Cet article date de plus d'onze ans.
Folle Journée de Nantes : les talents de demain et la nostalgie des adieux
S’en fourrer jusque là, oui mais… quand on est lâché dans le petit matin froid d’une Nantes déserte on se demande si ça en vaut la peine et on se dit : « le pianiste a intérêt à être à la hauteur ». Il l’est. Dernière journée de notre blogueur mélomane, Bertrand Renard, en attendant l'Amérique !
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Au petit matin, Guillaume Coppola joue les « Danses espagnoles » de Granados
Guillaume Coppola, on commence à parler de lui, dans Liszt ou Beethoven. C’est lui finalement qui a le plus de mérite : jouer à 9 heures les « Danses espagnoles » de Granados en dosant si bien le folklore et la poésie… On aimerait quelques ruptures de ton (on appelle ça la « relance du discours ») mais le pianiste comme le public a des excuses, dans cette salle de l’agence Eau Environnement où le Steinway est posé sous une carte stylisée de la Loire avec l’indication des nobles cités de Roanne, Le Puy-en-Velay, Andrézieux-Bouthéon.
Hervé Billaut tient sa standing ovation
Destins tragiques de certains compositeurs français : Henri Duparc, quelques mélodies sublimes et 50 ans de silence suite à une maladie nerveuse ; Albéric Magnard (je l’adore et je n’ai rien entendu de lui ici) qui répond, pendant la bataille de la Marne, à l’ordre de réquisition des soldats allemands en leur tirant dessus. La réplique, au canon, ensevelit Magnard dans sa maison. Paul Dukas, lui, doute tellement de lui-même qu’il détruit ses partitions, nous privant sans doute de chefs-d’œuvre. C’est Hervé Billaut qui nous raconte cela à propos de la « Sonate », une des plus longues du répertoire, l’équivalent de l’énorme « Hammerklavier » de Beethoven et, donc, qu’on ne joue jamais. On tend le dos. Et là : modèle d’architecture, ligne claire de la mélodie, souffle de l’écriture, imagination et virtuosité diabolique du pianiste. Billaut le si discret tient sa standing ovation . Luis Fernando Perez ...et une contrebassiste talentueuse, Pénélope Poincheval
Autre heure espagnole avec Luis Fernando Perez partenaire (bien « cadré ») du quatuor Arriaga (du nom du « Mozart madrilène » mort à 20 ans). Ils jouent (et Perez est très bon) le « Quintette avec piano » de Granados, pas très passionnant (c’est français ? c’est espagnol ?) mais avec, au début du mouvement lent, une magique mélodie d’inspiration judéo-arabe qui nous emmène très loin dans l’espace et dans le temps. (Ils complètent avec la « Danse du feu » de Falla qui donne le sourire à l’assistance (« Ah ! on connait!») avec la participation d’une contrebassiste rousse, Pénélope Poincheval, talentueuse et aussi grande que son instrument). Un coeur de femmes
« S’en fourrer jusque là » car aussi, à côté de la Grande Halle le dimanche des Folles Journées, le métro parisien aux heures de pointe, c’est le Larzac. Autant aller se remplir les oreilles. André Caplet. Ami de Debussy dont il a créé plusieurs œuvres et bien du talent lui-même. Frédéric Lodéon, quand il jouait encore du violoncelle, avait enregistré son « Epiphanie ». La grande Lily Laskine un « Masque de la Mort Rouge » d’après Edgar Poe, écrit pour harpe et quatuor à cordes. C’est le même accompagnement pour le « Miroir de Jésus » : la vie de Jésus, de l’Annonciation à l’Assomption, heures claires, heures sombres, d’un fils et d’une mère. C’est pour un rôle écrasant de mezzo (très belle incarnation de la suisse Marie-Claude Chappuis), un chœur de femmes, ça dure une heure, ce pourrait être mièvre, bigot, c’est, sur des poèmes jolis comme tout d’Henri Ghéon, une musique plus extatique que Poulenc, plus debussyste mais avec la même simplicité sans question. Fameuse découverte !
Les « 24 préludes » de Maurice Ohana : "Au fou !"
Nantes est le lieu des expériences, René Martin fait désormais confiance au public pour les accepter. C’est parfois houleux. Les « 24 préludes » de Maurice Ohana (1914-1992) : modèle, Chopin, en beaucoup plus radical. Puissant, violent, aucune mélodie, aucune tonalité, avec des contrastes douceur/force, résonance de la pédale, répétition martelée, guirlande de notes, descentes de gammes, jeux de silence. Un moment sublime dans l’extrême aigu, on croirait des blocs de glace qui s’affaissent avec des accents de cristal. 40 minutes qu’on n’écouterait pas tous les jours au petit-déjeuner mais défendu par un jeune homme, Nathanaël Gouin, formidable d’invention, de présence, dans une musique, comme Jolivet, passée de mode et plus injustement. Mais pas étonnant car, 50 ans après, certains crient encore : « Au fou ! ». Allez, on parie : Gouin sera demain l’un des grands du piano français, de la lignée d’un Neuburger, d’un Adam Laloum. Le guitariste brésilien Roberto Aussel et ses fans
Un peu de finesse après ce monde de brutes : de la guitare (j’entends des « Enfin ! »). Roberto Aussel, grand nom dans une petite salle. Les amateurs de guitare, je m’en suis rendu compte, c’est comme un club de jazz, une ambiance autour de l’interprête, les œuvres sont secondaires. Aussel, petit monsieur maigre et timide, joue comme si nous étions avec lui au crépuscule dans son jardin de Buenos Aires et il y met une douceur et une simplicité qui transforme la tragédie espagnole en empoignante tristesse.
