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Ambronay 2017 : Karina Gauvin, bouleversante, chante la folie baroque

Très attendue pour son premier Ambronay, la soprano canadienne Karina Gauvin a séduit le public exigeant du festival en le prenant par les émotions… et la puissance de jeu sur scène. Avec elle un Concert de la Loge de Julien Chauvin en grande forme qui a sublimé les airs de folie de Haendel, Scarlatti ou Vivaldi. À voir et à revoir sur Culturebox.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Karina Gauvin enflamme Ambronay le 22 septembre 2017.
 (Bertrand Pichène - Festival d'Ambronay)

C’était LA star attendue à Ambronay ce deuxième week-end après l’ouverture du festival le 15 septembre : Karina Gauvin. Mais avant d’être adoubée par le festival, la soprano canadienne avait ses preuves à faire, car le public d’Ambronay, connu pour être fidèle mais exigeant et connaisseur à la première rencontre, juge sur pièce. Invitée déjà l’année dernière, la chanteuse avait dû reporter sa venue et donc faisait ici sa première. Passage réussi vendredi soir, le 22 septembre. Ovationnée, avec double rappel et de longs applaudissements, Karina Gauvin a gagné son public, haut la main.

Haendelienne

Très reconnue depuis deux décennies de par le monde, demandée au Canada certes, mais aussi aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Angleterre ou en Espagne, la chanteuse québecquoise Karina Gauvin ne s’est imposée en France que depuis deux ou trois ans. Cataloguée baroqueuse - alors qu’elle chante tout aussi bien Mahler, Britten et Dutilleux - son répertoire couvre Cavalli et Lully, Bach et Rameau, Steffani et Vivaldi… Mais son péché mignon, le vrai, est Haendel dont elle a du mal à se départir tant quelques programmateurs font d’elle l’interprète quasi officielle du maître londonien d’adoption. On ne s’étonnera pas que ce dernier figure dans le programme très « opera seria » (l’opéra sérieux italien auquel se rattache pleinement Haendel, durablement marqué par l’Italie) que Julien Chauvin a concocté avec sa soprano pour le programme de ce 22 septembre, « Vent de folie ».

Folie ? Le thème de la folie dans le baroque est courant, souvent associé à des personnages excentriques ou outranciers. « Mais il n’y a pas que ça », nous explique Julien Chauvin avant le concert, « la folie, ça va jusqu’au dénouement des sentiments, jusqu’à l’intimité dévoilée, avec la question : jusqu’où peut-on se dénuder ? C’est vaste et je voulais prendre de la hauteur. Pas juste faire un récital sur la folie chez Haendel, ça aurait été très facile. Se demander : comment un compositeur allemand comme Graupner traite de la folie ? Comment le fait son contemporain Haendel depuis Londres ou depuis Rome ? Comment il instrumente, comment il dramatise l’orchestre ? En quoi diffèrent la théâtralisation de Graupner et celle de Rameau par exemple ? »

Graupner déstabilisant

Dans l’Abbatiale d’Ambronay, le programme était livré avec un passionnant voyage sur les terres de « l’opera seria », de l’Allemagne à l’Italie, en passant par l’Angleterre et même… la France de Rameau. Mais pas grand-chose chose sur la folie, à part le titre de la soirée. C’est ce qui explique sans doute l’étonnement des spectateurs dès les premières mesures du « Dido » de Christoph Graupner puissamment entonnées par Karina Gauvin. Rage, menace de vengeance furieuse et de fulminants éclairs, le corps tout entier de la soprano exprime la colère. Sa voix énergique, qui porte de longs « mélismes » (plusieurs notes sur une seule syllabe), est magistrale mais déstabilise les spectateurs.

Mais il suffit de l’air « Finirà, barbara sorte » de « La Griselda » de Scarlatti pour retourner la situation : les cordes portent la douleur intense tandis que Karina Gauvin offre un dosage parfait des émotions, avant un bouleversant « Figlio ! Tiranno ! oh Dio ! » de Griselda. La tristesse est déchirante et le public conquis. Le summum de la première partie est atteint avec l’air du « Geloso tormento » de Haendel : des tourments de la jalousie à la mélancolie, de la douleur à la colère, la soprano est juste et négocie ses virages avec un joli mélange de rigueur et d’abandon.

Karine Gauvin éminemment comédienne

Le début de l’air « Alma oppressa » de « La Fida Ninfa » de Vivaldi (avec son crescendo remarquable), mais surtout le célèbre « Ah mio cor » tiré « d’Alcina » de Haendel finissent de convaincre le public. Karina Gauvin se dévoile pleinement comédienne dans cet air qu’elle connaît sur le bout des doigts : la lamentation est profonde, la requête à Dieu magnifique, mais la fierté est telle que la menace ne tarde pas à faire surface. La folie, la voici. « On entre vraiment dans les sentiments », admet Karina Gauvin que nous rencontrons après le concert, ravie que ce « chef-d’œuvre » de Haendel fasse toujours autant d’effet auprès des spectateurs. 

Les parties instrumentales du programme ne sont pas en reste : le dialogue du traverso et du violon dans l’Adagio du Concerto de Georg Philipp Telemann est très applaudi, comme l’est le début de l’air « Lo stridor, l’orror », de « Orlando finto pazzo » de Vivaldi, où les altos portent littéralement la tension sur eux, ou enfin (moins étonnant) le Concerto pour violon de Vivaldi. Surtout, l’entente semble parfaite entre Karina Gauvin et l’ensemble. « C’est aussi une question de son », explique Karina Gauvin : « celui du Concert de la Loge est un son qui a du jus, de la substance. Et ça marche avec ma voix qui est sonore, ce n’est pas une voix blanche. Et cela fait un bel ensemble. »

Tube

Longuement applaudis, Karina Gauvin, Julien Chauvin et sa formation offrent deux rappels… de Haendel. « Je dois beaucoup à Haendel, c’est une musique qui est extrêmement touchante, qui vient toujours nous chercher », explique Karina Gauvin. Le premier bis est « Will the sun forget to streak », une partition sacrée - issue de l’oratorio « Salomon » - en hommage à l’abbaye qui les accueille, et en langue anglaise, complétant ainsi un programme déjà chanté en trois langues. Un air tout en retenue, beau et délicat. Et enfin l’autre air est l’un des plus célèbres, « Lascia ch’io pianga » tiré de « Rinaldo ». « Un tube », admet Karina Gauvin, « mais pourquoi pas ? Il faut être ouvert. Une dame est venue me voir après le concert pour me dire qu’elle a pleuré ce soir à cet air-là et que cela faisait dix ans qu’elle ne pleurait pas à Ambronay… Je me suis dit que cette musique est… magique. »

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