Dessine-moi un festival, une série de l'été : Laurent Brunner à Versailles
Laurent Brunner est à la tête de "Château de Versailles Spectacles" et à ce titre directeur du Festival, dont la cinquième édition, cette année, célèbre – hasard du calendrier – le tricentenaire de la mort du Roi. Au programme, de très nombreux spectacles depuis les "Nuits de l'Orangerie", avec concerts, ballets et feux d'artifice, jusqu'aux "Fêtes galantes" en costume d'époque, en passant par une "Nuit Louis XIV" par William Christie et une soirée Franco Fagioli.
Qu'est-ce qui pousse à s'investir dans un festival ?
Pour moi, c'est l'horreur du vide : toute l'année on est bien occupés, et pendant le festival, on n'a plus le temps de respirer.
Justement, pourquoi un festival dans un lieu où l'activité est déjà importante toute l'année ?
Parce que c'est l'été ! On peut travailler sur des amplitudes horaires et des types de propositions que le public désire davantage à cette période. On peut l'appeler autrement, mais quand vous avez à la fois de la musique classique dans le Château, des projets sur des gradins à l'Orangerie, les "Grandes eaux" nocturnes, l'exposition Anish Kapoor et tant d'autres propositions, cela ressemble à s'y méprendre à un festival !
Depuis 25 ans, vous avez monté de nombreux festivals et événements culturels en respectant ce que vous appelez le "sens du lieu". Quel est le sens du lieu à Versailles ?
Le même soir, trois types de spectacle peuvent être proposés dans trois lieux qui ont du sens : du théâtre lyrique à l'Opéra royal, avec des œuvres "profanes", de la musique religieuse à la Chapelle royale et "la fête" à la Galerie des Glaces avec pour terminer un feu d'artifice ! Pour être précis, les concerts de musique ancienne ou l'opéra à Versailles, c'est une réécriture récente de l'histoire. L'Opéra royal a été construit pour Marie-Antoinette et n'a servi que 19 fois en 20 ans ! En revanche, du temps de Louis XIV, il y avait des soirées dans tout l'appartement, trois fois par semaine, mélangeant de la danse, de la musique, des jeux... Et un bal masqué une à deux fois par mois. L'été nous retrouvons cet esprit-là.
Comment choisissez-vous vos artistes ? S'agit-il exclusivement de commandes ?
Prenons l'image de la station de métro Montparnasse à Paris : il y a un tapis roulant et un couloir pour aller à pied. Dans mon choix, parfois je vais à pied, j'appelle les artistes pour des commandes qui me seront forcément facturées cher. Et puis j'ai aussi un tapis roulant sur lequel défilent les propositions : ce sont les concerts des artistes en tournée. Avec certaines formations, on combine le projet spécifique et la tournée, comme par exemple avec les Arts Florissants de William Christie qui réalisent une "nuit Louis XIV" à laquelle s'ajoute un concert de tournée.
Comment assurer la réussite de votre festival ? Parce que c'est Versailles ?
C'est toujours un mélange entre l'attractif qu'est Versailles et le contenu artistique qui doit être de qualité et doit avoir le sens du lieu. Mais Versailles est un "booster" pour un projet à condition que celui-ci ait déjà sa propre dynamique. Sinon, le public ne suivra pas.
Y a-t-il un public de festivaliers à Versailles comme par exemple à La Roque d'Anthéron?
Ce public là est rare. Globalement, c'est un mélange de fréquentation francilienne (mélomanes et grand public), très majoritaire, et de public "extérieur" : les touristes de passage et surtout ceux qui organisent leur séjour en fonction du concert. Certains viennent exprès d'Europe ou même du Japon, car des spectacles comme l'opéra "Catone in Utica" de Vinci avec Franco Fagioli et Max Emanuel Cencic ont un public vraiment fidèle ! Je n'oublierai pas, pour citer un autre exemple, il y a deux ans le public d'Autrichiens au look de "bykers" coiffés d'une casquette "Artaserse" du nom de leur opéra préféré !
C'est la cinquième édition du Festival : quelle est la potion magique pour que ça continue ?
Si la question est "Stop ou encore ?" La réponse est : toujours encore ! Nous n'avons pas de subventions donc nous dépendons beaucoup des ventes. Il y a peu de chances que l'on soit lié par un des éléments de recette, de météo ou de technique, à une impossibilité globale de fonctionner parce que le festival est un mélange de propositions : des spectacles de plein air, de l'opéra à l'intérieur, un artiste contemporain dans les jardins… Tout arrêter est improbable. C'est un ensemble composite, dont peut-être un des sous-ensembles peut disparaître… et on travaillera plus sur les autres.
Un souvenir de festival…
C'était Jordi Savall l'année dernière. Il venait de faire une nuit Haendel : une première partie à l'Opéra, une deuxième à la Chapelle et une troisième à la Galerie des Glaces. Pour terminer, je lui ai suggéré de jouer de la viole de gambe depuis le balcon de la chambre du Roi. Jordi Savall y a joué la musique de Marin Marais, celle de "Tous les matins du monde" (le film d'Alain Corneau). Jean-Pierre Marielle (qui avait incarné Monsieur de Sainte Colombe, maître de Marais dans le film) était là, dans le public, Savall l'ignorait. C'était très fort. J'en ai pleuré ! Ce n'était pas dans le programme, et pourtant, c'est tout l'esprit du festival…
Le Versailles Festival
Jusqu'au 10 juillet 2015
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.