Le clarinettiste, Raphaël Sévère 18 ans joue Jean Françaix
C’est presque la fin. On en est aux regrets, aux « J’ai raté ça ». Moi, j’ai raté Chausson, quasiment. Je me venge avec le beau et difficile quatuor à cordes inachevé : Chausson, pendant qu’il l’écrivait, s’est tué en vélo, après un vol plané où sa tête a heurté un rocher, provoquant une hémorragie cérébrale. Jean Françaix complète le programme avec un « Quintette avec clarinette ». C’est d’un compositeur heureux d’écrire avec un clarinettiste heureux de jouer, Raphaël Sévère, 18 ans. Il avait 14 ans quand il fit ses débuts à Nantes. Sa sonorité est limpide et magnifique, c’est déjà un grand. Mais comme c’est amusant de voir ces jeunes stars si mûres dans la musique et qui redeviennent de grands ados dès les partitions fermées ! Merci Youri Favorin
Pas assez de Poulenc. Pas assez de Bizet. Youri Favorin a changé, il n’a plus ses lunettes de premier de la classe. Il joue Poulenc et Bizet avec un sentiment juste, il joue ce fou-furieux d’Alkan qu’on appelait le « Berlioz du piano » avec une virtuosité folle, il joue en bis Boucourechliev, encore plus barjo qu’Ohana. Il joue tout par cœur de ces œuvres qu’il ne rejouera peut-être plus jamais. C’est un phénomène russe qui rend hommage à la France. On l’en remercie.
On n’a que 359 jours pour se remettre jusqu’à l’an prochain
Alkan, contemporain de Berlioz, c’est une fin un peu à côté de la plaque. On ne veut pas partir : on n’a que 359 jours pour se remettre jusqu’à l’an prochain. Ce sera l’Amérique. On voudrait prendre un paquebot dans le port de Nantes et faire le tour du monde pour ne débarquer à New-York que le jour où la « Folle Journée 2014 » en fera résonner les échos.
Guillaume Coppola, on commence à parler de lui, dans Liszt ou Beethoven. C’est lui finalement qui a le plus de mérite : jouer à 9 heures les « Danses espagnoles » de Granados en dosant si bien le folklore et la poésie… On aimerait quelques ruptures de ton (on appelle ça la « relance du discours ») mais le pianiste comme le public a des excuses, dans cette salle de l’agence Eau Environnement où le Steinway est posé sous une carte stylisée de la Loire avec l’indication des nobles cités de Roanne, Le Puy-en-Velay, Andrézieux-Bouthéon.
Hervé Billaut tient sa standing ovation
Destins tragiques de certains compositeurs français : Henri Duparc, quelques mélodies sublimes et 50 ans de silence suite à une maladie nerveuse ; Albéric Magnard (je l’adore et je n’ai rien entendu de lui ici) qui répond, pendant la bataille de la Marne, à l’ordre de réquisition des soldats allemands en leur tirant dessus. La réplique, au canon, ensevelit Magnard dans sa maison. Paul Dukas, lui, doute tellement de lui-même qu’il détruit ses partitions, nous privant sans doute de chefs-d’œuvre. C’est Hervé Billaut qui nous raconte cela à propos de la « Sonate », une des plus longues du répertoire, l’équivalent de l’énorme « Hammerklavier » de Beethoven et, donc, qu’on ne joue jamais. On tend le dos. Et là : modèle d’architecture, ligne claire de la mélodie, souffle de l’écriture, imagination et virtuosité diabolique du pianiste. Billaut le si discret tient sa standing ovation . Luis Fernando Perez ...et une contrebassiste talentueuse, Pénélope Poincheval
Autre heure espagnole avec Luis Fernando Perez partenaire (bien « cadré ») du quatuor Arriaga (du nom du « Mozart madrilène » mort à 20 ans). Ils jouent (et Perez est très bon) le « Quintette avec piano » de Granados, pas très passionnant (c’est français ? c’est espagnol ?) mais avec, au début du mouvement lent, une magique mélodie d’inspiration judéo-arabe qui nous emmène très loin dans l’espace et dans le temps. (Ils complètent avec la « Danse du feu » de Falla qui donne le sourire à l’assistance (« Ah ! on connait!») avec la participation d’une contrebassiste rousse, Pénélope Poincheval, talentueuse et aussi grande que son instrument). Un coeur de femmes
« S’en fourrer jusque là » car aussi, à côté de la Grande Halle le dimanche des Folles Journées, le métro parisien aux heures de pointe, c’est le Larzac. Autant aller se remplir les oreilles. André Caplet. Ami de Debussy dont il a créé plusieurs œuvres et bien du talent lui-même. Frédéric Lodéon, quand il jouait encore du violoncelle, avait enregistré son « Epiphanie ». La grande Lily Laskine un « Masque de la Mort Rouge » d’après Edgar Poe, écrit pour harpe et quatuor à cordes. C’est le même accompagnement pour le « Miroir de Jésus » : la vie de Jésus, de l’Annonciation à l’Assomption, heures claires, heures sombres, d’un fils et d’une mère. C’est pour un rôle écrasant de mezzo (très belle incarnation de la suisse Marie-Claude Chappuis), un chœur de femmes, ça dure une heure, ce pourrait être mièvre, bigot, c’est, sur des poèmes jolis comme tout d’Henri Ghéon, une musique plus extatique que Poulenc, plus debussyste mais avec la même simplicité sans question. Fameuse découverte !
