L'Orchestre français des jeunes : la musique avec les tripes
Olivia Martin a 19 ans. La bouille est sympathique : sourire collé aux lèvres, belle crinière blonde ces jours-ci - elle l'était rouge il y a quelques mois. L'enthousiasme chevillé au corps, Olivia ne jure que par la musique. Le déclic est venu avec le djembé quand elle était vraiment petite, puis le conservatoire a fait son œuvre et au terme d'un parcours très long pour son âge, alternant expériences symphoniques, en musiques de chambre, et même en discothèque… Olivia devient percussionniste. "Classique", ajoute-t-elle pour qu'il n'y ait pas de confusion. Olivia Martin fait partie de l'Orchestre français des jeunes.
Comme elle, ils sont cent, moitié garçons, moitié filles, âgés de 16 à 25 ans. Non encore professionnels, justement, mais solidement motivés et sévèrement sélectionnés pour être là. Là ? Dans un ensemble qui se réunit deux fois par saison. Session d'été, la plus longue : trois semaines d'ateliers, répétitions et autres apprentissages, suivies d'une semaine de concerts. Session d'hiver : 3-4 jours de remise en selle et deux jours de concerts. A cheval entre Aix-en-Provence et Paris. Entre les deux sessions, chacun revient à son conservatoire poursuivre sa formation. Ce n'est donc pas un ensemble fixe, loin s'en faut. "Mais c'est déjà un orchestre constitué, avec un son qui lui est propre, un répertoire, et des caractéristiques de réactivité", précise fièrement Pierre Barrois, directeur de l'OFJ, dont les bureaux sont installés à la Villette, comme un symbole, entre le Conservatoire de Paris et la Philharmonie. A équidistance entre les études et la vie professionnelle.
Et chaque année, l'Orchestre français des jeunes se reconstitue avec de nouvelles recrues, mais pas intégralement, puisque les musiciens sont libres de rempiler s'ils le souhaitent.
Trouver sa place dans l'orchestre
C'est ce qu'a fait Victor Harviez, corniste de 20 ans, élève au Conservatoire national de Paris, - juste en face donc. Victor en est à sa deuxième saison et s'apprête d'ailleurs à concourir l'année prochaine pour l'Orchestre des jeunes de l'Union européenne, l'équivalent de l'OFJ au niveau européen, fondé en son temps par Claudio Abbado. Il aurait tort, Victor Haviez, de s'en priver, l'occasion est rare de se frotter à la réalité quasi-professionnelle d'un orchestre et c'est pour ça qu'il continue. "J'ai troqué le piano pour le cor pour ça, pour jouer avec d'autres. Seulement depuis que je suis entré à l'OFJ, je mesure ce que c'est de trouver sa place, réellement, au sein d'un orchestre. On y découvre par exemple une hiérarchie et il faut la respecter : la première année j'étais cor grave, cette année je suis cor aigu, donc un peu plus "leader", ce qui donne une vision un peu différente de l'orchestre, on est moins passif", explique-t-il. "C'est vrai", ajoute Olivia Martin, "on a chacun notre place et on doit y rester un peu. Nous les percus, devons être toujours hyper-carrés et hyper-précis. On attend beaucoup, on compte beaucoup les mesures et il faut que le coup soit là au bon moment", dit-elle. De quoi la décourager ? "Au contraire, je suis de plus en plus intéressée par l'orchestre !". L'OFJ lui fait voir un horizon d'avenir plus large, même si sa grande passion reste l'enseignement.L'OFJ est aussi l'occasion de jouer sous la direction d'un grand chef. Dans le passé, il y eut quand-même Emmanuel Krivine, Jean-Claude Casadesus ou Dennis Russel Davies et, depuis cette saison, l'américain David Zinman. La rencontre, l'été dernier, a été pour tous marquante. "On a tous ce moment en mémoire : le premier "tutti" avec le chef. Le son était complètement différent", se souvient Olivia Martin : "il y avait un investissement, une concentration de notre part… On avait vraiment envie de donner plus, d'être dans son geste. C'était beau". Olivia en est encore émue. Victor Haviez aussi : "Zinman a commencé par lancer l'orchestre, c'était Prokofiev, un passage difficile, puis il a croisé les bras et nous a écoutés. Du coup, nous nous sommes tous écoutés et ça a été un moment important, on le fait rarement".
