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Dessine-moi un festival, une série de l'été : Philippe Tranchet à Royan

Ils sont chanteurs, chefs d'orchestres, producteurs, patrons de salle… ou simples mélomanes. Pour le plaisir de la musique, ils consacrent leur été à faire vivre un festival. Baroque ou romantique, Boulez ou Mozart. A la ville, dans les champs, ou en bord de mer, qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas ? Rencontre aujourd'hui avec Philippe Tranchet, créateur du festival "Un violon sur le sable".
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Philippe Tranchet.
 (Droits Réservés.)

Trois soirées de spectacles, 5 solistes par soir, 75 musiciens de l'Opéra de Paris et d'autres grands orchestres et 50.000 spectateurs par soir, assis sur le sable ou en tribune : "Un violon sur le sable" n'est pas peu fier de ces chiffres. Et pourtant le festival est né presque par hasard, loin du milieu du classique, créé en 1987 par Philippe Tranchet qui, pour financer une petite radio locale, organisait des championnats internationaux de billes sur sable dont la finale se tenait à Royan.

  (Philippe Souchard Production 114)

Pourquoi avez-vous créé ce festival, "Un violon sur le sable" ?
On n'a pas décidé de monter un festival. J'ai proposé à mon ami Patrice Mondon, violoniste à l'Opéra de Paris, de venir jouer un soir, sur la plage, en queue de pie, accompagné seulement d'une bande son. C'était il y a 28 ans, devant des amis, et c'était magnifique. L'année suivante, il a renouvelé l'expérience avec quatre musiciens, puis d'autres solistes sont venus et l'orchestre de chambre s'est mué, avec les années, en un orchestre philharmonique complet.

Aujourd'hui, qu'est-ce qui vous pousse à  vous investir dans une telle entreprise ?
Ce sont les gens. Les spectateurs, mais aussi et avant tout ceux avec qui je monte le festival et pour qui c'est aujourd'hui le métier.
Musique classique et effets pyrotechniques pour le festival Un violon sur la plage.
 (Ph.Souchard/Production 114)

Qu'est-ce qui attire les artistes au festival ?
Il y a deux choses : d'abord la nature du projet, si atypique, qui permet à un artiste classique d'évoluer devant 40 à 50.000 spectateurs. Il y a ensuite les cachets, qui doivent s'aligner sur les grandes rencontres. L'été la concurrence est rude et nous n'avons pas le pedigree d'un Festival d'Aix-en-Provence ! Nous devons donc offrir aux musiciens d'autres arguments, d'autant que nous leur imposons une courte présence sur scène : Nicolas Angelich n'a joué l'an denier qu'un extrait du concerto pour piano de Chopin et Patricia Petibon ne viendra que pour chanter deux airs !

Justement, les musiciens n'ont-ils pas des exigences ?
Si, surtout les instrumentistes, en ce qui concerne la longueur des œuvres interprétées. D'où de longues négociations. Mais "Le violon sur le sable" a des règles, c'est notre choix : on a en général 14 morceaux par soirée, les plus longs ne peuvent pas dépasser 12 minutes. Il faut du rythme, il faut aussi de la diversité dans les œuvres. Aussi je fais jouer un "tube" du classique ou une musique de film pour encadrer un Messiaen ou un Poulenc ! Le choix des œuvres est aussi beaucoup discuté. Mais ces exigences, parfois dures, sont oubliées par le musicien dès qu'il découvre le lieu, le concept et surtout le public dès les répétitions ! Et c'est extraordinaire de voir parfois dès 8 heures du matin 5000 personnes installées déjà pour le concert de 22 heures !
  (Philippe Souchard Production 114)

Quelle est la potion magique pour que ça marche ?
Ma potion magique ? C'est sans doute ma connaissance du public au sens large. Dans l'équipe, je suis celui qui connaît le moins bien la musique classique, mais qui est le plus proche du public. C'est donc moi qui fais les arbitrages, qui dis : ça, ça ne passera pas ou encore, dans ce programme, il nous manque quelque chose pour telle tranche d'âge…

Qu'est-ce qui vous guide ? 
Ma seule obsession : la recherche d'émotion et d'authenticité. Sur le papier, l'œuvre choisie compte autant que l'artiste et c'est la combinaison des deux qui offrira, on l'espère, l'émotion. Je suis en particulier très sensible à l'écoute des enfants et ça me rend heureux de les voir ébahis devant par exemple, la soprano Julie Fuchs alors que jamais ils n'écoutent d'air d'opéra sur YouTube ou en voiture ! Quand ils croisent cette musique dans des jeux vidéo par exemple, pour eux c'est du "carré pané", et là ils voient enfin du poisson frais ! Et c'est pour ça que dans nos programmes on a régulièrement une musique de jeux vidéos, pour qu'ils se rendent compte que cette musique est faite avec de vrais instruments, pas des machines ! Et de même pour la musique de films, comme celle de Star Wars…

Parlons budget : comment se débrouiller pour ne pas perdre d'argent ?
Environ 35 % du budget vient de marchés publics avec les collectivités locales et le reste ce sont des partenaires privés. Le plus atypique dans notre fonctionnement est qu'on est un concert gratuit (pour tous ceux qui s'installent sur la plage) avec quelques places payantes (dans des tribunes). L'équilibre est atteignable. On peut faire nos prévisions budgétaires sur les sponsors comme sur la billetterie. Le seul élément difficile à supporter est la dépendance de la météo, car s'il pleut, il y a des choses à rembourser…En 28 ans, trois concerts ont été reportés, heureusement aucun n'a été annulé…

Un souvenir de festival…
La grande pianiste Brigitte Engerer était sur scène, elle venait de jouer un passage du Concerto de l'Empereur de Beethoven. En s'arrêtant à la fin, elle a regardé le public, en pleurant, et elle a dit : je vous écoute, j'écoute votre silence. Puis elle est descendue de scène, elle est tombée dans mes bras… (à ce moment du récit, Philippe Tranchet est lui-même en larmes)… et a ajouté : je n'ai jamais connu ça dans ma carrière.

"Un violon sur le sable" à Royan
Les 25, 28 et 31 juillet 2015

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