Les « 24 préludes » de Maurice Ohana : "Au fou !"
Nantes est le lieu des expériences, René Martin fait désormais confiance au public pour les accepter. C’est parfois houleux. Les « 24 préludes » de Maurice Ohana (1914-1992) : modèle, Chopin, en beaucoup plus radical. Puissant, violent, aucune mélodie, aucune tonalité, avec des contrastes douceur/force, résonance de la pédale, répétition martelée, guirlande de notes, descentes de gammes, jeux de silence. Un moment sublime dans l’extrême aigu, on croirait des blocs de glace qui s’affaissent avec des accents de cristal. 40 minutes qu’on n’écouterait pas tous les jours au petit-déjeuner mais défendu par un jeune homme, Nathanaël Gouin, formidable d’invention, de présence, dans une musique, comme Jolivet, passée de mode et plus injustement. Mais pas étonnant car, 50 ans après, certains crient encore : « Au fou ! ». Allez, on parie : Gouin sera demain l’un des grands du piano français, de la lignée d’un Neuburger, d’un Adam Laloum. Le guitariste brésilien Roberto Aussel et ses fans
Un peu de finesse après ce monde de brutes : de la guitare (j’entends des « Enfin ! »). Roberto Aussel, grand nom dans une petite salle. Les amateurs de guitare, je m’en suis rendu compte, c’est comme un club de jazz, une ambiance autour de l’interprête, les œuvres sont secondaires. Aussel, petit monsieur maigre et timide, joue comme si nous étions avec lui au crépuscule dans son jardin de Buenos Aires et il y met une douceur et une simplicité qui transforme la tragédie espagnole en empoignante tristesse.
Le clarinettiste, Raphaël Sévère 18 ans joue Jean Françaix
C’est presque la fin. On en est aux regrets, aux « J’ai raté ça ». Moi, j’ai raté Chausson, quasiment. Je me venge avec le beau et difficile quatuor à cordes inachevé : Chausson, pendant qu’il l’écrivait, s’est tué en vélo, après un vol plané où sa tête a heurté un rocher, provoquant une hémorragie cérébrale. Jean Françaix complète le programme avec un « Quintette avec clarinette ». C’est d’un compositeur heureux d’écrire avec un clarinettiste heureux de jouer, Raphaël Sévère, 18 ans. Il avait 14 ans quand il fit ses débuts à Nantes. Sa sonorité est limpide et magnifique, c’est déjà un grand. Mais comme c’est amusant de voir ces jeunes stars si mûres dans la musique et qui redeviennent de grands ados dès les partitions fermées ! Merci Youri Favorin
Pas assez de Poulenc. Pas assez de Bizet. Youri Favorin a changé, il n’a plus ses lunettes de premier de la classe. Il joue Poulenc et Bizet avec un sentiment juste, il joue ce fou-furieux d’Alkan qu’on appelait le « Berlioz du piano » avec une virtuosité folle, il joue en bis Boucourechliev, encore plus barjo qu’Ohana. Il joue tout par cœur de ces œuvres qu’il ne rejouera peut-être plus jamais. C’est un phénomène russe qui rend hommage à la France. On l’en remercie.
On n’a que 359 jours pour se remettre jusqu’à l’an prochain
Alkan, contemporain de Berlioz, c’est une fin un peu à côté de la plaque. On ne veut pas partir : on n’a que 359 jours pour se remettre jusqu’à l’an prochain. Ce sera l’Amérique. On voudrait prendre un paquebot dans le port de Nantes et faire le tour du monde pour ne débarquer à New-York que le jour où la « Folle Journée 2014 » en fera résonner les échos.
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