"David Zinman n'est pas seulement un immense chef", ajoute Pierre Barrois, "il est également venu avec le désir d'appliquer à l'OFJ sa démarche "historiquement informée" à laquelle je suis vraiment sensible". Zinman aborde le répertoire classique avec des instruments modernes. "Son approche consiste à se réapproprier un contexte historique, des phrasés et des sonorités, malgré l'absence d'instruments d'époque – ceux que l'on utilise notamment dans les ensembles baroques", résume Pierre Barrois.
A la rencontre du public
Les jeunes musiciens de l'OFJ ne font pas que recevoir ces consignes d'en haut. Ils sont intimement associés à cette démarche : "Savoir exactement de quoi on parle, comprendre comment jouer la pièce, c'est essentiel. Parce qu'à notre tour, nous devons l'expliquer et donner des clés d'écoute aux auditeurs ", raconte très convaincu Victor Haviez. "Donner des clefs" : ça n'a l'air de rien, mais sur ces mots repose la philosophie de la "médiation", l'un des axes prioritaires de l'OFJ."Notre formation s'adapte à l'évolution radicale que connaît le métier de musicien d'orchestre depuis une vingtaine d'années", explique le directeur Pierre Barrois. Créée en 1982, l'OFJ a donc dû faire face à la diversification des activités demandée aux musiciens. "Ce que les auditeurs et les financeurs - publics pour l'essentiel - demandent aux musiciens et aux orchestres locaux est de penser différemment leur métier en rendant la musique accessible à tous, pas seulement aux mélomanes".
D'où par exemple, la création, au sein de l'OFJ, d'ateliers de "médiation" donc, animés par des metteurs en scène, des comédiens, des musicologues. Leur mission : aider à rendre cette musique accessible. En l'expliquant, par toutes sortes de méthodes, théâtrales, corporelles... "Ou alors on dit aux formateurs : faites que les musiciens donnent envie au public d'écouter la pièce jusqu'au bout, ce qui n'est pas un vain mot par exemple en musique contemporaine", explique Pierre Barrois. Olivia Martin en a fait ainsi l'expérience par rapport à la "Suite en concert" pour flûte et percussions d'André Jolivet, "une ouvre contemporaine pas forcément facile à écouter", explique Olivia. "Nous avons choisi de jouer une sorte de petite pièce de théâtre qui questionne la musique. Comme un jeu, nous avons expliqué l'œuvre : la flûte, ce sont esprits, les percussions, ce sont les chasseurs… ou du moins, c'est le sens que nous lui avons donné. On a créé ainsi un lien avec le public sur une œuvre".
Jouer en prison
Une autre priorité : préparer les jeunes musiciens à intervenir comme le font désormais les orchestres, dans des lieux extrêmement variés, depuis les établissements scolaires jusqu'aux hôpitaux, en passant par les maisons de retraite ou l'administration pénitentiaire. Victor Haviez a vécu l'expérience d'un concert à la maison d'arrêt de Luynes, non loin d'Aix-en-Provence. Certes, des appréhensions existent. Et des interrogations : comment par exemple, comment aborder le personnage de "Roméo" dans "Roméo et Juliette", un homme qui tue et s'en va en exil ? Comment faire, dans cette pièce chantée et récitée, pour mimer la mort ? "Des éducateurs de la prison nous ont aidés. Surtout, on a été agréablement surpris de voir l'intérêt des détenus : on a compris que pour eux c'était très important d'accéder à ce genre de manifestation".Savoir s'adresser à tous les publics, comprendre qu'il existe non une, mais mille et une façons de faire de la musique en orchestre et autant de lieux où la jouer : les musiciens de l'OFJ sont aujourd'hui pleinement dans l'ouverture vers l'autre. "Surtout, c'est ça notre avenir", conclut Olivia Martin. "Préparons-le".
L'Orchestre français des jeunes en concert
Le 17 décembre à 20h30 au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Le 18 décembre à 20h30 à la Philharmonie de Paris
Programme :
Johannes Brahms : Concerto pour piano et orchestre nº 2 en si bémol majeur, op. 83
Hector Berlioz : Ouverture du Carnaval Romain, op. 9
Serge Rachmaninov : Danses symphoniques, op. 45
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