensions. J’aime me promener, incarner différentes personnalités, c’est mon côté gourmand. D’avoir travaillé ma voix d’une certaine manière, me permet de passer du baroque à Rossini, à Mahler, à Berlioz, à Carmen, Verdi, etc. Et le fait évidemment que je sois une voix grave, est pour moi une bénédiction !

Côté homme, côté femme : ce disque est composé aussi bien d’airs masculins interprétés par une femme, donc de travestis, que d’airs féminins. Que représente cette différence pour vous ?
Avec Rossini c’est assez simple : tous les rôles pour contralto femme sont des rôles "beaufs". Les rôles tragiques sont ceux des hommes : il y a ceux que j’ai faits dans le disque, mais aussi Malcolm, Mahomet… Rossini aimait beaucoup les femmes, mais pour lui, elles étaient l’expression de la joie. Evidemment, avec cette voix-là, il voyait aussi le côté testostérone qu’elles pouvaient avoir dans le drame. En chantant ces rôles, je ne pense pas : je suis un homme, je suis une femme. La musique parle d’elle-même. En revanche, il est hors de question, pour moi, d’arriver en robe à un concert où la première partie est homme ! (rires). C’est un tout, comme un respect de la partition. Evidemment, qu’on le veuille ou pas, ça teinte la couleur de la voix. C’est sûr, quand j’arrive et je fais Rosine, je ne suis pas pareille !
Marie-Nicole Lemieux à Paris en mars 2017.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi/Culturebox)

Quand on vous voit bouger, en parlant, faire des mouvements de tête et de bouche, claquer des doigts, on se dit que le R'nB, et même le hip hop ne sont pas si loin. Etes-vous attirée par la rencontre d'autres univers ?
Oui, évidemment ! Je suis très sensible aux rythmes du monde, aux couleurs, à la musique cubaine, au raï, à la musique africaine… Et de temps en temps à la techno – j’écoute une pièce de David Guetta et je me mets à danser. Mais ça ne sera jamais comme tout à l'heure avant de venir, l’émotion d’écouter à la radio le chef Charles Dutoit dirigeant Fauré, ah....! Je suis éclectique. Mais je n'ai pas envisagé vraiment cette rencontre que vous évoquez, parce que j'ai peur qu'après ça, les gens ne me demandent plus que ça. Honnêtement, je pense que je peux faire beaucoup de choses. J'ai une personnalité qui aime s'amuser, qui est versatile, j'ai fait des imitations, des spectacles d’humour quand j'ai commencé, mais il n'a jamais été question d'en faire une carrière. Ça m'a servi énormément. Mais mon défi, depuis 18 ans, est un autre. J’ai toujours ma professeure de chant, et ça fait quelques années que ma voix est de plus en plus naturelle, c’est ce que je recherche : elle sonne comme ce devrait être, sans artifice, et s'il y en a un, c'est parce que je veux faire une couleur particulière. 

Pour terminer, un aspect important dans ce disque est lié à la dimension de comédienne que vous assumez en chantant. Conséquence, en partie, de la prise de son en direct, sur scène…
Je voulais que ça apparaisse, et c'est pour ça qu'on a fait l’enregistrement en live. J'ai des rôles qui sont spirituels, et puis d’autres sont des personnages qui souffrent... Oui, parce que ce sont des airs d'opéra ! Qui dit opéra dit comédien, dit scène, dit jeu. J'aime incarner ! 


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