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Entre mots et musique, Brigitte Fossey poursuit sa route "en pays de poésie"

Grande mélomane, Brigitte Fossey se donne corps et âme, depuis quelques années, à des spectacles où musique et littérature se répondent. Et ça marche. Son secret ? Sa passion et son érudition. Pédagogue ? Elle préfère se dire passeuse. Son dernier disque, "Le chemin de la croix" associe la musique de Jean Giroud aux textes de Paul Claudel. Rencontre avec une comédienne qui vit "en pays de poésie".
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7 min
Brigitte Fossey ici à Cannes en mai 2017.
 (PHOTOPQR/NICE MATIN/MAXPPP)

Les planches, les plateaux de cinéma ou de séries télé ne sont jamais loin. Mais autre chose occupe pleinement Brigitte Fossey depuis quelques années déjà : la musique. Grande mélomane, la comédienne est devenue récitante dans des spectacles faisant dialoguer musique et textes. Et ça a pris. Succès sur scène et sollicitations accrues y compris pour enregistrer des disques. Parmi les plus récents, un album "Sand Chopin" et un disque "Correspondances" où se répondent Aloysius Bertrand, Ravel, Scriabine, Chopin et Heine. Enfin, sorti depuis peu, "Le chemin de la croix" (édité chez Quantum) où le célèbre texte de Paul Claudel est associé à la musique de Jean Giroud, un compositeur du XXe siècle un peu oublié aujourd’hui, mais qui avait occupé une place importante dans la musique liturgique. Brigitte Fossey, qui joue tous les rôles du texte de Claudel, est accompagnée par l’organiste Pascal Vigneron. 

Nous nous voyons avec la comédienne à Paris, dans un café du quartier des ministères. On est en avance, déjà installés. Elle décide de changer de place, elle connaît le lieu, elle sait où c’est plus calme. Et puis son petit rituel, elle retourne la chaise et s’assoit à califourchon les bras croisés sur le dossier : "je m’assois aussi chez moi comme ça quand je réfléchis". Elle est souriante, et même plus que ça, joyeuse. Un brin rentre-dedans, mais sympathique, ironique.

Avec "Le chemin de la croix" de Paul Claudel, vous vous attaquez à un texte important, à la dimension liturgique….
Pour moi ce n‘est pas un texte liturgique, mais plutôt un texte littéraire à propos d’un événement religieux et historique. Paul Claudel et moi sommes d’accord sur le fait que le Christ est le ressuscité, parce qu’il n’y a pas de mystère de la croix sans résurrection. Et cela passe par un "chemin de croix", ce qui veut dire que la vie éternelle, ça se paye : il faut d’abord souffrir. Ce en quoi il est notre frère, il est la quintessence de l’être humain. 

Oui, dans votre disque vous donnez à entendre un Jésus extrêmement humain, dans sa souffrance et sa fragilité. Et d’ailleurs votre voix, presque apaisée, tranche avec une certaine violence de la musique.
C’est vrai. Etle tranche aussi avec la violence suprême de la foule. Comme je joue tous les rôles, je fais aussi la foule qui veut la mort d’un homme : c’est vraiment la violence suprême !

  (Quantum)
Revenons au personnage du Christ…
Quand on donne des textes écrits ou vécus par des saints, c’est très difficile de proposer une interprétation quelle qu’elle soit. Qui peut interpréter un type qui est cloué sur une croix, qui se vide de 38 kg de son sang ? C’est infaisable ! Donc quand le Christ parle, je me mets à son écoute, je laisse le texte passer par moi et je m’en remets à l’esprit, c’est-à-dire que chacun peut interpréter ses paroles à sa façon. Mais je me souviens quand-même que Jésus dit toujours "je suis doux et humble de cœur" par exemple. Alors j’ai essayé d’être simple, dépouillée.

Quelle est dans cette œuvre l’articulation entre texte et musique ?
C’est un dialogue, construit comme tel, entre la musique de Giroud et le texte de Claudel. Mais il y a une sorte d’indépendance entre d’un côté l’histoire (religieuse ou histoire d’un homme qui peut être n’importe quel homme) et de l’autre côté cette musique qui donne son avis sur ce qui se passe. Je trouve la musique d’orgue sublime, parce qu’elle revendique sa subjectivité et par moments elle traduit l’émotion que je ne peux pas, moi, me permettre de faire passer, de la parole du Christ. Exemple : on dit qu’au moment où Christ est mort, il y a eu un tremblement de terre, le temple s’est écroulé et il y a eu ce fameux cri du Christ. Ça, je ne pouvais pas le jouer - d’ailleurs le texte ne me l’a pas demandé - mais la musique, elle, l’a fait. La musique de Jean Giroud n’est pas une illustration, c‘est plutôt une autre façon de vivre le texte de Claudel, un peu cosmique - parce que pour moi l’orgue est un instrument cosmique. Sa musique passe par des ouragans, des tonnerres, des révoltes incroyables et puis, par moments, par des tendresses, des zéphyrs qui arrivent… L’orgue c’est l’univers et c’est aussi la voix de Dieu qui tonne par moments…

