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Ambronay 2020 : Lea Desandre et Thomas Dunford enchantent un festival "sauvé des eaux"

La mezzo-soprano Lea Desandre et l'ensemble Jupiter, dirigé par Thomas Dunford, ont conquis le public d'Ambronay avec un récital entièrement consacré à Vivaldi.

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Lea Desandre et l'ensemble Jupiter dirigé par Thomas Dunford, le 18 septembre 2020 à Ambronay. (BERTRAND PICHENE)

À l'Abbaye d'Ambronay, on croit aux miracles. Ou plutôt, on sait qu'on peut en faire. Comme maintenir le célèbre festival de musique ancienne et baroque qui, malgré la crise sanitaire, offre une 41e édition à son public. Et avec une affiche des plus alléchantes. Dès ce vendredi soir, un récital Vivaldi proposé par l'ensemble Jupiter dirigé par Thomas Dunford, avec Lea Desandre, star montante du baroque, révélation lyrique aux Victoires de la musique en 2017 et au joli parcours réalisé depuis (deux rôles-titres notamment à l'Opéra Comique).

Retour aux sources

C'est une première à Ambronay pour la mezzo-soprano, tandis que le luthiste Thomas Dunford y effectue un retour aux sources, ayant fait ses classes il y a treize ans à l'Académie d'Ambronay. Dans le parc de l'abbaye où il prend l'air avant le début du concert, l'homme se remémore la rencontre essentielle avec un William Christie ou un Philippe Herreweghe, mais aussi les bons moments avec les jeunes "baroqueux" comme lui : un certain Leonardo Garcia Alarcon (l'incontournable chef d'orchestre formé à la même école) ou un certain Jean Rondeau, claveciniste des plus réputés aujourd'hui et compagnon de route de Dunford. "Ça me fait chaud au cœur parce que j'aime beaucoup cet endroit, j'y ai vécu des choses magiques, et j'ai l'impression d'avoir un peu grandi, parce que maintenant je viens avec tout ce que j'ai appris", lâche-t-il.

Lors des répétitions, le musicien a découvert le nouvel agencement dans l'église qui met les artistes au centre de l'espace : position bi-frontale de la scène avec le public distribué de part et d'autre et au plus près du chœur parce que l'acoustique y est meilleure. Et pas de fauteuils dans les nefs latérales pour augmenter la visibilité. "Ça fait partie de notre dispositif anti-covid", nous explique Marina Roche-Lecca, secrétaire générale d'Ambronay, consciente que le fait d'avoir devancé les dispositions gouvernementales permet aujourd'hui le maintien de la manifestation.

Car le festival que l'on dit ici et là avec tendresse "sauvé des eaux", a réduit drastiquement le nombre de spectateurs : 218 personnes (contre 990 habituellement au plus fort), disposées de manière à avoir un mètre de distance entre chaque tête et un fauteuil entre chaque groupe de spectateurs (qui sont tous masqués). Pour les interprètes, le prix à payer est la tenue de deux concerts d'affilée, à 18h, puis à 21h. "Au départ l'idée m'a effrayée, car le programme est assez dense pour la voix", nous raconte Lea Desandre. "Mais si ça nous permet de faire de la musique, c'est le principal. Et ce n'est pas plus long qu'un opéra baroque", s'amuse-t-elle.

Air joyeux

Sereine donc. Comme Thomas Dunford et les autres membres de l'ensemble Jupiter qui entrent sur scène habillés chacun à sa manière, ici du bleu, là du blanc et on voit même des sneakers, un look qui tranche avec la tenue noire habituelle des concertistes. Mais il y a plus que cela : une sorte d'air joyeux irradie l'ensemble. "Nous sommes une vraie équipe", nous avait expliqué plus tôt Lea Desandre. "Nous sommes très amis, très soudés et les concerts se font amicalement, dans la bienveillance et dans le partage." Et cela se voit. Dès les premières mesures dirigées par un regard ou un sourire par Thomas Dunford qui fait office de chef depuis son luth. Face à ses instrumentistes, Lea Desandre entonne l'air Vedro con mio diletto (extrait d'Il Giustino) d'une grande beauté mais dont la réverbération (qui se tassera peu à peu) ne donne pas à entendre toute la profondeur. Qu'importe, la mezzo ne se laisse pas décontenancer, s'adressant équitablement à ses spectateurs de droite et de gauche.

Lea Desandre le 18 septembre 2020 à Ambronay. (BERTRAND PICHENE)

Et toujours le regard complice rivé à la formation. Tous partagent la passion pour les pièces de Vivaldi, qui ont même fait l'objet d'un disque sorti chez Alpha Classics l'année dernière. "Pour moi ce programme, c'est l'intensité et l'émotion, ça peint toute la palette des affects de l'être humain en moins d'une heure", avait prévenu Lea Desandre, rejointe par Thomas Dunford : "C'est une montagne russe d'émotions", a-t-il ajouté.

En suspension

La colère est au cœur de Armatae face et anguibus, extrait de Juditha Triumphans, que la chanteuse lance avec vigueur et à propos, occupant pleinement l'espace, sautillant sur ses jambes et prête à bondir. La terreur domine Gelido in ogni vena (extrait de Farnace), qui dit : "Je sens dans mes veines couler un sang glacé." Lea Desandre y maîtrise à merveille le registre bas de sa tessiture pour dire toute la gravité de la scène. Le public est conquis. Le célèbre Cum Dederit de Nisi Dominus, lente progression par demi-tons tout en tension, ponctuée par les lignes de basse du violoncelle et de la contrebasse, offre un instant de suspension, presque sacré. Et le comble est à venir avec un extrait de Griselda, Agitata da due venti, beaucoup plus enjoué, pour décrire "ce pauvre cœur assailli par le devoir et par l'amour". Lea Desandre régale ses publics avec d'interminables vocalises qui emportent les applaudissements.

Le luthiste Thomas Dunford le 18 septembre 2020 à Ambronay. (BERTRAND PICHENE)

Les concertos de Vivaldi ne sont pas en reste et offrent leur lot de magie : comme ce magnifique largo du Concerto pour luth en ré majeur, émouvante balade solitaire du luth entre deux allegros, ou encore, dans le largo du Concerto pour violoncelle en sol mineur, ce dialogue d'une infinie délicatesse entre le luth de Dunford et le violoncelle de Cyril Poulet tout en profondeur.

La formidable complicité entre les musiciens, la symbiose à laquelle ils parviennent et leur naturel ont séduit les spectateurs d'Ambronay connus pour leur exigence. Un vent de jeunesse a également soufflé sur l'Abbaye, qu'illustre bien le bis choisi : That so you, une chanson d'amour écrite par Dunford lui-même, "avec Douglas Balliett, un ami américain de l'ensemble, coincé aux États-Unis", lance-t-il. Un joli jeu musical et vocal. "C'est un peu un mélange de Bach et des Beatles", s'amuse Thomas Dunford.

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