Festival de musique baroque d'Ambronay 2024 : le sopraniste d'exception Bruno de Sa enflamme l'Abbatiale avec Vivaldi et Pergolèse
Le festival d'Ambronay a fixé le cap en choisissant le thème de cette 45e édition par une jolie formule : "La voix est libre". La part belle est donc faite tout le long des quatre week-ends de festival, jusqu'au 6 octobre, au chant et à la voix humaine. La soirée d'ouverture du festival, vendredi 13 septembre, a respecté le contrat en mettant en avant une voix des plus originales, celle du Brésilien Bruno de Sa, dans un programme comprenant le Stabat Mater de Pergolèse, opus de référence du répertoire baroque napolitain.
Bruno de Sa est sopraniste : un chanteur adulte à la voix de soprano. Une voix rare chez les hommes. Clairement distincte de celle des contre-ténors (comme Philippe Jaroussky ou Franco Fagioli), c'est la voix possédant la tessiture la plus élevée. Bruno de Sa se définit comme soprano lyrico-léger, d'une souplesse extrême dans ses aigus. Une perle.
Une bouchée du "In furore" de Vivaldi
Le chanteur n'est pas un inconnu d'Ambronay. Le festival de l'Ain l'a déjà programmé deux fois en lui réservant dès la première un accueil dont il se souvient : "Je connais l'exigence du festival, le niveau des artistes invités", nous dit-il. "Or je n'étais franchement pas très connu. C'était un samedi après-midi maussade et pluvieux, il fallait avoir envie de se déplacer. L'Abbatiale était pleine ! Je me suis dit : mais que se passe-t-il ici ? Et le public, quelle chaleur ! Ça a été un vrai choc, sans parler de l'acoustique assez brillante dont j'ai pu tirer parti".
Cette année, le sopraniste vient en star au festival. Précédé par une œuvre de Scarlatti, le Concerto Grosso n°5, porté avec rigueur et énergie par la violoniste et cheffe Martyna Pastuszka (très appréciée) et son ensemble Oh ! Orkiestra venu de Pologne (une nouveauté pour Ambronay mais pas pour longtemps), Bruno de Sa marque d'emblée son territoire. Costume sombre mais flamboyant, orné de plumes à l'épaule, il fait une bouchée de l'ouverture de la pièce de Vivaldi In furore.
Une Abbatiale sous le choc
Toute la colère de Dieu face aux péchés de l'humanité est contenue dans des aigus projetés avec une précision chirurgicale, doublés de vocalises troublantes de beauté. L'Abbatiale est sous le choc. D'autant que le contraste est saisissant avec les mesures qui suivent : l'infinie délicatesse du "O Jesu dulcissime" ("Ô très doux Jésus"), prière du "pécheur languissant". Dans l'air d'après, et notamment dans ces vers "Fais-moi pleurer, mon cher Jésus", les notes du sopraniste sont tenues comme si sa vie en dépendait. L'artiste est d'une expressivité et d'une agilité confondantes. Le violon complice de Martyna Pastuszka fait le reste.
L'autre star de la soirée d'ouverture est une pièce, le Stabat Mater de Pergolèse, chef-d’œuvre toujours très attendu de musique sacrée flirtant sans cesse avec l'opéra. Changement radical d'ambiance. Mais l'œuvre touche également aux cordes sensibles de Bruno de Sa, dont c'est presque un plat signature. "C'est sûrement la pièce que j'ai le plus interprétée. L'année dernière, je l'ai chantée douze fois". Le Stabat Mater est la dernière œuvre de Pergolèse, composée juste avant sa mort, en 1736, à 26 ans. C'est la mise en musique d'un texte qui décrit la douleur de la Vierge devant la croix.
Souffrance d'une mère
"Je suis chrétien, et j'ai grandi en écoutant l'histoire de la crucifixion". Mais pour le sopraniste, ça va au-delà. "C'est une mère qui dit sa douleur de voir son fils mourir. Et il n'y a rien qu'elle puisse faire pour l'éviter. C'est arrivé à ma mère avec une jeune sœur qui est morte alors qu'elle était encore bébé. Ça a été la plus grande douleur qu'elle ait éprouvée".
Bruno de Sa dit s'arrimer à cette dimension humaine davantage encore qu'à son aspect sacré. Sans oublier sa traduction musicale, "de longues, et douloureuses lignes de chant". "C'est un marathon de chanter le Stabat Mater !", admet Bruno de Sa.
Pour le Stabat, il partage la scène cette fois avec un jeune contre-ténor, Rémy Brès Feuillet, nouvelle pépite que propose le festival. Les deux voix – l'une aérienne et légère, l'autre très contrastée, chaude et basse – se répondent en duo dès le poignant premier mouvement Stabat Mater Dolorsa, puis fusionnent dans le troisième, O quam tristis et afflicta. Des mots simples d'une grande profondeur : "qu'elle était triste, anéantie, la femme entre toutes bénie".
Point d'orgue, le célèbre air Vidit suum dulcem natum (Elle vit l'enfant bien-aimé) qui confronte la Vierge à la mort de Jésus. Moment suspendu dans l'Abbatiale quand Bruno de Sa tient longtemps sa note grave. La suite est une supplique, prière adressée à Marie afin de partager ses tourments. Le sopraniste et le contre-ténor, toujours accompagnés par l'ensemble Oh! Orkiestra, se dépassent avec ces mots notamment : "Pour moi ton fils voulut mourir / Aussi donne-moi de souffrir / Une part de ses tourments". L'émotion est partout dans cette salle qui ovationne les artistes.
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