Dans la préface d’un précédent disque, vous citez l’écrivain Heinrich Heine qui parle du "pays de Poésie" comme de la "véritable patrie" de Chopin. C’est aussi dans ce pays que vous semblez vivre…
Mais oui, complètement ! Parce que pour moi la poésie, c’est l’univers. La première source poétique c’est le cosmos, les galaxies. J’essaie de regarder le ciel au moins deux fois par jour et aussi la nuit et de ne pas oublier que je suis un petit fétu de paille. J’ai la chance d’être ici parmi tous ces astres, dans les astres des créations musicales et dans les astres des textes poétiques qu’on me confie.

Comment vivez-vous dans ce "pays de Poésie" ?
La poésie, ce n’est pas toujours facile. C’est parfois dur, âpre, il faut se battre (Brigitte Fossey crie presque) pour vivre dans la poésie, parce que c’est un accouchement permanent, à notre époque c’est une forme de résistance. Mais c’est la condition sine qua non de la liberté. Sans poésie, nous ne sommes plus des êtres, nous sommes possédés par le temps, par internet, par les nouvelles, par l’identique et le même qui se répètent. La poésie c’est le contraire, c’est une invention permanente. Et c’est extraordinaire pour moi d’avoir affaire à des textes si différents parce que je suis sans cesse remise en question et je ne sais jamais exactement comment les interpréter. Je n’ai pas de méthode. Simplement je les lis je les relis, jusqu’au moment où le texte travaille en moi presque à mon corps défendant. Et selon le lieu, ce sera autrement.

Au-delà de la poésie, il y a une dimension pédagogique de vos spectacles où l’on fait plus ample connaissance du monde de la musique...
Oui : être dans la  transmission, passer… Enseigner, je ne dirai peut-être pas vraiment. Ou alors, en rappelant qu’enseigner et apprendre c’est une seule et même chose. Moi j’apprends toute ma vie donc peut-être que j’enseigne. Je n’essaie pas d’enseigner, mais j’essaie d’apprendre. Parce que chaque fois que j’apprends, j’ai beaucoup d’espérance alors que quand je n’apprends pas, je suis désespérée. Et c’est vrai depuis que je suis toute petite, je n’avais pas 3 ans, et je disais à ma mère que je voulais apprendre. C’est comme ça que malgré mon jeune âge, on m’a appris le français, on m’a appris à lire, à compter, et j’ai senti dans le fait d’apprendre une espèce d’ébriété et de force extraordinaire. Les Indiens disent que Dieu se trouve dans la connaissance, dans l’amour, et dans le travail. Et moi je trouve que quand on apprend on est dans les trois. Mais moi, je pense surtout au plaisir d’apprendre. Et peut-être qu’enseigner c’est ça. J’ai eu des enseignants qui m’ont appris le désir d’apprendre, c’était des génies ! J’ai gardé cette ébriété d’avant "Jeux Interdits", qu’ils ont essayé de couper en m’embêtant, en me définissant, en me clouant, comme un petit papillon en disant "elle est ceci, elle est cela…". Et moi je dis non. J’apprends tout le temps. Et c’est ma liberté ! Quand on n’apprend plus, on est mort.

Quels seront vos prochains apprentissages sur scène ou en disque ?
Il me reste tout le monde : Bach, Scarlatti (rires)… En ce qui me concerne, comme disait Erik Satie, je préfère la musique que j’aime à la musique que je n’aime pas. C’est-à-dire la très bonne musique, de la musique française jusqu’à la musique baroque vénitienne : il y a un grand panel. Mais je suis une bouteille à la mer, les gens viennent me chercher, je ne provoque rien moi-même, je n’ai pas de site, je n’ai pas d’agent musical, c’est uniquement le bouche à oreille.

La musique prend-elle le pas sur le reste ?
Non, je viens de tourner une très belle série télévisée en Suisse, "Quartier des banques" où je joue un rôle de composition, le rôle d’une banquière. Puis je viens de faire une participation dans un unitaire d’Arte de Philippe Harel, "Un adultère", où je joue le rôle de la mère d’Isabelle Carré. J’ai beaucoup d’autres projets télé, et c’est vrai, beaucoup de projets avec la musique.

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